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Entreprises et objectifs de développement durable : le flou en mouvement…

Adoptés en 2015 par les Nations unies, les ODD donnent la marche à suivre pour répondre aux défis de la pauvreté, aux inégalités, au climat, à la dégradation de l’environnement, à la prospérité, à la paix et à la justice. Sander van der Werf / Shutterstock

Les attentes de la société envers les entreprises et les investisseurs pour une meilleure prise en compte des enjeux du développement durable ont fortement augmenté ces dernières années. De nombreuses initiatives ont émergé pour tenter d’y répondre. Parmi les cadres de référence apparus récemment, celui des 17 objectifs de développement durable (ODD) définis en 2015 par les Nations unies pour les acteurs publics et privés au niveau international rencontre un grand succès aussi bien auprès des entreprises que des investisseurs.

Mais ces ODD permettent-ils réellement de mieux prendre en compte les enjeux ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) et de contribuer à l’amélioration des performances RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ? Ou s’agit-il de greenwashing ?

Pour répondre à ces questions, on peut résumer la genèse de ces ODD et leur contenu exact, puis décrire les points clés de leur adoption et enfin proposer quelques hypothèses sur leurs usages et impacts futurs.

Un référentiel universel et transversal

Adoptés en 2015 par les Nations unies, les ODD prolongent les huit objectifs du millénaire pour le développement (OMD) définis en 2000 avec un horizon à 2015. Ils diffèrent cependant sur deux points : alors que les OMD se concentraient sur des enjeux humanitaires, les ODD couvrent des enjeux sociaux, environnementaux et économiques, d’une part, et sont issus de négociations impliquant l’ensemble des parties prenantes (les collectivités territoriales, la société civile et le secteur privé), d’autre part.

Le secteur financier a par exemple un rôle primordial à jouer : 5 000 à 7 000 milliards de dollars d’investissements annuels seront nécessaires pour atteindre ces ODD.

Les 17 objectifs de développement durable. ONU

Ces 17 objectifs sont décomposés en 169 cibles précises qui formalisent une ambition de développement durable à horizon 2030. Ce référentiel a été complété en 2017 avec une liste de 232 indicateurs permettant le suivi des objectifs au niveau mondial. Les états sont aussi appelés à développer leurs propres indicateurs, ce qu’a fait la France avec une feuille de route et 98 indicateurs.

Une grille adoptée par les entreprises et les investisseurs

De nombreux entreprises et investisseurs ont aussi adopté ce référentiel : 72 % des entreprises interrogées par le cabinet PwC au niveau mondial ont intégré les ODD dans leur communication en 2018 et 30 % des entreprises françaises du SBF120 ont mis au moins une action en place pour participer à leur réalisation.

Ce cadre ODD complète un ensemble de référentiels de communication sur l’information non financière déjà conséquente. Le reporting intégré, développé depuis 2000 par la Global Reporting Initiative (GRI) – une organisation internationale indépendante initiée par le regroupement d’investisseurs américain CERES et l’institut Tellus, avec le support des Nations unies en 1997 –, plus récemment, l’International Integrated Reporting Council proposent une méthodologie et des indicateurs spécifiques pour chacun des piliers économiques, sociaux et environnementaux.

Autre référentiel lié à la notion de valeur partagée, la « pensée intégrée » doit permettre de mieux comprendre la création de valeur de l’entreprise à long terme en explicitant les liens entre six formes de capital : financier, manufacturé, intellectuel, humain, social, naturel. Cette approche se développe rapidement : en 2017, 75 % des 250 plus grandes entreprises mondiales ont utilisé le reporting intégré et de plus en plus de grandes entreprises françaises l’adoptent.

Au-delà de cette pensée intégrée, qui renvoie assez naturellement à certains ODD, 71 % des entreprises françaises déclarent les adopter pour se conformer aux attentes des investisseurs. Poussés par une réglementation de plus en plus ambitieuse, ceux-ci doivent aujourd’hui communiquer sur leur intégration des enjeux ESG dans leurs décisions d’investissement et les ODD deviennent un référentiel privilégié (plus de 50 % des investisseurs institutionnels ont communiqué sur les ODD en 2018). Entreprises et investisseurs semblent donc converger.

Mesurer l’impact de l’ISR sur le financement et la stratégie des entreprises avec Nicolas Mottis (Xerfi Canal, février 2019).

Le flou comme facteur d’adoption ?

La multiplication et le manque de coordination entre ces initiatives réglementaires (article 173 de la loi TEE, directive européenne sur l’information non financière) ou volontaires (reporting intégré, Principes pour l’investissement responsable), font l’objet de critiques, aussi bien de la part des entreprises, qui voient leur gestion fortement compliquée, que des autres parties prenantes pour qui l’information est dispersée. Dans cet espace saturé, comment expliquer le succès rencontré par le référentiel des ODD tout juste adopté en 2015 ? On peut citer quatre facteurs.

Un référentiel international et légitime

Par rapport aux grilles promues par des associations professionnelles, les ODD bénéficient d’une très forte légitimité. Issu des Nations unies, le référentiel est perçu comme légitime aussi bien vis-à-vis des pouvoirs publics que de la société civile. Il est par nature international, donc approprié pour des entreprises et investisseurs multinationaux.

Un référentiel large et peu contraignant

Ce cadre couvrant beaucoup de sujets, les entreprises peuvent choisir et ne retenir que les quelques ODD qui leur conviennent. Chez les investisseurs institutionnels européens, on constate par exemple un biais important en faveur de la lutte contre le changement climatique (ODD 13) et du travail décent (ODD 8), alors que d’autres objectifs (biodiversité, ODD 14 et 15 ; inégalités, ODD 10) sont rarement retenus.

Les ODD 13, 8, 11 et 3 apparaissent comme les plus prioritaires dans le panel choisi par les investisseurs pour être intégré dans leurs stratégies. Novethic

Une vraie dimension opérationnelle

L’approche ODD avec objectifs, cibles et indicateurs est facilement transposable en outil de pilotage interne, par exemple sous la forme de tableau de bord ou de sustainability balanced scorecard. Certains indicateurs proposés par l’ONU n’étant pas adaptés au périmètre d’intervention des entreprises car trop macros, celles-ci construisent leurs propres indicateurs, de manière individuelle ou collective. En restant flous sur les moyens et résultats attendus des acteurs privés, les ODD prennent ainsi des formes très hétérogènes une fois traduits dans les dispositifs de pilotage des entreprises.

Ici les ODD 16 et 17 semblent sortir du cadre d’action que se réserve certaines entreprises. Sustainable Development Investments (SDIs) Taxonomies

Un horizon stimulant

Enfin les ODD se différencient des référentiels existants par la spécification d’un horizon de temps, 2030, à la fois assez proche (il faut se mettre en mouvement) et suffisamment long pour permettre aux « retardataires » de se mettre en marche et de commencer à afficher des progrès.

Outil de façade ou changement profond ?

Malgré leur succès cinq ans seulement après leur adoption, les résultats sont encore mitigés. Le rapport d’avancement 2019 sur l’atteinte des ODD constate des progrès dans certains domaines (extrême pauvreté, accès aux soins, accès à l’électricité), des dégradations sur d’autres (malnutrition, inégalités, climat, biodiversité, développement économique) et pointe globalement un rythme de progrès largement insuffisant.

Évolution du pourcentage de la population sous-alimentée depuis 2005. //unstats.un.org/sdgs/report/2019/goal-02

L’adoption des ODD par les entreprises se mesure essentiellement au travers du reporting et il existe un risque important de découplage par rapport aux pratiques réelles. Un des chantiers majeurs pour les acteurs engagés à contribuer aux ODD est donc le développement de mesure d’impact : sur 228 investisseurs européens, seuls 28 ont publié des indicateurs d’impact quantitatifs en 2018.

La mesure d’impact va au-delà du choix d’indicateurs et nécessite au préalable d’expliciter un modèle logique entre les activités et les effets environnementaux, sociaux et économiques afin d’analyser les effets directs et indirects, positifs et négatifs attribuables aux activités étudiées. Si les ODD ne fournissent pas directement un cadre de mesure d’impact, ils constituent une réelle opportunité pour initier une telle démarche au sein des entreprises.

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