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État d’urgence tardif pour des régions en état d’alerte

Des supporters de Les Républicains en Auvergne Rhöne-Alpes. Jeff Pachoud/AFP

« Le commerce entre nous porterait du scandale :
Dieu sait ce que d’abord tout le monde en croirait.
A pure politique on me l’imputerait
Et l’on dirait partout que me sentant coupable,
Je feins pour qui m’accuse un zèle charitable. »
Molière, « Tartuffe »
acte IV, scène 1.

A moins d’une encablure du scrutin des Régionales, grand branle-bas dans le landernau politique. Il souffle un vent de panique sur les états-majors. La question, unique et mortifère, est : comment empêcher le FN d’accéder au contrôle d’institutions régionales ?

Oubliés les enjeux territoriaux, les projets singuliers, les clivages traditionnels, tous renvoyés à l’arrière-boutique. Au secours, les électeurs ! Sauve qui peut… Sans aucunement sous-estimer la gravité d’une possible prise de pouvoir des frontistes dans une, deux voire trois régions, on doit s’interroger sur cet emballement dont le caractère tardif interpelle.

Fausse surprise

Car la « surprise » est pour le moins surprenante. Le danger ne surgit pas de nulle part, révélé seulement par des sondages préélectoraux récents. Il vient du large, il vient de loin. Il était prévisible et sans doute résistible.

La montée du FN et son débordement au-delà des limites habituelles de l’extrême-droite s’inscrit, sur fond de crise économique durable et de doute politique profond, dans un mouvement qui affecte les différents pays d’Europe. La France n’est pas épargnée par la vague populiste. Ni plus ni moins que d’autres. Dans un système où moins d’un Français sur deux participe au scrutin, atteindre les 30 % représente 15 % du corps électoral.

D’où vient donc qu’ici, le phénomène menace l’équilibre politique dans son ensemble ? Avant tout de la vulnérabilité d’un système rongé depuis 15 ans par ses propres contradictions.

Avril 2002 avait sonné comme un puissant avertissement de l’essoufflement de la logique présidentialiste des institutions. Tout a été conçu pour que les forces politiques s’ordonnent prioritairement autour de l’élection mère, et que les autres scrutins déclinent ou reproduisent son résultat. Sur chaque échéance pèse l’ombre portée de la Présidentielle.

Or, celle-ci implique que la partie se joue à deux. L’irruption d’un troisième parti, égalant ou dépassant les deux autres, fausse complètement la mécanique. Condamné à un ménage à trois, les scrutins ouvrent la voie à un étrange jeu de chaises musicales. A brancher du courant triphasé sur du biphasé, on perturbe un dispositif électrique, parfois jusqu’à l’explosion. Et c’est très précisément à ce stade de dysfonctionnement que va nous confronter le scrutin des régionales.

Affaiblis dans leur capacité de rassemblement autour d’un projet politique clair, adapté à la gestion d’un territoire donné, les deux principaux partis de gouvernement souffrent de leur impuissance à mobiliser un électorat engourdi et lassé d’un jeu dont l’objet échappe à ses attentes.

Car plus que la poussée du Front national, c’est la faiblesse des partis à se défendre efficacement qui creuse leur tombe. La droite, à laquelle la logique d’un vote sanction semblait promettre une victoire éclatante, trébuche et doute. Tétanisée qu’elle est par l’obsession présidentielle et la stratégie de revanche de son chef. La gauche se cherche sans trouver de socle commun pour recomposer sa majorité éclatée en trois morceaux.

Il ne reste aux uns et aux autres qu’un appel polyphonique au sursaut républicain pour tenter de barrer la route au FN, qui devient le marqueur essentiel de la rencontre.

Vers un Dieng Biên Phû des partis de gouvernement ?

Ce qui frappe en effet, c’est le décalage entre la réalité prévisible et la réponse des partis. Il y avait pourtant eu, il y a huit mois, des élections départementales générales qui avaient mis en évidence une rupture profonde des comportements et consacré un nouveau ménage à trois.

Un Front national décomplexé, seul parti présent dans toutes les circonscriptions, qui réussissait à augmenter ses scores lorsqu’il était en course au second tour, et qui était mathématiquement en situation légitime d’emporter sept départements.

Il n’en aura finalement aucun, du fait de l’entente entre la gauche et la droite. Et l’on en tirera satisfaction. A tort, car les dirigeants du FN et leurs électeurs auront beau jeu de se poser en victime, de crier au déni de démocratie et d’en faire un argument supplémentaire de combat.

Auteur.

L’affaire méritait pourtant attention, à l’approche des régionales, dont le mode de scrutin à la proportionnelle facilite une présence politique plus diversifiée, et dont l’histoire montre la singularité.

Jeunes collectivités territoriales, plus lointaines et masquées par les autres niveaux institutionnels, chacun de leur renouvellement a donné lieu à des aventures originales.

1992, par exemple, avait vu émerger une floraison de formations nouvelles, dont une part constituera cinq ans plus tard la « gauche plurielle » ; 1998 sera l’occasion de tumultueux remous provoqués par le FN pour la désignation des Présidents.

Leur décalage autorise donc des jachères ou des affirmations singulières. Le climat et le contexte de cette fin d’année accentuent l’effet de déterritorialisation. Vient s’ajouter un décalage d’espace, avec les fusions ramenant de 21 à 12 les Régions continentales ; un décalage de temps, avec une tenue anachronique du scrutin au mois de décembre. Le climat sécuritaire aggravé par les dramatiques attentats mêlant le tout dans une atmosphère confuse.

Sachant le risque d’un vote sanction, ne pouvant ignorer que le poids du FN garantissait partout des triangulaires, connaissant la faible mobilisation des électeurs, les partis se devaient d’adapter leur offre et leur discours au contexte.

Or les voilà, par calcul, illusion ou pesanteurs institutionnelles, qui présentent une offre et une campagne totalement conformes au schéma politique traditionnel. Divisions à droite, encore plus nombreuses à gauche, et une absence de listes transversales sur des projets de territoire. On aurait voulu se précipiter dans un piège que l’on n’aurait pas fait mieux. Ces régionales risquent d’être le Dieng Biên Phû des partis de gouvernement.

Auteur.

Territoires d’incertitudes

Nous voici loin des perspectives que dégageaient les résultats bruts des dernières départementales. Nonobstant les différences de mode de scrutin et les évolutions politiques intérieures et extérieures, le score brut du mois de mars pouvait laisser espérer à la droite une victoire sans appel ; la gauche paraissant en situation de ne conserver qu’une région, le FN pouvant prétendre à la dernière.

Auteur.

Au vu du climat, de l’offre politique et de l’évolution des intentions de vote estimées par les sondages, la mêlée est beaucoup plus confuse et problématique à la veille du scrutin. Si la poussée du FN se confirme, et si la participation reste inférieure à 50 % comme aux élections précédentes, c’est toute l’image de l’hexagone qui s’en trouvera brouillée.

Auteur.

La droite semble aujourd’hui en situation d’emporter trois régions (Ile-de-France, Pays de la Loire et Centre), auxquelles on peut ajouter Auvergne-Rhône-Alpes ; la gauche peut-être une seule (Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon), avec une bonne option sur Bretagne et Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes ; le FN domine la situation dans une Région (Nord-Pas de-Calais-Picardie) et dispose d’une position favorable dans une autre (PACA).

Dans les trois autres régions, la situation est totalement aléatoire, parfois partagée à quasi égalité entre les trois membres de la triade (Normandie, Bourgogne-Franche-Comté).

Auteur.

La peur du FN évitera-t-elle le danger ? Le refus de l’extrémisme suffira-t-il à faire oublier le chômage aggravé et à retisser la confiance avec les partis ?

Tout tiendra dans la capacité de chaque camp à mobiliser des électeurs désemparés et désengagés, et à rassembler au deuxième tour. Tâche redoutable, quand la nationalisation des enjeux affaiblit d’autant la possibilité pour les candidats de s’appuyer sur leur capital régional et estompe le lien personnel aux élus locaux.

Il faudra, dans un entre-deux tours qui s’annonce terriblement douloureux, plus qu’un minimal appel au refus ou quelques combinaisons qui, pour être de circonstance, n’en paraîtront que plus suspectes.

Le risque est gros pour des partis démonétisés de se voir traiter à la manière du héros de Molière, s’ils s’en tiennent à des arrangements momentanés, d’ailleurs hétérodoxes en rapport au mode de scrutin.

Le moment est venu de boire le vin tiré d’années d’autisme politique et de renouveler le pacte démocratique en engageant l’avenir. Quelle que soit l’issue concrète de la joute, ces élections régionales auront des allures de fin de partie pour les partis de gouvernement.

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