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Face à la guerre, les électeurs français se rallient à Emmanuel Macron : pour combien de temps ?

Le président Emmanuel Macron tient une conférence de presse à l'issue d'un sommet des dirigeants de l'UE pour discuter des retombées de l'invasion de la Russie en Ukraine, au château de Versailles, près de Paris, le 11 mars 2022.
Emmanuel Macron tient une conférence de presse à l'issue d'un sommet des dirigeants de l'UE pour discuter des retombées de l'invasion de la Russie en Ukraine, au château de Versailles, le 11 mars 2022. Ludovic Marin/AFP

Au déclenchement de la guerre en Ukraine, de nombreux électeurs semblent s’être ralliés au président Emmanuel Macron. Dans la vague 6 de l’enquête électorale du CEVIPOF réalisée début mars, ce dernier était crédité de 30,5 % d’intention de vote au premier tour. Cet effet de ralliement est alimenté par une profonde anxiété à propos de la guerre, et il pourrait donner à Emmanuel Macron un élan décisif lors de l’élection présidentielle d’avril.

Depuis l’article fondateur du politologue américain John Mueller, paru dans les années 1970, le phénomène dit de « ralliement autour du drapeau » (rally round the flag) est un thème central de la science politique. Le concept d’un « effet drapeau » repose sur l’idée selon laquelle les grandes crises internationales renforcent généralement la cohésion nationale, tant au niveau des élites politiques que chez les électeurs. Chez ces derniers, cela se traduit notamment par un soutien accru au président en exercice.

Plus récemment, cet effet a pu être identifié aux États-Unis pour le président George Bush au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre 2001 : en quelques jours, la popularité du président américain avait bondi de 35 points, dépassant le précédent record établi par son père après le lancement de l’opération Desert Storm (Tempête du désert) en 1991 en Irak (+18 points de popularité).

Dans le contexte de l’élection présidentielle 2022 en France, un aspect important de cet effet drapeau est lié aux inquiétudes des électeurs face à la guerre en Ukraine. Les résultats de la vague 6 du Panel électoral du Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris (CEVIPOF) auprès d’un large échantillon national les 2 et 3 mars suggèrent que ces inquiétudes constituent un moteur important de la poussée de soutien enregistrée à l’occasion de cette enquête pour Emmanuel Macron.

Sous le choc, les électeurs se tournent vers Macron

Selon nos données, la guerre en Ukraine s’est imposée comme une préoccupation majeure pour 50 % des Français. Pour un autre tiers d’entre eux, la guerre est également un enjeu qui comptera dans leur choix de vote en avril, jusqu’à 55 % chez les électeurs de Macron. Dans un contexte marqué par ailleurs par la crainte d’une frappe nucléaire, une majorité écrasante (90 %) de répondants se dit très ou assez inquiète de la guerre et de ses conséquences.


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Conformément à l’hypothèse d’un effet drapeau, au moment du déclenchement de la guerre, le président Macron a bénéficié d’un relatif consensus transpartisan à gauche comme à droite de l’échiquier politique.

Il n’est pas surprenant, dans ce contexte, que le président sortant ait attendu la dernière minute pour se déclarer officiellement candidat, pour continuer de mettre en avant son action diplomatique et son rôle de « commandant en chef ».

Cet engagement international au premier plan de la crise a été par ailleurs renforcé par l’exercice actuel par la France de la présidence tournante de l’Union européenne (UE). Les images des dirigeants européens se rassemblant autour d’Emmanuel Macron pour un sommet à Versailles consacré à la crise ukrainienne ont incontestablement contribué à asseoir un peu plus la stature présidentielle du chef de l’État.

Le président français Emmanuel Macron, entouré des chefs d’État de l’UE, participe au sommet des dirigeants européens au château de Versailles, le 11 mars 2022
Le président français Emmanuel Macron, entouré des chefs d’État de l’UE, participe au sommet des dirigeants européens au château de Versailles, le 11 mars 2022. Ian Langsdon/AFP

Les voix dissonantes ont, au final, été assez peu nombreuses. Les candidats de la droite radicale, Marine Le Pen et Éric Zemmour, ont été contraints de soutenir à demi-mot l’action du président Macron, alors qu’ils ont par ailleurs eu à faire face aux conséquences de leurs positions pro-Poutine et, dans le cas de Marine Le Pen, de ses liens financiers passés avec la Russie.


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Plus au centre de l’échiquier politique, Valérie Pécresse, la candidate des Républicains (LR), peine encore à se faire entendre dans la campagne après un meeting très critiqué à Paris le mois dernier. Plus important encore, la candidate du parti LR n’a toujours pas réussi à trouver son espace politique entre Emmanuel Macron et l’extrême droite.

Une hausse substantielle de la cote de popularité de Macron

Comme le suggère la vague 6 de l’enquête du CEVIPOF, face à Emmanuel Macron, aucun des autres candidats ne semble convaincre les électeurs qu’il ou elle pourrait faire mieux en tant que futur président. Pour environ 60 % des Français, les choses iraient même plus mal si l’un des candidats radicaux à gauche ou à droite remportait l’élection.

Malgré les griefs socio-économiques intérieurs et les frustrations liées à l’augmentation du coût de la vie, les Français semblent encore se rallier au chef de l’État. Les sondages ont montré une hausse substantielle de la cote de popularité d’Emmanuel Macron depuis le début de la guerre en Ukraine : ce dernier a gagné cinq points dans le baromètre ELABE-Les Echos de mars.

Cette hausse de popularité s’accompagne d’une augmentation de son potentiel électoral au premier tour. Selon la vague 6 de notre enquête, les intentions de vote en faveur d’Emmanuel Macron ont grimpé de quatre points au premier tour, passant de 26 % juste avant la guerre à 30,5 % les 2 et 3 mars derniers.

Nos données montrent que les électeurs qui se sont tournés vers Macron viennent de tous les horizons : sur l’ensemble des « nouveaux » électeurs qui se sont ralliés au président au début du mois de mars, environ un tiers (30 %) proviennent de l’un des candidats d’extrême droite, un cinquième (20 %) de la droite classique et un quart (25 %) de la gauche. Pour un dernier quart, il s’agit d’abstentionnistes potentiels ou de votes blancs.

D’où viennent les nouveaux électeurs de Macron début mars ? Panel éléctoral national conduit par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), vagues 6 (24-27 Février 2022) et 6bis (2-3 Mars 2022).

L’anxiété liée à la guerre est un facteur important

En outre, nos données suggèrent que l’anxiété liée à la guerre constitue un facteur important de ces changements individuels. On observe des différences significatives en ce qui concerne le degré d’inquiétude des électeurs et leur perception des conséquences du conflit ukrainien.

Les électeurs qui ont rallié Emmanuel Macron depuis le début de l’invasion russe présentent un niveau d’anxiété beaucoup plus élevé. Parmi ceux qui se sont ralliés au président sortant, 55 % se disent très inquiets de la guerre, contre seulement 39 % parmi les électeurs restés fidèles aux autres candidats pendant la première semaine de l’invasion russe.

Inquiétudes liées à la guerre chez les nouveaux électeurs d’Emmanuel Macron et les électeurs restés fidèles aux autres candidats. Panel électoral National conduit par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), vagues 6 (24-27 Février 2022) et 6bis (2-3 Mars 2022).

Au début de la guerre, les craintes des électeurs concernent principalement un conflit plus large en Europe, beaucoup moins les conséquences économiques. L’effet de drapeau y apparaît assez fortement associé à la peur d’une extension du conflit. Parmi les électeurs qui se sont tournés vers Emmanuel Macron début mars, seulement 52 % se disent très inquiets des effets de la crise ukrainienne sur l’économie française, contre 43 % parmi ceux qui portent leur choix sur d’autres candidats. L’écart est plus important, en revanche, lorsque les électeurs envisagent un éventuel conflit plus large, avec une différence de 19 points entre les deux groupes.

L’effet drapeau permettra-t-il à Emmanuel Macron de gagner en avril ?

L’histoire nous a appris que les effets de ralliement ont généralement tendance à être éphémères et qu’ils ne permettent pas toujours aux candidats sortants de détourner l’attention du public des difficultés de politique intérieure.

Les rubans jaunes – du nom des symboles utilisés par les américains pour soutenir leurs troupes pendant la guerre du Golfe – ne donnent pas nécessairement un avantage durable à long terme au président en place.


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Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, les questions de politique nationale ont fait leur retour dans la campagne, en particulier sur les enjeux socio-économiques et le pouvoir d’achat. Lors de sa première réunion publique après l’annonce officielle de sa candidature, Emmanuel Macron a remis sous les feux de l’actualité une réforme des retraites potentiellement explosive qui témoigne, avec les mesures envisagées pour le RSA, d’un projet social dur.

Ce positionnement très libéral vise clairement à siphonner ce qu’il reste de l’électorat de droite classique à un moment où Valérie Pécresse apparaît en chute libre dans notre enquête, en baisse à 10,5 % des intentions de vote dans la vague 7 – désormais en cinquième position – et en recul de pas moins de cinq points depuis début février.

L’effet drapeau semble, toutefois, s’estomper : la vague 7 de notre panel, réalisée les 10-14 mars, donne 29 % d’intentions de vote en faveur d’Emmanuel Macron, en baisse de 1,5 point par rapport au début du mois.

Toute la question, dès lors, est de savoir si la situation internationale et les développements de la guerre en Ukraine dans les semaines à venir continueront de peser sur les anxiétés et les craintes, en faveur du président sortant. La vague 7 de l’enquête du CEVIPOF montre que les questions économiques sont aujourd’hui en tête des préoccupations des Français, devant la guerre.

Le plan de résilience adopté en urgence par le gouvernement Castex tente très clairement de répondre aux inquiétudes sur le pouvoir d’achat et d’étouffer tout début d’incendie social.

Si Jean-Luc Mélenchon, à gauche, et, surtout, Marine Le Pen, à droite, bénéficient aujourd’hui d’une dynamique portée par les inquiétudes sur les prix et le coût de la vie, la proximité de l’élection ne laisse qu’une courte fenêtre de tir pour tenter de mobiliser sur ces enjeux. Les élections présidentielles françaises sont, on le sait, historiquement imprévisibles, mais le contexte international paraît encore donner à Emmanuel Macron des chances sérieuses de ré-élection en avril prochain.

This article was originally published in English

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