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Et si l’UE s’inspirait désormais de la Suisse pour commercer avec le Royaume-Uni ?

Le secrétaire britannique au commerce international, Liam Fox (à gauche) avec le ministre suisse de l'Economie Guy Parmelin (à droite) à Berne le 11 février 2019, après avoir signé un accord pour préserver les relations commerciales entre les deux pays. Stefan Wermuth / AFP

Des négociations difficiles commencent pour définir les modalités de la nouvelle relation commerciale entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE) après la période de transition qui suit le Brexit, effective depuis le 31 janvier dernier.

Londres a cependant déjà négocié les points essentiels de ses relations commerciales avec la Suisse après le Brexit. Il est alors intéressant d’examiner si cet accord entre le Royaume-Uni et la Confédération helvétique peut servir de modèle au traité commercial qui doit être conclu avec l’UE.

Brexit : quels sont les quatre points principaux de l’accord ? (France 24, 31 janvier 2020).

Avant le Brexit, le commerce entre le Royaume-Uni et la Suisse était régi par les accords bilatéraux conclus entre celle-ci et l’UE. Pendant la période de transition, de février à décembre 2020 et au cours d’une possible période de prolongation, ces accords bilatéraux vont continuer à régir les relations commerciales entre la Suisse et le Royaume-Uni. C’est une notification réciproque entre l’UE et la Suisse qui a formalisé ce maintien.

La Suisse et le Royaume-Uni ont déjà conclu de nouveaux accords pour organiser le commerce entre eux après la période de transition, donc au plus tôt à partir de janvier 2021, pour essayer de maintenir le mieux possible les droits et obligations qui existaient avant le Brexit. Ces nouvelles modalités, conclues en février 2019, reprennent certaines dispositions essentielles des accords bilatéraux entre la Suisse et l’UE, mais pour une application à son commerce avec le Royaume-Uni après la période de transition qui suit le Brexit.

Des accords favorables à Londres

Les nouvelles modalités du commerce helvétique avec le Royaume-Uni reprennent les dispositions de l’accord de libre-échange de 1972 entre la Suisse et l’Union européenne. Ces nouvelles modalités reprennent aussi les dispositions des accords concernant les marchés publics et la lutte contre la fraude. Le commerce helvétique avec le Royaume-Uni va aussi appliquer des dispositions identiques à celles d’une partie de l’accord entre la Suisse et l’Union européenne sur la reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de la conformité.

En revanche, les parties ont évité de reprendre les dispositions de certains accords bilatéraux entre la Suisse et l’UE sur l’harmonisation ou la reconnaissance de l’équivalence des normes.

On peut comprendre que ces nouveaux accords avec la Suisse soient plutôt favorables à Londres, car ils contraignent peu la souveraineté britannique et donc la liberté pour le pays d’établir ses propres normes. Les accords bilatéraux avec la Suisse peuvent-ils donc servir de modèle pour négocier les nouvelles formes de la relation commerciale entre l’Union européenne et le Royaume-Uni après la période de transition ?

L’UE reste en réalité peu susceptible de privilégier pareille voie, car Bruxelles se montre déjà mécontent de ses relations avec la Suisse sur la base des accords bilatéraux existants. Pour les Vingt-Sept, le problème d’un simple accord de libre-échange négocié à un moment donné, c’est qu’il comprend généralement l’obligation pour le pays tiers de se conformer à certaines normes, telles qu’elles existent lors de la négociation, mais qu’ensuite il peut être difficile d’obtenir de ce partenaire un alignement de ses lois à l’évolution du droit communautaire.

Il y a alors un risque de concurrence déloyale, par exemple si l’UE augmente ses coûts de production en renforçant ses normes sociales, qualitatives et environnementales, alors que le pays tiers devient moins cher parce qu’il garde les normes laxistes initiales. Concrètement, Bruxelles reproche à la Suisse de mettre trop de temps pour adapter ses lois aux évolutions de la législation communautaire.

Pressions de longue date

L’UE exerce des pressions sur la Suisse depuis longtemps pour revoir les accords existants d’une manière qui implique dès le départ, sans qu’il y ait besoin de renégocier de nouveaux accords, que la Suisse doive adapter automatiquement ses lois aux nouvelles législations communautaires qui pourraient être adoptées ultérieurement, à propos des accès aux marchés concernés. C’est pourquoi un projet d’accord institutionnel, qui va dans ce sens, a été négocié récemment entre le gouvernement suisse et l’UE.

Suisse : L’accord avec l’Union européenne toujours en négociation (TV5 Monde Info, 19 juin 2019).

En réalité, la Suisse garderait la possibilité d’éviter de reprendre des dispositions du droit communautaire, mais l’UE pourrait alors appliquer des mesures de compensation proportionnelle décidées par un tribunal arbitral. Celui-ci serait toutefois lié par les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Cet abandon de souveraineté suscite des réticences en Suisse et il est difficile pour le gouvernement d’obtenir une majorité parlementaire pour l’approuver.

Bruxelles s’impatiente et, par mesure de rétorsion, a même révoqué le statut d’équivalence qu’elle accordait à la bourse suisse, en 2019. L’équivalence reste nécessaire pour habiliter les entités des pays membres à négocier des actions de société suisses sur la bourse helvétique quand elles sont aussi cotées sur des marchés de l’UE. Le parlement suisse a répliqué en votant une loi qui interdit aux sociétés suisses d’être cotées sur des bourses des Vingt-Sept. Cela neutralise la question de l’équivalence et oblige les acteurs de l’UE à acheter ou vendre les actions de sociétés suisses sur la bourse helvétique.

Insensible à la pression, le Conseil fédéral a demandé des clarifications sur certains points très sensibles du projet d’accord qui a été négocié. L’UE est réticente à renégocier l’accord, mais les autorités suisses veulent obtenir des interprétations officielles de certains points, de nature à rassurer la population et susciter son adhésion. Le gouvernement veut lui obtenir des garanties que les dispositions relatives à la régulation des aides d’État maintiennent les droits accordés à la Suisse par l’accord de libre-échange de 1972.

Le gouvernement veut aussi apporter une sécurité juridique sur le niveau de protection des salaires en vigueur en Suisse, en lien avec la problématique des travailleurs détachés. La Suisse veut aussi obtenir la garantie explicite de l’exemption de l’obligation de reprendre la directive sur la libre circulation des citoyens de l’Union.

Complication des négociations

Le gouvernement suisse doit aussi attendre le résultat de la votation organisée le 17 mai 2020 sur l’initiative populaire pour une immigration modérée. C’est une proposition citoyenne pour la résiliation de l’accord sur la libre circulation des personnes conclu avec l’Union européenne en 1999. Si elle était approuvée, contre l’avis du gouvernement, elle empêcherait l’acceptation du nouvel accord entre la Suisse et l’UE.

Cela pourrait même provoquer la remise en cause par Bruxelles d’une partie des accords bilatéraux existants. De toute manière, il est presque certain qu’il va y avoir une demande citoyenne pour une autre votation sur ce nouvel accord en lui-même. Il va donc falloir encore attendre avant d’obliger la Suisse à aligner automatiquement la législation nationale sur toute évolution du droit communautaire.

Cette idée d’un alignement dynamique du pays tiers à la législation européenne est exactement ce que celle-ci exige du Royaume-Uni.

Cela va compliquer les négociations car le gouvernement britannique estime que cela dénaturerait le Brexit qui a pour but de retrouver de la souveraineté nationale. La position britannique utilise l’argument que les accords récents de libre-échange avec le Canada sont loin d’être aussi exigeants en termes d’alignement. Mais l’UE la proximité géographique du Royaume-Uni et l’ampleur induite des échanges commerciaux bilatéraux exige des garanties supérieures.

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