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Un homme regarde un graffiti sur un mur
Graffiti sur un bâtiment : « Les riches avortent, les pauvres meurent. » (Megan Rivers-Moore), Author provided

En Amérique latine, les avortements, mais aussi les fausses couches sont passibles d’une peine de prison

Georgina et moi buvons un café par une soirée d’hiver pluvieuse à San José, au Costa Rica. Elle me parle de son avortement : « Quand ça a été fini, j’ai ressenti beaucoup de choses… mais le sentiment le plus fort était le soulagement. J’étais tellement soulagée que ce soit terminé et que je ne sois plus enceinte. J’étais tellement soulagée d’être en vie et de ne pas être enceinte. »

L’avortement est criminalisé dans toute l’Amérique latine, mais les pays d’Amérique centrale ont des lois sur l’avortement parmi les plus strictes au monde. Le Salvador est particulièrement réputé pour son interdiction de l’avortement dans toutes les situations pour ses peines de prison en cas d’infraction — on peut même aller en prison pour une fausse couche ou l’accouchement d’un enfant mort-né.

Malgré la sévérité des lois en Amérique latine, on estime que 6,5 millions d’avortements s’y déroulent chaque année et qu’au moins 10 % des morts maternelles pourraient être causées par des avortements exécutés dans des conditions dangereuses.

À l’heure où les débats sur l’avortement s’enflamment à nouveau aux États-Unis, avec l’interdiction presque totale des avortements en vigueur depuis septembre au Texas et les audiences de la Cour suprême qui remettent en cause l’arrêt « Roe c. Wade », il est bon de s’intéresser aux luttes acharnées sur l’avortement dans d’autres parties du monde où, comme aux États-Unis, la religion joue un rôle central dans la politique et la vie publique.

Un « crime contre la vie »

Au Costa Rica, où je fais des recherches sur le genre et la sexualité depuis seize ans, les lois sur l’avortement ne sont pas aussi restrictives. Le Costa Rica a toutefois le triste privilège d’être un des derniers États confessionnels du monde.

Le pays a une religion d’État, le catholicisme, ce qui signifie que l’Église catholique joue un rôle important dans des institutions publiques telles que les écoles et les hôpitaux. L’Église intervient régulièrement dans des débats publics autour de diverses questions — comme la fécondation in vitro, l’euthanasie, le mariage homosexuel et l’avortement.

une femme tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Ni morte ni en prison
À Mexico, le 28 septembre 2021, une femme tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Ni morte ni en prison « , en espagnol, lors d’une manifestation pour le droit à l’avortement à l’occasion de la Journée pour la dépénalisation de l’avortement en Amérique latine. (AP Photo/Ginnette Riquelme)

Le code pénal du Costa Rica de 1970 criminalise l’avortement en tant que « crime contre la vie ». Les peines de prison vont de six mois à trois ans pour avoir subi un avortement, et de six mois à dix ans pour avoir pratiqué ou aidé à obtenir un avortement.

Ce que l’on appelle l’avortement thérapeutique, ou avortement destiné à sauver la vie ou la santé d’une personne enceinte, n’est pas criminalisé, mais demeure rare. Il a fallu une décision de la Commission interaméricaine des droits de l’homme pour obliger le pays à établir enfin des directives relatives à l’avortement thérapeutique, mais celles-ci comportent des restrictions nombreuses et complexes.

Recherches sur l’avortement au Costa Rica

Il est largement admis que la criminalisation de l’avortement ne rend pas celui-ci moins fréquent, mais seulement plus risqué. Le peu de recherches qui existent sur l’avortement au Costa Rica sont très anciennes. Les militantes s’appuient principalement sur une étude de 2007 selon laquelle 27 000 avortements sont pratiqués chaque année dans ce pays.

Au cours des trois dernières années, j’ai interviewé des personnes qui ont subi des avortements clandestins au Costa Rica. Pour certaines, c’était il y a 20 ans, pour d’autres, comme Georgina, la semaine précédant mon entretien.

Jusqu’ici, l’un des constats les plus marquants de mes recherches est l’énorme changement qui s’est produit avec le recours à l’avortement par médicaments.

J’ai interviewé Emma, une avocate, à son travail.

Je me suis rendu compte que j’étais enceinte en 1996 et je suis allée voir un gynécologue dont tout le monde savait qu’il pratiquait des avortements. C’était une clinique privée huppée à Los Yoses. Il m’a dit : “Je ne peux pas vous faire d’anesthésie générale, alors vous allez devoir rester immobile. Si vous bougez et que je perfore votre utérus, vous finirez à l’hôpital et ensuite, on va se retrouver tous les deux en prison.” Ce n’est plus comme ça, Dieu merci. Maintenant, il suffit de prendre des pilules, c’est tellement plus facile.

Emma a raison, l’avortement est en pleine transformation au Costa Rica et en Amérique latine. Des réseaux de bénévoles aident les personnes enceintes à accéder de diverses manières à la mifépristone et au misoprostol (des pilules abortives), ce qui entraîne une réduction significative des complications.

Des jeunes femmes ayant subi un avortement m’ont récemment fait part de leur profonde gratitude envers les étrangers qui les ont aidées. Xiomara, une étudiante universitaire de 22 ans, a déclaré :

J’ai payé un peu plus pour les pilules, parce que j’en avais les moyens. On sait qu’ils ne les refuseront pas à quiconque en a besoin, même si la personne n’a pas assez d’argent. J’étais si heureuse de savoir que je ne serais plus enceinte. Cela signifiait tellement pour moi que des personnes que je n’avais jamais rencontrées m’aident à mettre fin à ma grossesse, que j’ai payé un supplément pour que cela aide à financer l’avortement de quelqu’un d’autre.

Une femme portant du vert pleure
Le 30 décembre 2020, des militantes pour le droit à l’avortement réagissent après l’approbation d’un projet de loi qui légalise l’avortement, à l’extérieur du congrès à Buenos Aires, en Argentine. (AP Photo/Natacha Pisarenko)

Accoucher quoi qu’il arrive

Toutes les personnes que j’ai interrogées au sujet de leur avortement clandestin se sont dites soulagées de ne plus être enceintes et ont exprimé de la gratitude envers le réseau d’étrangers qui a rendu cela possible.

Au cours des débats sur les directives techniques relatives à l’avortement thérapeutique, il est apparu clairement que de nombreuses personnes étaient convaincues qu’on devait laisser des femmes enceintes mourir plutôt que de leur offrir un avortement sûr.

Quand j’ai interviewé Paola Vega, députée au parlement du Costa Rica et l’une des trois seuls élus ouvertement pro-choix, elle a déclaré :

Tout le débat s’est radicalisé. Les gens disent que si une femme est en train de mourir pendant un accouchement, elle doit donner naissance, quoi qu’il arrive, parce que c’est la volonté de Dieu. Elle doit accoucher, et si elle meurt et si le bébé meurt, eh bien, c’est la volonté de Dieu. Tout ce débat a tellement empiré, c’est devenu tellement radical.

Un mouvement de jeunes

Le nouveau mouvement militant de jeunes qui, dans toute l’Amérique latine, ont renouvelé leurs demandes d’accès à un avortement sûr, légal et gratuit, a apporté un nouvel espoir et une nouvelle énergie.

De jeunes féministes, qui ont souvent pour slogan « Educación sexual para decidir, anticonceptivos para no abortar, aborto legal para no morir » (éducation sexuelle pour pouvoir choisir, contraceptifs pour ne pas avoir à avorter, avorter légalement pour ne pas mourir), sont au premier plan d’un vaste mouvement en pleine expansion qui utilise un langage inclusif et accueille toute personne ayant un utérus.

Encouragées par les médias sociaux qui ont permis de partager l’information en temps réel, des militantes de toute l’Amérique latine ont célébré des succès tels que la légalisation complète de l’avortement en Argentine en 2020 et s’en sont nourries.

Au Costa Rica, les scandales de corruption et la pandémie ont détourné l’attention de la question de l’avortement, mais à l’approche des élections de février, on a interrogé tous les candidats à la présidence au sujet de leur position sur le sujet, ce qui place la question à l’ordre du jour politique comme jamais auparavant.

Pendant ce temps, des personnes comme Mariana continueront de recourir à des avortements clandestins :

La personne qui m’a donné les pilules m’a dit que je devais les prendre avec quelqu’un à mes côtés. Mais je ne pouvais pas le dire, je ne voulais pas que mon copain le sache, alors j’ai pris les pilules seule. Mais vous savez quoi ? Quelqu’un m’a appelée, je ne sais pas qui c’était, une bénévole, j’imagine. Elle a appelé et est restée au téléphone avec moi pendant un long moment, puis m’a rappelé plusieurs fois pour prendre de mes nouvelles. Je n’étais donc pas seule. Et j’ai ressenti beaucoup d’amour de la part de cette inconnue au téléphone, je n’étais pas seule.

This article was originally published in English

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