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Essais cliniques : la transparence est bénéfique pour la santé publique… mais aussi pour les investisseurs

La dissimulation d’informations concernant les effets secondaires d’un médicament peut provoquer des scandales sanitaires. Philippe Merle / AFP

L’industrie pharmaceutique demeure un secteur crucial pour la santé et la vie humaine – sans oublier pour une part importante de l’économie mondiale. Aux États-Unis, elle représente à elle seule un cinquième de l’économie.

L’accès du public aux résultats des essais cliniques (études effectuées sur l’homme dans le cadre du développement d’un traitement) en temps et en heure permet aux professionnels de santé de prendre les bonnes décisions sur la marche à suivre – ce qui s’avère extrêmement utile, notamment dans le contexte de la pandémie actuelle de Covid-19 et de la course à la recherche des (meilleurs) vaccins et traitements.

Mais, bien qu’on s’attende à ce que les entreprises soient transparentes sur les effets indésirables d’un médicament, elles détiennent au bout du compte toutes les cartes et peuvent choisir de dissimuler des informations nuisibles à la vente de médicaments, au risque de mettre la vie des patients en danger.

Face à ce constat, nous avons mené une étude sur l’impact de la réglementation américaine dans le secteur pharmaceutique visant à prouver qu’une plus grande transparence d’information pourrait entraîner, en plus des avantages sociaux et sanitaires pour la population, des avantages économiques pour les investisseurs.

Entre scandales et réformes

Des cas de dissimulation d’informations se sont déjà produits par le passé. Prenez l’exemple du Vioxx, un antidouleur développé et commercialisé par le laboratoire américain Merck & Co. en 1999. Un des effets secondaires non révélés était un risque élevé de crise cardiaque.

Boîte du médicament Vioxx en 2004. Spencer Platt/AFP

Malgré cela, le Vioxx n’a été retiré du marché qu’en 2004, après avoir provoqué des maladies cardiovasculaires chez au moins 80 000 patients, entraînant sans doute au moins 38 000 décès (et généré des milliards de dollars de revenus pour Merck).

De la même façon, la France a connu un scandale d’une ampleur similaire avec le médicament antidiabétique Mediator du laboratoire Servier, accusé de dissimulation.

Si l’on s’en tient à l’exemple des États-Unis, la loi FDAMA (Food and Drug Administration Modernization Act) de 1997 exige que tous les essais cliniques soient enregistrés auprès de l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA).

En 2000, le site web gouvernemental clinicaltrials.gov a été lancé, offrant aux chercheurs et aux entreprises pharmaceutiques une plate-forme pour la publication de leurs études.

Toutefois, ce n’est qu’après le scandale du Vioxx que le Congrès américain a obligé les sociétés pharmaceutiques à enregistrer leurs essais cliniques et à en publier les résultats applicables dans l’année qui suit la fin de l’essai, grâce à l’adoption en 2007 de la loi sur les amendements de la Food and Drugs Administration (FDAAA).

Une transparence accrue

En comparant 163 sociétés pharmaceutiques avec d’autres sociétés non concernées avant et après l’entrée en vigueur de la FDAAA en 2007, nous avons constaté une réduction d’asymétrie d’information entre les sociétés pharmaceutiques et les acteurs des marchés financiers, le grand public, les chercheurs et les professionnels, après l’entrée en vigueur de la FDAAA.

L’amélioration du niveau de transparence produit ainsi des effets positifs au-delà du seul aspect légal.

Tout d’abord, publier les résultats des essais cliniques permet aux chercheurs et aux professionnels de les comparer avec leurs propres conclusions notamment sur des cas réels.

Par ailleurs, nous avons observé qu’une attention accrue du public a provoqué un nombre accru de plaintes pour effets indésirables ou problèmes liés aux produits, ainsi que des retraits de médicaments et de dispositifs médicaux pour les entreprises concernées après la mise en œuvre de la FDAAA. Selon nous, ce résultat est dû à une transparence renforcée et à un contrôle public plus serré.

Capture d’écran du site clinicaltrials.gov concernant les essais cliniques liés aux traitements contre la Covid-19 datant du 24 juillet 2020. Site Internet

Enfin, les investisseurs aussi se montrent intéressés par un plus grand accès aux données sur les essais cliniques. En effet, ces informations aident les acteurs des marchés financiers à évaluer l’avantage concurrentiel d’une entreprise.

Rassurer les investisseurs

Au cours de nos recherches, un analyste (anonyme) couvrant les actions pharmaceutiques à Wall Street nous a indiqué que la divulgation des résultats des essais cliniques constitue une source d’information essentielle pour la prévision des futurs chiffres d’affaires des sociétés pharmaceutiques les réalisant.

Dans notre étude, nous avons analysé les résultats du marché financier à travers un indicateur mesurant le niveau d’asymétrie d’information : le « bid-ask spread ». Une bid-ask spread plus faible est généralement liée à une faible asymétrie d’information entre les acteurs des marchés financiers, ce qui s’avère rassurant pour les investisseurs.

Nos résultats révèlent une diminution significative des bid-ask spreads après l’entrée en vigueur de la FDAAA pour les sociétés concernées en comparaison avec d’autres sociétés non concernées dans la même industrie (graphique de gauche) ou en comparaison avec des sociétés similaires en dehors de l’industrie pharmaceutique (graphique de droite).

Évolution du niveau d’asymétrie d’information au sein avant et après l’entrée en vigueur de la FDAAA pour les entreprises pharmaceutiques concernées en comparaison des entreprises pharmaceutiques non concernées (gauche) et des entreprises d’autres secteurs (droite). Les mesures sont présentées annuellement. auteurs

Dans l’ensemble, nous montrons que si la FDAAA est une exigence légale dont l’application et la conformité sont limitées – seuls 40 % environ des résultats d’essais cliniques applicables ont été publiés sur le site web clinicaltrials.gov entre 2007 et 2013) – sa mise en œuvre présente encore certains avantages pour les investisseurs et le grand public.


Cette contribution est tirée de l'article de recherche « Consequences of Disclosing Clinical Trial Results: Evidence from the Food and Drug Administration Amendments Act » de Thomas Bourveau (Columbia Business School, HEC Paris Ph.D. alumnus), Vedran Capkun (HEC Paris) et Yin Wang (Singapore Management University, HEC Paris Ph.D. alumnus).

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