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Et puis, il y eut Trump

La tour Trump et ce qu'elle représente, à l'assaut du monde ? Quinn Kampschroer/Pixabay

L’impensable est survenu. Nous nous demandons désormais comment en sommes-nous arrivés là ? Comment les citoyens américains ont-ils pu élire un candidat maniant un langage si éloigné de tout sens commun, de toute notion politiquement correcte et dont les propositions politiques sont aussi extrêmes que vagues, voire irréalistes ?

Comment Donald Trump s’est-il hissé au sommet ? On se souvient encore il y a quelques années de la calomnie et la dénonciation de ses remarques chargées de mépris – au ton raciste à peine voilé- pour le président Barack Obama, le mettant au défi de prouver qu’il était bien né aux États-Unis et l’accusant de « squatter » la Maison Blanche. Ce même candidat a été étiqueté fasciste par ses propres soutiens intellectuels conservateurs au sein du parti Républicain.

Face à l’émotion, les chiffres

Tentons de comprendre en s’appuyant sur les nombres. Car les chiffres bruts offrent un premier éclairage, permettant aussi de garder un semblant de contrôle sur les émotions et sur l’ahurissement général.

Les sondages et les résultats électoraux ventilés nous donnent une image plus fidèle de la façon dont ont voté les différentes Amériques qui constituent les États-Unis.

Nous observons un immense – bien que peu surprenant – clivage entre les sexes, avec 24 points de différence entre la façon dont les femmes ont voté (+ 12 pour Clinton) et les hommes (+ 12 pour Trump), une hausse majeure par rapport à l’écart déjà consistant et historique de 18 points en 2012.

Nous voyons également une différence très nette dans le comportement électoral entre les différentes ethnies et communautés américaines, telles que définies par le recensement officiel, (un ensemble complexe et ambigu sur lequel nous ne nous attarderons pas ici).

« La majorité silencieuse » vote pour Trump lit-on sur la pancarte de ces jeunes rassemblés à Dallas. Jamelle Bouie/Flickr, CC BY-SA

La population blanche dans son ensemble a voté pour Trump à 58 % contre 37 % pour Hillary Clinton ; les hommes blancs (environ 1/3 des votants) à 63 % contre 31 % ; les hommes blancs sans diplôme universitaire (presque 1/5e des votants) se sont manifestés par un éclatant 72 % contre 23 %.

Les populations issues des minorités, dont la participation et les choix avaient propulsé Obama vers la victoire et le pouvoir en 2008 et 2012, ont été bien moins enclines à soutenir Hillary Clinton : comparé à 2012, le vote hispanique pour le candidat démocrate a perdu 6 points (de 71 à 65) ; le vote africain-américain 5 points (de 93 à 88). Mais, le point le plus crucial de ces élections réside dans le taux de participation des électeurs.

Un faible taux de participation des minorités

Le recul du vote des minorités ethniques semble accompagner le recul significatif du taux de participation. Plus de données seraient nécessaires afin d’étayer sur ce point, mais les premiers chiffres obtenus parlent déjà d’eux-mêmes. Au niveau national, les démocrates ont perdu entre 7-8 millions de votes entre 2008 et 2016. Un déclin extraordinaire, notamment au vu du nombre croissant de primo-votants dans ce qui devait être l’élection la plus « diversifiée de l’histoire des Etats-Unis ».

Nous manquons de données sur la participation électorale des minorités mais, d’après des analyses recueillies sur le vif, nous admettrons qu’elle fut sensiblement moins élevée qu’en 2012 et 2008. Par exemple, regardons du côté de quelques grandes métropoles dans les États-clefs du Midwest post-industriel américain, États qui ont déterminé en grande partie la victoire de Donald Trump.

Ce sont des régions où vit une grande proportion de la population africaine-américaine, et dont les votes furent décisifs dans le passé, notamment afin de contrer ceux des communes rurales et périurbaines, largement favorables aux Républicains.

Donald Trump lors d’un rallye en Arizona, en 2016. Gage Skidmore, CC BY-NC-SA

Ainsi, dans le county de Cuyahoga, où se situe Cleveland, la seconde plus grande ville de l’Ohio, Hillary Clinton a perdu environ 40 000 voix par rapport à Obama en 2012 (Trump a perdu autour de 4 000 voix comparé à Mitt Romney). Dans le county de Wayne, au Michigan, où se trouve la ville de Detroit, la perte d’électeurs est encore plus sensible. En 2012, Obama avait gagné 595 000 votes contre les 517 000 de Clinton en 2016, tandis que Trump a fait une performance bien meilleure que son prédécesseur Mitt Romney avec environ 15 000 votes de plus.

Pour résumer, l’étude de ces quelques premiers chiffres révèle deux choses :

  • les minorités ont voté, en termes de pourcentage, bien moins pour Clinton qu’elles ne l’ont fait pour Obama ;

  • plus grave, les démocrates n’ont pas été capables d’arrimer et d’activer une véritable coalition de divers groupes. Or Trump a, lui, réussi à rallier et à fédérer une frange importante de l’électorat blanc. Même si, au niveau national, il a remporté plus ou moins les mêmes voix que Mitt Romney quatre ans auparavant.

Premiers éléments pour décoder la vague « trumpiste »

Comment interpréter ces résultats et que nous apprennent-ils sur la victoire de Trump ? Plusieurs explications ont été (et seront) données sur le « Trumpisme » et ce que son avènement-choc promet pour la suite.

Tout d’abord, dans un conflit entre deux processus narratifs construits sur l’autoreprésentation du candidat, Trump a prouvé qu’il était bien plus efficace dans l’animation et la fabrication de son récit d’identification ainsi que dans l’instauration d’une véritable dynamique, crédible auprès de son électorat de base.

« To make America great again »- le slogan de sa campagne – se réfère ainsi à une idée essentialisante, normative et péremptoire, de ce que les États-Unis sont et devraient être : une vision statique d’un pays trahi par ses élites et risquant une mutation irréversible, dominée par la peur d’une immigration incontrôlable, l’absorption dans une économie globale et un multiculturalisme politiquement correct mais indomptable.

De nombreux Américains ont remis en cause plusieurs points de la politique d’Obama, notamment l’Obamacare. majunznk, CC BY-NC-ND

Le discours narratif opposé, celui promu par la politique et la philosophie du gouvernement Obama, avait mis l’accent sur un changement, graduel mais inexorable, de l’Amérique vers plus d’inclusion et de diversité. Ce discours a beaucoup moins mobilisé cette dernière année, peut-être en raison de nombreuses déceptions et a suscité moins d’entrain que l’idée facile d’un passé simplifié, convenablement déshistoricisé.

La seconde explication repose dans un agrégat de faits sécuritaires et économiques. Ou, plus exactement, sur le sentiment d’insécurité dont Trump s’est nourri et a exploité, en se repaissant de la soi-disant hausse de la criminalité (en baisse, une première depuis près de 40 ans), qui selon lui, serait liée à l’immigration illégale.

Le moteur économique de l’insécurité, et la façon dont il a soutenu l’ascension politique de Trump, a été largement analysé. Plusieurs études ont négligé l’importante paupérisation des électeurs blancs, issus et vivant dans des zones à forte désindustrialisation.

Cette population, comme cette élection l’a montré, est surreprésentée chez les électeurs de Trump. Ce dernier a puisé, avec succès, dans leur mécontentement. Sa rhétorique passionnelle et exubérante sur le protectionnisme, l’hypernationalisme – parfois en termes explicitement xénophobes- a inspiré et rassuré les angoisses et les peurs de ces communautés, trop souvent moquées par l’establishment Oxy-Contin America.

Si nous mettons de côté toutes considérations morales, ignorer ou minimiser les souffrances de cette Amérique a été fatal pour la stratégie politique démocrate.

Enfin, Hillary Clinton elle-même, au milieu de cette combinaison de facteurs, aura été l’un des pires candidats possibles. En dépit de son expérience et de ses compétences, elle représentait un establishment honni, jugé illégitime par une large majorité. Son ambition et sa motivation n’ont suscité ni adhésion ni sympathie. Elle a divisé et polarisé sans mobiliser. Ce qui, le 8 novembre, signa la fin de sa campagne et l’avènement de l’impensable.

Mario Del Pero publiera un livre sur la Présidence de Barack Obama aux éditions Feltrinelli en janvier 2017.

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