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Une équipe de thérapeutes a déposé une demande auprès de Santé Canada afin d’obtenir, dans le cadre d’une psychothérapie, le droit d’administrer de la psilocybine à des patients atteints d’un cancer en phase terminale. Shutterstock

Et si les drogues psychédéliques pouvaient révolutionner votre fin de vie?

Mon histoire a commencé il y a huit ans, lorsque ma première cliente m’a demandé de superviser une séance thérapeutique au cours de laquelle on lui administrerait une drogue psychédélique.

Elle souffrait des effets débilitants d’une grave dépression assortie d’anxiété à la suite d’un diagnostic de cancer du sein. Bien qu’elle ait survécu au cancer, elle n’arrivait pas surmonter cette terrible détresse psychologique. Elle avait essayé la psychothérapie, les médicaments et un programme de traitement en résidence. Rien n’avait fonctionné.

Puis elle avait eu vent, à travers les médias, d’un projet de recherche à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA): l’utilisation de la psilocybine - l’ingrédient actif contenu dans les champignons magiques – pour traiter des patients atteints de cancer et qui souffrent d’un symptôme appelé « détresse de fin de vie », avait procuré des résultats prometteurs.

Elle voulait désespérément l’essayer sur elle-même.

À titre de psychothérapeute autorisé, pouvais-je l’aider? En parcourant la littérature existante, j’ai constaté que la recherche avait considérablement avancé dans le domaine de l’utilisation de drogues psychédéliques pour le traitement de dépression psycho-spirituelle et d’angoisse existentielle qui accompagnent souvent les diagnostics de maladies mortelles.

Je me trouvais aussi face à un dilemme : la science me disait qu’un traitement à la psilocybine est le plus susceptible de profiter aux patients atteints d’angoisse existentielle, là où d’autres traitements ont échoué. Mon code d’éthique m’ordonne d’agir dans l’intérêt de mon client. Or, la loi fédérale m’interdit d’avoir recours à ce traitement.

C’est pourquoi, avec la collaboration de collègues dans le cadre du projet Therapeutic Psilocybin for Canadians, j’ai demandé à Santé Canada une exemption me permettant de procéder à une psychothérapie impliquant l’usage de psilocybine sur un patient atteint de cancer en phase terminale.

Diminution immédiate de l’anxiété face à la mort

Des travaux de recherche effectués récemment au Johns Hopkins Medical Centre et à l'Université de New York démontrent que le traitement de la détresse de fin de vie avec une psychothérapie à base de psilocybine est à la fois sécuritaire et efficace.

La thérapie a pour effet de diminuer de façon efficace, considérable et durable les effets de la dépression, de l’anxiété face à la mort, du désespoir et de la démoralisation liés au cancer. La qualité de vie du patient augmente, de même que son optimisme et sa perception du sens de la vie. Et ces changements persistent après un suivi de six mois.

Dinah Bazer a été soulagée de son anxiété liée au cancer après avoir subi un traitement à la psilocybine à l’Université de New York. AP Photo/Bebeto Matthews

C’est à la psilocybine que les patients traités dans le cadre de la recherche ont attribué leur attitude plus positive face à la vie et à la mort, aux relations humaines et à la spiritualité. Grâce à cette drogue, ils sont de meilleure humeur et éprouvent un bien-être et une satisfaction accrus.

Il est encourageant de voir cette recherche se diriger vers la phase 3 des essais cliniques, alors que s’ajouteront d’autres participants. Toutefois, l’avenir n’est pas spécialement rose à court terme pour les Canadiens qui auraient besoin de cette thérapie révolutionnaire.

Au rythme où vont les choses, cela pourrait prendre des années avant que les traitements à la psilocybine se rendent en phase 3 d’essais cliniques et soient disponibles en tant que médecine conventionnelle.

Les thérapeutes s’exposent à des sanctions pénales

Entre-temps, les Canadiens souffrant de cancer en phase terminale souffrent également de détresse de fin de vie et ont besoin d’aide – maintenant.

Ils font face à des maladies graves et mortelles. Comme ils vont en mourir, il n’y a pas lieu de s’inquiéter des effets nocifs à long terme de l’utilisation de la psilocybine. Ils souffrent de détresse psychologique de fin de vie (anxiété et dépression) au point où cela affecte les traitements médicaux qu’ils reçoivent. Et cette détresse ne peut être soignée avec succès par d’autres traitements.

A l’heure actuelle, la psilocybine est une drogue à usage restreint. Un thérapeute qui se rendrait complice de possession de cette drogue s’exposerait à des sanctions pénales. Cela signifie qu’on ne peut ni conseiller, ni encourager son usage.

Toutefois, selon mon code d'éthique, je dois agir « dans le meilleur intérêt » de mon client. Le service fourni doit être « pour le bien » de mon client. Je dois « m’assurer de maximiser les avantages et minimiser les risques de dommages ».

Mourir dans la compassion et l’humanité

Je suis d’accord avec le milieu médical canadien pour que les nouveaux traitements, en temps normal, ne soient accessibles qu’après avoir complété avec succès les essais cliniques de phase 3.

Dans l'étude de l'Université de New York, une pilule, contenant soit un placebo, soit de la psilocybine, a été présentée aux sujets dans un calice. AP Photo/Seth Wenig

Mais les patients décrits ici font face à des circonstances exceptionnelles. Ils ont un cancer terminal. Tous les autres traitements ont échoué. Ils n’ont plus rien à perdre.

Pour des motifs d’ordre humanitaire, ces patients méritent d’avoir accès à un traitement qui, tout en étant encore à l’état expérimental, est prometteur. Compte tenu du caractère désespéré de leur situation au plan médical, la psilocybine est une option raisonnable. Elle est nécessaire dans un but médical.

La décision de Santé Canada au sujet de notre demande d’exemption devrait être rendue sous peu. Nous nous attendons pleinement à un refus, pour des motifs politiques, et non pas scientifiques. Le gouvernement libéral de Justin Trudeau n’est probablement pas d’humeur à jeter du lest aux drogues psychédéliques avant que la poussière ne retombée sur la légalisation du cannabis. Je crois que le gouvernement préférerait que la décision soit prise par quelqu’un d’autre.

Violation de nos droits et libertés

Si notre demande est rejetée, nous avons l’intention d’aller en appel. Si nécessaire, nous nous rendrons en Cour fédérale.

Nous croyons qu’interdire à un citoyen canadien l’accès à la psilocybine à des fins médicales légitimes va à l’encontre de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libértés qui garantit à chacun « le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ».

La Cour suprême du Canada a déjà statué que cet article signifiait que chacun a droit à l’autonomie dans ses décisions d’ordre médical.

La charte a déjà été invoquée avec succès dans trois cas de jurisprudence liés au cannabis médical.

Selon nous, ce qui a trait au cannabis s’applique aussi à la psilocybine :

L’interdiction… prive et les consommateurs de marihuana à des fins médicales de choix médicaux raisonnables puisque certains de ceux-ci les exposent au risque d’une poursuite pénale. En outre, en contraignant ces personnes à choisir entre, d’une part, un traitement légal, mais inadéquat et, d’autre part, une solution illégale, mais plus efficace, la loi porte également atteinte à la sécurité de la personne. - Cour suprême du Canada, R.c. Smith, 2015.

La mort nous est commune. Imaginez si, le moment venu, nous avions le choix de mourir en paix, dans l’acceptation et sans angoisse

This article was originally published in English

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