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En Arabie saoudite, des exécutions d’abord à visée domestique

L'ambassade de l'Arabie Saoudite a été prise d'assaut à Téhéran. Reuters

L’exécution de 47 personnes, le 2 janvier, par l’Arabie Saoudite – la plus massive depuis 1980 – a suscité un véritable choc et une vague d’indignation dans le monde. La polémique est particulièrement virulente suite à l’exécution du dignitaire chiite Nimr al-Nimr, un homme qui ne ménageait pas ses critiques publiques à l’encontre de la monarchie saoudienne. Ce dernier était accusé d’avoir « incité à la révolte » en 2012.

L’Iran a réagi en déclarant que l’Arabie saoudite paierait « un prix très élevé » pour ce châtiment. Riyad a immédiatement décidé de rompre ses relations diplomatiques avec Téhéran.

Les exécutions du 2 janvier frappent les esprits par leur nombre. Mais, dans les faits, elles s’inscrivent dans la continuité d’une politique répressive accrue depuis 2011, dans le sillage de ce que l’on a appelé « les printemps arabes ».

La répression au temps des printemps arabes

Dans les années 2000, un vent d’espoir a soufflé sur le Royaume parmi tous ceux qui plaidaient en faveur de réformes politiques et juridiques au sein du système saoudien. Le roi Abdallah était alors perçu comme un dirigeant libéral, ouvert au dialogue et prêt à engager la discussion sur les questions sociales et juridiques les moins sujettes à polémique.

Mais les événements de 2011 ont changé radicalement la donne. Le défi lancé par les forces populaires contre les régimes autoritaires enkystés au Moyen-Orient a exacerbé la paranoïa du régime vis-à-vis des manifestants et des militants. C’est le cas de Raif Badawi qui, pour avoir publié sur son site des articles critiquant le régime, a été condamné à dix ans de prison et 1000 coups de fouet.

Afin de prévenir des troubles de grande ampleur sur son territoire, le pouvoir saoudien a aussitôt mobilisé ses forces de sécurité pour réprimer des manifestations dans l’est du royaume et sur le sol de son voisin, Barheïn. Dans le même temps, il a veillé à mobiliser ses partisans au sein de l’élite religieuse pour discréditer à l’avance toute forme d’opposition, décrite comme un complot chiite fomenté par l’Iran.

Les quelques timides avancées qui avaient été mises en œuvre, lors de la précédente décennie, sur le chemin des réformes, notamment sur le plan de la tolérance interconfessionnelle et de la liberté d’expression – ont été stoppées net au nom de la stabilité. Accusé d’avoir promptement renoncé à ses idéaux pour mieux maintenir son pouvoir, le roi Abdallah, jusqu’alors chouchou des libéraux, est devenu instantanément la risée générale.

Consolidation domestique

Alors que l’effervescence des printemps arabes retombait, le gouvernement saoudien s’est efforcé de consolider son pouvoir et de tuer dans l’œuf toute velléité de contestation. En 2014, il a promulgué une nouvelle législation anti-terroriste qui assimile l’activisme politique à du terrorisme, avec tout ce que cela implique comme menace de représailles.

Le nombre d’exécutions, d’emprisonnements et de flagellations en public a également augmenté sensiblement durant cette période. Plusieurs cas emblématiques ont focalisé l’attention à l’étranger.

Dans la plupart des cas, les sentences ont été prononcées pour des affaires de droit commun. Mais des militants politiques, perçus comme une menace pour l’autorité de l’État, ont également été ciblés. Ces sanctions visent autant à châtier certains individus qu’à démontrer à l’opinion que le pouvoir ne tolérera aucune forme de contestation.

Les groupes perçus comme étant les plus menaçants pour le gouvernement sont ceux qui défendent ardemment la cause de la minorité chiite du Royaume et les militants qui veulent y instaurer une gouvernance « authentiquement » islamiste, conformément aux préceptes de base de la philosophie du wahhabisme, incarnés par des organisations du type État islamique ou Al-Qaeda.

Les exécutions de dimanche dernier le démontrent de façon criante. Les décapitations constituent un avertissement très clair adressé aux militants islamistes et à la minorité chiite : l’État n’hésitera pas à utiliser son monopole de la violence contre ceux qui défient son autorité. La mort d’al-Nimr est, à cet égard, particulièrement poignante : elle montre que le prestige n’est d’aucun secours face au glaive de l’État.

Bâtons et carottes

Paradoxalement, l’Arabie saoudite n’en a pas moins poursuivi la mise en œuvre de réformes à portée limitée. Les élections municipales de l’an dernier ont ainsi permis de continuer la timide démocratisation amorcée sous le règne du roi Abdallah. Pour la première fois, les femmes ont été autorisées à concourir et à voter. lors de ce scrutin.

Même si ces conseils municipaux constituent un pas en avant vers une démocratie plus représentative, leur autonomie est limitée. Seules les personnes dont la candidature avait été au préalable validée par l’État ont été autorisées à se présenter, et ces organismes n’ont aucun pouvoir à l’échelon national. Au final, le système monarchique continue de fonctionner sans véritable contre-pouvoir pour limiter son action.

Le contraste entre les élections de 2015 et les exécutions de dimanche dernier est un message clair : ceux qui respectent les règles édictées par le régime seront récompensés, même si les bénéfices qu’ils en retireront sont illusoires. À l’inverse, ceux qui s’écartent de la voie tracée par l’État sont promis au châtiment, à la souffrance et à la répression.

This article was originally published in English

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