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Enjeux et usages du poste de premier ministre au Sénégal

Le President de la République Macky Sall prononce son discours lors la cérémonie d'investiture à Diamniadio, près de Dakar. Seyallou/AFP

Sitôt reconduit à son poste de président de la République pour un second et dernier mandat, Macky Sall s’est attelé à supprimer le poste de premier ministre (PM) par voie parlementaire. Raison invoquée : la simplification et la rationalisation des procédures de prise de décision, et donc une efficacité et une diligence procédurière renforcées dans la bureaucratie de l’exécutif. Pour avoir changé trois fois de premier ministre entre 2012 et 2014, le Président ne manque pas de prétexte.

Un Président qui s’arroge tous les droits

D’aucuns voient dans ce projet l’expression d’une permissivité débridée mue par le désir d’instituer un présidentialisme amplifié. D’emblée, l’anomalie de la démarche est double.

D’une part, ce geste entérine un décalage entre le principe démocratique et l’usage de la foi investie par les électeurs dans le geste du vote. Il rappelle que les libéralités que les politiciens s’arrogent, une fois élus, vis-à-vis des institutions sont également prises au détriment des hommes et femmes qui les ont portés au pouvoir. En l’occurrence, le projet de Macky Sall n’a pas été soumis à un référendum, comme l’a réclamé l’opposition, mais plutôt voté en catimini par une majorité parlementaire largement acquise à la volonté du Président.

Le premier ministre est souvent le numéro deux de l’État et du parti du Président. Cette position double fait de lui un successeur potentiel. Dans la tradition politique sénégalaise, sa présence ou son absence a toujours été déterminante pour la stabilité gouvernementale et la succession politique.

Crises récurrentes au sommet de l’État

Étant donné que le record de longévité d’un premier ministre a été enregistré sous le régime post-libéral de Macky Sall, avec l’ex-premier ministre Mouhamed Boune Abdallah – d’avril 2014 à avril 2019 –, les raisons de ce qui apparaît aux yeux d’une partie de l’opinion nationale, comme « un recul démocratique » (selon les termes de l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye), sont à chercher ailleurs.

La suppression de ce poste au Sénégal a obéi, par le passé, à des facteurs identiques, sans lien avec le régime politique ou la personnalité de l’homme fort au pouvoir. En voici trois.

Le premier tient aux crises au sommet de l’État, fréquentes en raison de la fragmentation du système de parti, en réalité un multipartisme effréné au Sénégal : le nombre de partis y est passé de 41 en 1981 à 258 en 2016. À l’origine de ces crises figurent, notamment, le manque de contrôle du Président sur son entourage immédiat, un projet de succession jugé illégitime ou bien un premier ministre jugé trop fort au point de faire de l’ombre au Président

Le régime sénégalais est marqué par l’extrême volatilité de son appareil gouvernemental. Le pays a connu six premiers ministres en quarante-trois ans (de 1957 à 2000) contre neuf en 14 ans (entre 2000 et 2014). L’écart est pour le moins abyssal ! Il faut signaler qu’entre 1963 et 1970, le poste de premier ministre avait déjà été supprimé, de même que pendant l’intermède allant de 1983 à mars 1991.

Durant les mêmes périodes, le pays a connu trente gouvernements sous la direction des socialistes – soit une moyenne de 1,43 gouvernement par an – contre dix gouvernements sous les Libéraux (2000 à 2012) – soit une quasi moyenne de 1,40.

Valse-hésitation du Président Senghor

En 1963, le Président Senghor organisa un référendum lui permettant de supprimer le poste de premier ministre. Au terme de la crise qui avait démarré en décembre 1962, et qui l’opposa au président du Conseil (premier ministre dans le système parlementaire de l’époque) à Mamadou Dia, Senghor se persuada qu’un exécutif à deux têtes s’avérait dangereux et incapacitant pour le jeune État. Le bicéphalisme de l’exécutif gênait la délimitation claire des responsabilités entre le président et son premier ministre.

Pourtant, Senghor aura recours à un second référendum en 1970, cette fois afin de nommer Abdou Diouf à la tête du gouvernement. Avait-il soudainement cessé d’appréhender un exécutif bicéphale dans le régime présidentiel, ou bien était-ce pour lui un moyen de préparer sa succession politique ?

Le critère des performances électorales

Le deuxième facteur tient au fait que les équipes gouvernementales sont échafaudées et remaniées sur la base d’interprétations politiciennes des performances électorales, suivant donc une logique de récompenses et de sanctions de collaborateurs et alliés. En atteste le limogeage du premier ministre Aminata Touré en 2014, à la suite de sa défaite aux municipales de Dakar à Grand Yoff, bastion de l’ancien maire de la capitale, Khalifa Ababacar Sall. La suppression du poste de premier ministre n’échappe pas à cette logique.

Enfin, et troisièmement, la mise en place d’équipes gouvernementales subit l’influence de luttes politiques intestines au sein des appareils de gouvernement, de manière aiguë depuis le passage d’un régime de parti au pouvoir à celui de coalition initiée au terme de la présidentielle de 2000.

Un poste perçu comme une menace

Ces trois facteurs évoqués plus haut sont liés entre eux par la manière dont ils sont appréhendés par le pouvoir. Or la pratique politique dominante au Sénégal consiste en un arbitrage qui vise essentiellement à préserver le pouvoir du chef de l’État et de son clan.

Étant donné les pouvoirs déjà considérables détenus par le président sénégalais, cette nécessité de contrôle l’est davantage pour la succession qu’autre chose. Ainsi, il y a un lien étroit entre la manipulation du poste de premier ministre et la succession du chef de l’État.

À cet égard, il faut reconnaître que si les transitions démocratiques ont une dimension transformatrice pour l’État africain, c’est souvent dans le sens d’une déconsolidation des acquis institutionnels.

L’impératif de réinvention des institutions, de consolidation de la séparation des pouvoirs a très rarement commandé les réformes mises en place ces trois dernières décennies. Ce contraste aberrant entre la longévité des carrières politiques des présidents et le caractère éphémère des équipes gouvernementales en est un exemple édifiant.

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