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Faites du sport, vous gagnerez plus

Tournoi sportif des Grandes Écoles 2013 à La Défense. École Polytechnique, Université Paris-Saclay/Flickr, CC BY-SA

Récemment, deux articles universitaires, « Labor Market Effects of Sports and Exercise : Evidence from Canadian Panel Data » et « Mozart or Pelé ? The Effects of Teenagers’ Participation in Music and Sports » ont mis en avant le fait que la pratique d’un sport (mais aussi d’un instrument de musique) garantissait, toutes choses égales par ailleurs, une rémunération plus élevée sur le marché du travail. À partir d’un panel large, respectivement au Canada et en Allemagne, les auteurs ont découvert que les sportifs réguliers avaient tendance à gagner plus d’argent que les non-sportifs.

La prime au sportif

Ils rejoignent ici les conclusions des économistes américains Long et Caudill qui, en 1991, ont constaté que les sportifs étaient mieux rémunérés, sur le marché du travail, que les non-sportifs. Dans leur article « The impact of Participation in Intercollegiate Athletics on Income and Graduation », ils ont observé que le salaire pouvait varier de 5 %, pour un poste et des qualifications égales, entre un pratiquant régulier d’une discipline sportive et un sédentaire.

D’après eux, cela s’expliquerait par « la prime au sportif ». En tant qu’athlètes pratiquants, ils ont intégré et intériorisé l’idée de compétition, propre à la pratique intensive du sport de haut niveau, sont plus enclins à demander des promotions, à négocier plus longuement leur salaire lors de l’entretien d’embauche et acceptent des situations inégalitaires en leur faveur.

La peur du risque est plus faible et affecte moins les prises de décisions. De plus, ils verraient leurs collègues comme des concurrents potentiels et maintiendraient un état d’esprit offensif permanent.

Mais comment expliquer ce phénomène ? Comment la simple pratique pourrait influer sur le salaire futur d’un agent et sur son parcours de vie ? Pourquoi le sport impacte-t-il plus durablement les choix et les comportements des individus ?

Comportements sportifs et professionnels : un test

Les économistes Nicolas Eber et Marc Willinger ont réalisé une étude expérimentale, en 2006, à l’Institut d’Études politiques de Strasbourg avec les étudiants de première année. Ils ont fait passé deux questionnaires à 115 élèves, dont la moitié étaient des sportifs réguliers, titulaires d’une licence sportive et participants à des compétitions. Leur objectif était de vérifier, à partir des sciences expérimentales, les conclusions de Long et Caudill : un sportif est-il plus rationnel et plus compétitif qu’un non-sportif ?

Les deux tests consistaient à étudier la rationalité des individus face à un choix économique et la réaction face à une situation inégalitaire. Dans le premier, il s’agissait du jeu de l’ultimatum : on vous donne 100€ (de manière fictive) et vous devez donner une partie de cette somme à quelqu’un que vous ne connaissez pas et que vous ne verrez jamais. Si cette personne refuse ce cadeau, personne n’a rien. Combien lui donnez-vous ? L’idée est de mesurer le sentiment d’altruisme (le don gratuit), mais aussi la rationalité (est-il raisonnable de donner de l’argent à quelqu’un et combien ? Personne ne pourrait refuser de l’argent qui « tombe du ciel », n’importe qui devrait accepter le don même s’il s’agissait seulement de 1€).

Quant au deuxième questionnaire, il mettait les étudiants face à la physionomie suivante : vous obtenez une promotion. Soit vous et votre collègue obtenez 500€ par mois en plus, soit vous obtenez 600€ en plus, mais votre collègue touchera 800€ par mois supplémentaire. Préférez-vous l’égalité sans discrimination, quitte à renoncer à un salaire plus élevé (choix numéro 1), ou une rémunération plus haute en sachant qu’autrui aura plus (choix numéro 2) ?

Dans l’ensemble, les non-sportifs acceptent de donner, en moyenne 37,15€ à l’inconnu dans le premier jeu, contre 31,30€ pour les sportifs. Une différence statistiquement significative. Autrement dit, les sportifs auraient intégré l’idée d’une rationalité économique basée sur la préférence des utilités individuelles. Ils préfèrent conserver plus pour eux que pour autrui, un concurrent potentiel.

De plus, ils ne partent pas du principe que la deuxième personne pourrait potentiellement refuser son offre, on ne rejette pas « de l’argent qui tombe du ciel ». Les sportifs sont davantages guidés par leur raison que par leurs émotions contrairement aux non-sportifs, focalisés sur des sentiments altruistes et moraux. Eber et Willinger répètent :

« Une telle interprétation renvoie à l’idée parfois avancée selon laquelle la pratique sportive apprend aux jeunes à maîtriser leurs émotions et à prendre très rapidement les bonnes décisions dans des contextes émotionnels difficiles (stress, pression, etc.) ».

Pratiques de garçons et de filles

Concernant le deuxième jeu, la différence est plus sensible s’il s’agit d’une fille sportive ou d’un garçon sportif. En effet, un garçon sportif privilégiera le choix numéro 2, toucher 600€ et donner à l’autre 800€, dans 86,96 % des cas. Ils sont moins sensibles à l’inégalité que les non-sportifs hommes puisque ces derniers optent pour ce choix dans 76,92 % des cas. Les sportifs ne se focaliseraient que sur eux, sans penser aux conséquences sociales. « Ils veulent gagner plus, c’est tout ce qui les emporte. […] L’idéal individualiste l’emporte ».

Quant aux filles, la pratique sportive relève un point intéressant : elle développe la sensibilité aux inégalités. Les non-sportives optent pour le choix numéro 2 dans 53,06 % des cas alors que les sportives dans seulement 42,86 % des cas. D’après les auteurs, cela s’expliquerait par la distinction sociologique entre le sport des filles et celui des garçons : « En effet, les pratiques sportives des filles et des garçons sont distinctes à la fois en termes de choix d’activité et en termes de motivation ».

Schématiquement,

« les garçons sont plutôt poussés vers les sports physiques, de contact (football, rugby, judo, etc.), et cela dans une optique compétitive (développement de la confiance en soi et de l’esprit de compétition), quand les filles sont plus naturellement orientées vers les sports techniques (équitation, tennis, sports de glace, danse, etc.) dans une optique de santé, d’esthétisme, mais aussi d’"émancipation sociale". Si l’on accepte ce schéma issu de la sociologie du sport, il est dès lors tout à fait concevable que la pratique sportive ait des effets très différents sur les comportements sociaux des garçons et des filles, et ce précisément dans le sens observé dans l’étude. Ici, les données expérimentales sont totalement en phase avec cette vision dichotomique de la pratique sportive des garçons et des filles puisqu’elles suggèrent une intensification de l’esprit de compétition chez les premiers et, au contraire, une ouverture sociale plus forte chez les secondes ».

Les sportifs et l’esprit de concurrence

Les sportifs dégageraient ainsi un comportement divergent par rapport au commun des mortels. En intégrant une rationalité économique proche de la théorie néoclassique, ils réalisent des choix en adéquation avec l’optimisation de leur réussite professionnelle.

Néanmoins, une limite est à poser concernant le choix du sport pratiqué. En effet, l’étude d’Eber et Willinger ne s’est pas intéressée à la discipline, qu’il s’agisse d’un sport collectif ou individuel, d’un sport de contact ou technique. Ils constatent des différences entre les garçons et les filles, où ces dernières seraient plus sensibles à l’inégalité et plus ouvertes socialement, en se basant sur l’hypothèse des schémas sociétaux.

Se pourrait-il que ces derniers expliquent, en partie, les différences salariales entre les hommes et les femmes sur le marché du travail ? La réponse est encore à chercher.

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