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Entreprendre pour survivre au cancer

La création d'entreprise peut être un moyen de se reconstruire après l’annonce du diagnostic. Photographee.eu/Shutterstock

En 2018, près de 382 000 nouveaux cas de cancers ont été détectés en France. Un tel diagnostic représente indiscutablement un traumatisme qui peut avoir des conséquences sur la vie des patients. Certains chiffres démontrent en particulier les conséquences négatives que la survenue d’un cancer peut avoir sur la vie professionnelle des patients : en moyenne, 33 % des personnes malades perdent leur emploi après l’annonce du diagnostic ; 11 % des salariés vivant la maladie estiment subir des discriminations au sein de leur entreprise ; et près de 30 % seulement des individus au chômage atteints d’un cancer ont réussi à trouver un emploi dans les deux années qui ont suivi le diagnostic, selon la Ligue contre le cancer.

C’est donc sans grande surprise que la question de la vie professionnelle et du retour à l’emploi est présentée comme la problématique prioritaire du Plan cancer 2014-2019. Alors que ces difficultés demeurent importantes, certains ont choisi de les surmonter en devenant indépendants grâce à la création d’entreprises. À l’image d’une jeune femme, qui a combattu avec courage un cancer du sein agressif et dont le témoignage est particulièrement émouvant. Au cours de son combat contre la maladie, elle a créé elle-même une gamme de produits de beauté et d’hygiène adaptés aux femmes touchées par la maladie et à l’ultrasensibilité induite par les traitements. Son entreprise est devenue son projet de vie, qui a réussi à donner du sens à l’épreuve. La résilience dont elle a fait preuve au cours de son processus entrepreneurial est devenue un exemple pour beaucoup de femmes touchées par le cancer.

Pourquoi créer son entreprise ?

La littérature liée à l’entrepreneuriat précise plusieurs typologies de motivations à la création d’entreprises. Une première distinction concerne les motivations intrinsèques (liées par exemple à un besoin d’accomplissement de soi, à un intérêt personnel) et les motivations extrinsèques (liées à un besoin de reconnaissance extérieure, de statut social). Une deuxième distinction porte sur les motivations « push » et les motivations « pull ». Les motivations « push » d’une part : la création d’entreprise apparaît comme une nécessité pour faire face à un contexte difficile ou pour éviter d’être sans emploi. Les motivations « pull » d’autre part : la création d’entreprise apparaît alors plutôt comme une opportunité que l’on a su saisir, un défi à relever, une opportunité d’être reconnu socialement. De par les difficultés auxquelles ils sont associés (perte d’emploi ou de responsabilités professionnelles par exemple), les problèmes de santé d’une manière générale semblent ainsi davantage susciter des motivations « push ».

Parmi les priorités du Plan cancer 2014-2019 figure notamment la question du retour à l’emploi. Simplylove/Shutterstock

La littérature portant sur les entrepreneurs atteints d’un handicap et leurs motivations va dans ce sens : l’entrepreneuriat est un moyen de lutter contre le chômage et l’exclusion sociale pour un public désavantagé, tel que les seniors, les minorités ethniques ou les immigrants. Ces résultats laissent suggérer l’importance du contexte et des évènements de la vie dans la compréhension du processus entrepreneurial.

Conséquences négatives et… positives

L’expérience du cancer est bien évidemment associée à des conséquences négatives sur la vie sociale et professionnelle. Mais la littérature en psycho-oncologie introduit également les conséquences positives que peut avoir cette expérience traumatisante. Par exemple, la théorie de l’adaptation cognitive (Taylor, 1983) suggère que le cancer peut être perçu comme un évènement de vie positif dans son existence. Il peut être vécu comme une opportunité de croissance, de dépassement de soi, de découverte de soi et de ses nouvelles compétences. Il permet également de redéfinir ses priorités, de s’investir davantage dans les relations interpersonnelles et dans des activités plus spirituelles et significatives (passer plus de temps avec ses proches, sa famille, s’investir dans des activités que l’on aime et qui ont du sens, etc.).

La visée corrective de l’expérience du cancer est évoquée dans la littérature et peut être appliquée à l’acte entrepreneurial : d’une part, l’évènement traumatisant fait émerger une prise de conscience de ses capacités, de ses forces et de ses faiblesses, et donc de ses ressources en tant qu’entrepreneur ; d’autre part, le cancer suscite une redéfinition de ses objectifs et un investissement dans des activités professionnelles spécifiques bien choisies.

Un malade sur trois en moyenne perd son emploi après l’annonce du diagnostic. Sebra/Shutterstock

Nous avons récemment mené une étude qualitative (à paraître) auprès de 27 survivants du cancer qui en sont venus à créer leur entreprise après leur diagnostic de la maladie. Les résultats montrent l’importance des motivations existentielles dans le processus entrepreneurial.

La principale motivation derrière la création d’entreprise est la recherche de sens à travers ses accomplissements, ses engagements, ses réalisations. Cette idée est l’idée centrale de la logothérapie qui suggère l’importance de trouver une raison de vivre et de surmonter des évènements négatifs grâce à l’action. Pour les survivants du cancer, l’acte entrepreneurial donne du sens à leur existence, et rétrospectivement, l’entreprise ainsi créée donne du sens à leur maladie. Ce sentiment est d’autant plus fort lorsque l’activité entrepreneuriale vise, de par ses activités, à contribuer au bien-être d’autrui : la création d’entreprise a non seulement de la valeur pour soi et est significative pour les autres.

Le combat contre le cancer comme compétence

Une autre motivation est le besoin de conserver ou de retrouver un contrôle sur sa vie professionnelle, et plus globalement sur son existence. L’entrepreneuriat est un moyen de fuir une vie professionnelle qui ne correspond plus à ses aspirations. L’expérience du cancer fait naître une sorte de conscience de soi qui vise à rechercher davantage de cohérence et une réelle volonté de travailler dans un environnement qui correspond à ses idéaux personnels. Il s’agit de faire ses propres choix, selon ses propres passions et centres d’intérêt. La passion entrepreneuriale ainsi créée est un stimulateur important de l’initiative entrepreneuriale.

Alors que le cancer et les traitements peuvent rendre le patient plus vulnérable et moins confiant, l’entrepreneuriat lui permet de retrouver une estime et une image de soi positive. Il est intéressant de constater d’ailleurs que de nombreux patients ont réalisé un bilan de compétences immédiatement après leur traitement, pendant leur période de rémission. Les managers reconnaissent bien aujourd’hui qu’un employé qui a fait l’expérience de la maladie est une réelle valeur pour l’entreprise, principalement parce qu’il a su développer des compétences humaines et émotionnelles dans un environnement qui devient de moins en moins humaniste. LinkedIn, en partenariat avec l’association Cancer@Work, suggère même de définir le combat contre le cancer comme une compétence à part entière (« Fighting cancer »). Mobilisant ainsi ces nouvelles capacités, l’ancien patient est ainsi à la recherche d’un idéal professionnel qu’il peut atteindre grâce à la création d’entreprise, orienté vers l’épanouissement et le développement de soi, mais également des autres, à savoir de ses collaborateurs.

Cancer@Work lance « Fighting Cancer », une nouvelle compétence LinkedIn (2018).

La recherche de liberté et d’indépendance est également une autre motivation à l’acte entrepreneurial. Être entrepreneur, c’est avoir la possibilité d’être autonome et de gérer son temps comme ils le souhaitent. Ce besoin d’autonomie est associé à une volonté de partager un projet commun à travers les relations créées avec ses collaborateurs, ses employés. Derrière chaque projet existent des idées et des valeurs partagées au sein d’une structure commune.

L’entrepreneuriat apparaît ainsi comme une conséquence de l’expérience du cancer, qui peut avoir en retour des effets positifs sur l’image de l’entrepreneur et in fine son bien-être. Les pouvoirs publics devraient ainsi encourager davantage les initiatives entrepreneuriales et aider à la création de réseaux professionnels dédiés au conseil, à l’encadrement, à l’information pour les futurs entrepreneurs. De multiples success stories pourraient en effet servir d’exemples inspirants pour de futurs entrepreneurs.


Judith Partouche-Sebban est titulaire de la Chaire Living Health de Paris School of Business. Les auteurs remercient l’équipe de l’Institut Rafaël (la maison de l’après-cancer), qui ont contribué à l’élaboration de leur étude citée dans l’article.

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