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En marche vers une nouvelle Union européenne ?

Emmanuel Macron et Jean-Claude Juncker le 25 mai à Bruxelles. Aurore Belot / AFP

Refondation ! Tel est le maître mot du vocabulaire européen depuis le perfide référendum britannique du 23 juin 2016, qui a vu le peuple d’outre-Manche se prononcer en faveur du Brexit. Il est vrai qu’à la lumière des prises de position de certains États membres, comme de celles des institutions de l’Union, l’Europe paraît être redevenue une idée neuve !

Si, à des moments critiques, la Déclaration de Bratislava du 16 septembre 2016, puis la Déclaration de Rome du 25 mars 2017, adoptée lors de la célébration du soixantième anniversaire des traités de Rome, CEE et Euratom, ont posé plusieurs jalons pour une refondation de l’Union européenne, la Commission européenne n’hésite pas à apporter sa pierre à cet édifice européen en rénovation :

Ces propositions, intervenant pour la plupart d’entre elles en pleine campagne électorale française, ne sont pas pour déplaire au nouveau président de la République Emmanuel Macron, qui était le seul parmi les quatre candidats susceptibles d’être présents au second tour de l’élection à mettre en avant ses convictions européennes et son attachement à la construction sans précédent initiée par Jean Monnet et Robert Schuman. Le nouveau chef de l’État a en effet été élu sur un programme résolument européen : renforcement de la zone euro ; révision du fonctionnement du travail détaché qui affaiblit le soutien à l’Europe ; une Europe qui protège davantage ses citoyens, notamment contre les effets néfastes de la mondialisation ; adoption d’un « buy European act ».

Ainsi, l’élection du président de la République Emmanuel Macron s’apparente de ce point de vue à un référendum qu’il a remporté, et portant sur l’Union européenne et sur la mondialisation. Cette forme de constellation zodiacale franco-européenne, composée également du retrait du Royaume-Uni et d’un couple franco-allemand destiné à fonctionner à plein régime après les élections allemandes de fin septembre 2017, laisse augurer une nouvelle dynamique européenne.

Une Europe plus équitable et plus sociale

La révision de la directive 96/71/CE sur les travailleurs détachés est un sujet très sensible au sein de l’UE. Durant la campagne électorale française, il a notamment été exploité par la candidate du Front national, Marine Le Pen. Un travailleur détaché est un salarié qui est envoyé temporairement par son employeur dans un autre État membre de l’UE que celui dans lequel il travaille habituellement et où son employeur est implanté. Le détachement d’un travailleur repose sur le principe de la libre prestation de services. Les travailleurs migrants relèvent, quant à eux, du principe de la libre circulation des personnes.

Le phénomène du détachement des travailleurs est en expansion : selon le Trésor public, leur nombre est dans l’Union européenne d’environ 1,9 million. Les trois principaux pays d’accueil sont l’Allemagne (414 220), la France (190 848) et la Belgique (159 753). La règle est par principe que le droit social du pays d’origine – par ordre d’importance : Pologne, Portugal, Espagne et Roumanie – est applicable. Cette question des travailleurs détachés soulève des difficultés, car elle est souvent utilisée par des entreprises d’intérim dans une stratégie d’optimisation sociale et/ou fiscale.

Manifestation des salariés de Whirlpool à Amiens, le 14 mai. Philippe Huguen/AFP

La concurrence déloyale qui en découle est fréquemment dénoncée. Elle cristallise l’opposition entre les anciens États membres et les nouveaux membres de l’UE. 11 Parlements d’États membres (Danemark et 10 États membres de l’Est) ont dégainé, en mai 2016, le « carton jaune » prévu par le Protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité et se sont opposés à la proposition de la Commission, qui a été contrainte d’envisager de nouvelles règles applicables au détachement. Ce « droit d’alerte précoce ex ante » prouve, s’il en était besoin, que le contrôle des Parlements nationaux n’est pas seulement un gadget politique introduit par le traité de Lisbonne.

La durée du détachement (un ou deux ans ?), l’octroi d’une rémunération minimale, ou les détachements « en cascade » (qui favorisent la fraude) sont les points faisant l’objet d’un débat. Les « clauses Molière », tentant d’imposer l’usage du français sur les chantiers dans l’Hexagone, ne sont pas la solution. En revanche, la directive révisée pourrait être un des éléments du socle d’une Europe sociale rénovée à l’horizon 2025 que la Commission européenne appelle de ses vœux.

Elle souhaite l’établissement d’un « socle européen de droits sociaux », favorisant l’équité des marchés du travail et des systèmes de protection sociale et, s’inspirant du précédent de la Charte des droits fondamentaux, la proclamation inter-institutionnelle des droits et principes qu’il comporte.

Une Europe maîtrisant mieux la mondialisation et réaffirmant ses valeurs

Ces propositions sociales sont susceptibles de faire régresser le populisme au sein de l’UE, tout comme la maîtrise effective de la mondialisation. Dans son document de réflexion du 10 mai 2017, la Commission envisage une mondialisation portée non plus par les échanges de marchandises et les flux de capitaux, mais fondée sur la connaissance du fait des mutations technologiques en cours, ainsi que ses effets à l’horizon 2025. Elle présente des pistes de réflexion orientées vers le libre-échange, l’objectif étant que les avantages de la mondialisation profitent de manière équitable non seulement aux citoyens et aux entreprises de l’UE, mais également aux peuples de la planète.

Attachée aux valeurs d’ouverture et de progrès, elle affirme qu’il faudra résister aux tentations de l’isolationnisme. Contrairement à certaines idées reçues, l’UE n’est pas l’incarnation d’une mondialisation sauvage mais, au contraire, un outil – le seul sans doute – pour y mettre davantage d’ordre. Comme le Président de la Commission européenne, Jean‑Claude Juncker, il est utile de rappeler que le commerce est synonyme d’emplois : un milliard d’euros d’exportations représente 14 000 emplois supplémentaires créés dans l’UE, et un emploi sur sept (soit plus de 30 millions d’emplois) dépendent des exportations de l’UE vers le reste du monde.

Il faut cependant que l’UE cesse d’être naïve dans son approche de la mondialisation. Il semble nécessaire de durcir la lutte contre le dumping industriel et commercial. En réservant l’accès aux marchés publics européens aux entreprises localisant au moins la moitié de leur production au sein de l’UE, un « buy European act » pourrait offrir une vision plus protectrice de l’Europe. Le Commissaire Katainen a toutefois jugé qu’il n’était « pas en ligne avec les règles européennes ». La négociation d’accords de libre-échange (ALE) incluant des normes sociales et environnementales à caractère contraignant, assorties de sanctions en cas de violation, permettrait une reprise en main de la mondialisation par l’UE.

L’Union pourrait ainsi mieux défendre ses préférences non marchandes comme la diversité culturelle, le respect des normes sociales fondamentales, la multifonctionnalité de l’agriculture ou encore ses normes environnementales. Une mondialisation davantage maîtrisée lui permet donc de réaffirmer certaines de ses valeurs au plan international, ce qui fait sa force et conforte son identité.

Une Europe plus démocratique et politique

Une UE refondée doit également « permettre l’opposition » car, « tant qu’on n’admet pas l’opposition politique organisée au sein de l’Union, celle-ci se fait contre elle ». La Cour de justice et le Tribunal de l’Union viennent d’ouvrir la voie à ce credo de l’opposition.

Dans un avis 2/15 relatif à l’ALE UE/Singapour rendu le 16 mai 2017, auquel la Commission européenne s’est rangée sans coup férir et qui est en ligne avec sa proposition de maîtrise de la mondialisation, la Cour de justice a estimé que cet accord – comme tous les ALE de « nouvelle génération » – ne peut plus être conclu uniquement par l’Union seule. Sa nature d’« accord mixte » impose son approbation au niveau européen et sa ratification par les États membres. La raison est qu’il possède deux volets politiquement sensibles ne relevant pas de la compétence exclusive de l’Union, à savoir les investissements étrangers autres que directs et un régime de règlement des différends investisseurs/États.

Le siège de la Commission européenne à Bruxelles. Gérard Colombat/Flickr, CC BY

Dans son arrêt du 10 mai 2017, le Tribunal de l’Union a annulé une décision de la Commission européenne refusant l’enregistrement de la proposition d’initiative citoyenne européenne (ICE) « Stop Transatlantic Trade and Investment Partnership) », dont l’objectif était de faire obstacle au TTIP et à l’accord économique et commercial global (AECG) entre l’UE et le Canada. Le Tribunal a jugé que le principe de démocratie figure parmi les valeurs fondamentales sur lesquelles l’Union repose, et que le mécanisme de l’ICE consiste « à améliorer le fonctionnement démocratique de l’Union en conférant à tout citoyen un droit général de participer à la vie démocratique » (point 37).

Une ICE autorise par conséquent une immixtion des citoyens dans le déroulement de la procédure législative, sans porter atteinte au principe de l’équilibre institutionnel. Son but est de susciter un débat démocratique, la Commission européenne étant dans l’obligation d’être davantage à l’écoute.

Une Europe en ordre de bataille pour la refondation ?

Que l’on évoque l’Europe sociale, la maîtrise de la mondialisation ou la place et le rôle des citoyens au sein de l’Union, les valeurs et le Brexit apparaissent en arrière-plan des différents enjeux de la refondation. Il reste certes d’autres chantiers à ouvrir, tel celui de la défense européenne, en raison des positions du Président des États-Unis, Donald Trump, et du fait que les menaces auxquelles est confrontée l’UE ne respectent pas les frontières nationales. Le terrorisme en est la meilleure illustration. La Commission a déjà adopté, fin novembre 2016, un « Plan d’action pour la défense européenne », et va proposer prochainement la création d’un Fonds européen de la défense.

Mises bout à bout, ces initiatives et l’assentiment de principe qu’elles rencontrent permettent de penser que l’Europe est en ordre de bataille pour qu’elle redevienne une ardente obligation. Elle ne doit plus pouvoir servir d’exutoire aux populistes. Il faut cependant que les États membres, maîtres des traités (die Herren der Verträge comme l’affirme régulièrement la Cour Constitutionnelle allemande) et de l’Union, ainsi que les démagogues de tout poil, cessent de trahir le rêve européen des Pères fondateurs et apparaissent comme « les salauds de l’Europe ». Ni l’immobilisme, encore moins un retour en arrière, ne constituent une voie d’avenir.

En acquérant une place croissante et en étant mieux acceptée dans la vie quotidienne de ses peuples, l’UE sera en ordre de marche vers sa refondation. Comme l’exprime régulièrement le philosophe allemand Jürgen Habermas, elle pourra alors se targuer d’un début de « patriotisme constitutionnel européen » lui permettant de pallier quelque peu son déficit de légitimité.

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