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Face à des ressources naturelles comptées, instaurons le revenu de transition écologique

Repenser l’activité économique à l’heure où les ressources naturelles sont menacées. Shutterstock

Ce texte est publié en partenariat avec la revue numérique « La pensée écologique », dirigée par Dominique Bourg.


L’idée d’un revenu de base inconditionnel, qui serait versé à chaque personne indépendamment de son activité professionnelle, anime les milieux académiques et politiques depuis plusieurs décennies. L’une des propositions les plus récentes, formulée par le Mouvement français pour un revenu de base, s’élève à hauteur du RSA (soit 465 euros par mois et par adulte pour 2015).

Pour justifier son instauration, ses partisans invoquent différents arguments de nature philosophique, économique, sociale ou politique.

En toile de fond, sont évoquées les inquiétudes liées à l’avenir du salariat dans une société en proie à de graves problèmes d’exclusion, d’enfermement dans des trappes à inactivité et à l’automatisation.

Le débat de la présidentielle

Le principe d’une rente inconditionnelle a ainsi connu un succès d’estime durant la campagne présidentielle française de 2017 ; il a été défendu par des candidats de gauche et de droite, de Benoît Hamon à Nathalie Kosciusko-Morizet.

Dans le secteur numérique, Elon Musk, le créateur de Tesla, SpaceX et PayPal, envisage le RBI comme une opportunité intéressante pour accompagner l’automatisation de l’économie : une forme de revenu sans contrepartie pour compenser les pertes d’emploi massives qui vont se poursuivre avec le développement continu et croissant de l’intelligence artificielle et de la robotisation.

Le fondateur d’eBay, Pierre Omidyar, a de son côté récemment affirmé investir près de 500 000 dollars pour mener sur douze ans une expérimentation avec une ONG dans plusieurs centaines de villages au Kenya. L’enjeu est de sensibiliser les dirigeants politiques à l’opportunité d’un RBI dans un pays pauvre où la main-d’œuvre considérée « bon marché » est aussi menacée aussi par l’automatisation et la mondialisation.

Mais face à l’ampleur des problèmes socio-économiques et écologiques, le RBI est-il vraiment la solution ? Peut-on attendre d’une seule mesure monétaire des effets aussi ambitieux et contradictoires que la sortie des trappes à chômage, l’émergence d’activités écologiques ou citoyennes, le retour à la consommation de masse et la création de liens sociaux ? Rien n’est moins sûr.

Nous avançons ici une proposition qui, si elle semble proche du RBI, est radicalement différente, s’appuyant sur une autre représentation sociétale.

Social et écologie, même combat

L’enjeu principal concerne la combinaison des volets écologiques et sociaux. C’est autour de cette combinaison que tous les autres aspects s’articulent.

Prenons la question du chômage : avec la vague de robotisation qui s’annonce, les emplois sont menacés, des milliers de licenciements sont attendus, intensifiant le sentiment d’inutilité au sein de la population.

Pourtant, le travail reste encore générateur de lien social et porteur de sens. Alors, pourquoi attendre passivement que les vagues l’emportent ? Pourquoi ne pas prendre acte du fait que notre société évolue désormais dans un monde aux ressources limitées ?

Dans ce tel contexte, il nous faut évidemment revoir nos capacités productives (en limitant notamment le volume de nos extractions en ressources naturelles) ; mais de telles mesures nous permettront aussi d’aller dans le sens d’une société permacirculaire.

Pour créer les emplois de demain, il importe de valoriser une révolution socio-écologique, analogue à celle que nous connaissons dans le numérique ; des expérimentations déjà en cours, compatibles avec l’objectif de réduction de l’empreinte écologique à une planète, en constituent les signes avant-coureurs.

Ces activités ont émergé dans différents secteurs, de la production à la consommation, en passant par l’habitat, l’urbanisme, l’information, la gouvernance partagée, la mobilité et ce qui relève plus généralement du biosourcé avec, à titre d’exemple, le modèle de l’agroécologie, la chimie verte, le biomimétisme, la mutualisation des ressources, les fablabs, la consommation collaborative, les communs entrepreneuriaux. On a ainsi vu émerger des coopératives d’énergie renoulevable, des écohameaux et écovillages, des entrepreneurs actifs dans l’écomobilité ou encore des associations qui luttent contre la précarité énergétique.

Ce sont ces activités qu’un dispositif d’accompagnement de la transition écologique et sociale devrait encourager. Et c’est ici qu’intervient l’idée d’un revenu de transition écologique (RTE). Ce dispositif s’articule autour de trois axes.

Les trois composantes du RTE

La première caractéristique du RTE consiste à maintenir, contrairement au RBI, le couplage entre revenu et activité. Cette dernière est entendue au sens large : elle inclut le bénévolat, à caractère écologique ou social, et peut être continuellement enrichie par des propositions individuelles ou collectives.

La deuxième composante du dispositif consiste à ne pas se limiter à un revenu sous forme monétaire ; il s’agit de proposer aussi un dispositif d’accompagnement, fondamental pour encadrer les personnes porteuses de projets et celles déjà en transition. De ce point de vue, des méthodologies existent déjà, à l’instar de celle développée par Solidarités nouvelles face au chômage et grâce, notamment, à l’immense travail des associations comme le Pacte civique, ATD Quart-Monde ou le Secours catholique, présentes sur le terrain.

Enfin, la troisième composante du RTE tient à la nécessaire adhésion pour le percevoir à une structure démocratique. Celle-ci est entendue au sens large du terme ; elle pourrait reposer sur les modèles des coopératives d’activité et d’emploi, mais également sur les pôles territoriaux de coopération économique basés sur des coopérations entre acteurs privés et collectivités publiques, ou encore les Territoires zéro chômeur de longue durée.

Au sein de cette structure, chaque personne peut choisir de reverser son RTE ou de le conserver individuellement, sachant qu’il constitue un socle sur lequel s’additionnent les autres revenus et est récupéré par la fiscalité (le taux d’imposition augmente avec le revenu). Le système d’imposition progressif actuel serait donc maintenu et combiné avec, d’une part, la mise en place de taxes carbone ou une taxe dite de permarcircularité et, d’autre part, de monnaies locales complémentaires.

Un nouveau lien social

Le RTE vise ainsi clairement la réduction de l’empreinte écologique : en permettant de toucher un revenu en contrepartie d’une activité compatible avec la limitation des ressources naturelles de notre planète. En prenant en compte la dimension sociale et sans stigmatisation qui instaure une nouvelle hiérarchie des enjeux : tout le monde peut bénéficier d’un accompagnement qui inscrit un objectif global et en même temps plus précis que l’affirmation non ciblée des promoteurs du RBI de lutter à la fois contre le chômage, la pauvreté et le retour de la consommation.

En prônant, enfin, l’adhésion à une structure démocratique et à un nouvel imaginaire. Pas simplement la défense de la liberté individuelle de consommer ce que l’on souhaite avec un revenu monétaire, mais celle de s’engager pleinement dans les activités de son choix, en adhérant à un collectif qui partage des valeurs génératrices du nouveau lien social qui manque cruellement à nos sociétés.

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