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Une tique du genre Hyaluromma, sur un sol sablonneux.
Les tiques du genre Hyaluromma peuvent transmettre le virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo. Yakov Oskanov/Shutterstock

Fièvre hémorragique de Crimée-Congo en France : la menace se précise

Dans le grand ballet mondial des maladies virales transmis par les insectes ou arachnides se nourrissant de sang, certains virus ont tenu des rôles de premier plan ces dernières années. Dengue, chikungunya, ou virus Zika sont notamment devenus célèbres depuis qu’ils ont atteint des régions où ils ne circulaient pas habituellement, comme le sud de la France.

À cette liste pourrait bientôt s’ajouter le virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo. En effet, le nombre d’infections par ce virus transmis par les tiques s’est accru en Europe. À l’automne 2023, Santé publique France a rapporté son identification dans une espèce de tiques invasives implantée dans le sud du pays. Que faut-il savoir ?

Première identification directe en France

Le 24 octobre 2023, Santé publique France annonçait que le virus de la fièvre de Crimée-Congo (FHCC) avait été identifié dans des tiques du genre Hyalomma (aussi appelées tiques à pattes rayées) collectées dans des élevages bovins dans le sud de la France.

En France, le seul cas humain connu jusqu’ici était un cas d’importation : celui d’une personne en provenance du Sénégal. À cette exception près, le virus n’avait été qu’indirectement détecté, notamment sur le bétail, lors d’enquêtes de séroprévalence. Celles-ci consistent à rechercher dans le sang la présence d’anticorps dirigés contre certains pathogènes (ce qui témoigne d’une infection par lesdits pathogènes).

Cette découverte, effectuée par des spécialistes du Cirad et confirmée par le Centre national de référence des fièvres virales hémorragiques de l’Institut Pasteur, est importante, car elle permettra de mieux évaluer les risques d’émergence de cette maladie dans notre pays. Il ne s’agit cependant pas d’une surprise.

Un virus qui circulait en Europe

Depuis 2013, 13 cas de FHCC autochtones – autrement dit, contractés dans le pays – sont survenus en Espagne. Par ailleurs, des travaux rétrospectifs avaient également révélé que des poches de sang collectées en 2013 contenaient des anticorps ciblant le virus responsable de la maladie, ce qui signifie que les donneurs ont été en contact avec lui. Depuis en Europe occidentale, la maladie est considérée comme installée de manière pérenne.

C’est en 1944, lors de l’avancée de l’Armée rouge, que cet agent pathogène a été identifié pour la première fois, en Crimée (région ukrainienne annexée en 2014 par la Russie). En 1969, lors d’une épidémie au Congo, les scientifiques se sont aperçus que le virus incriminé était le même que celui de 1944. L’association des deux noms a donné le terme de fièvre hémorragique Crimée-Congo.

On sait aujourd’hui que cette maladie circule de l’Asie (surtout en Asie Mineure) à l’Afrique, en passant par l’Europe du Sud et de l’Est, particulièrement dans les Balkans. Comment s’explique cette très large aire de répartition ? La réponse se trouve du côté du vecteur de ce virus : la tique du genre Hyalomma sp..


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Une tique qui se déplace par la voie des airs

Les tiques appartenant au genre Hyalomma sp (dont les principales espèces sont H. marginaatum et H. lusitanicum) sont présentes sur le pourtour méditerranéen depuis plusieurs décennies.

Originaires d’Asie et d’Afrique, elles sont transportées par les oiseaux migrateurs. Relâchées au-dessus des territoires survolés, elles peuvent s’y implanter lorsque les conditions sont favorables. C’est de cette façon que Hyalomma est arrivée en Corse, dans les années 1950.

On pense aujourd’hui que les changements climatiques, qui accroissent les températures estivales, diminuent l’hygrométrie, et augmentent les températures minimales en hiver, facilitent de telles implantations.

Autre différence : les tiques du genre Hyalomma chassent activement, contrairement aux autres tiques qui restent plutôt à l’affût.

Association de malfaiteurs

Après éclosion, Hyalomma passe par trois stades de développement : larves, nymphes et adultes (mâles et femelles).

Comme toutes les tiques, Hyalomma alterne au cours de son existence des phases « libres » et des phases parasitaires au cours desquelles elle prend son repas de sang sur des vertébrés, avant chacune de ses métamorphoses, ou avant la ponte.

Si les adultes se nourrissent habituellement sur de grands mammifères (bovins, ovins, caprins, équidés…), les hôtes des larves et les nymphes sont généralement plutôt de petits vertébrés (hérissons, musaraignes ou rongeurs tels que rats, souris, lièvres et lapins…).

Lorsqu’une tique contaminée par le virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo se nourrit sur un hôte, le virus peut passer dans son sang, et contaminer ensuite d’autres tiques qui propageront à leur tour le virus.

Il existe aussi une transmission horizontale appelée « co-feeding », qui correspond à un échange de salive entre tiques sur un même point de piqûre (sans que le virus ne passe par le sang). Lorsqu’une femelle Hyalomma infectée pond des œufs, les larves qui éclosent possèdent aussi un pouvoir infectant.

L’être humain est un hôte « accidentel » de la tique : il se retrouve parasité lorsqu’il pénètre dans les écosystèmes où vivent les hôtes habituels de Hyalomma. Le pic de contamination, qui correspond au pic d’activité de la tique, se situe entre avril et juillet.

Des formes sévères dans 20 % des cas

Les êtres humains sont généralement contaminés par le virus de la FHCC soit par piqûre de tique infectée, soit par contact avec du sang ou d’autres liquides biologiques issus de mammifères d’élevage infectés.

La contamination peut aussi se faire par transmission interhumaine, en cas de contact avec du sang ou des liquides organiques (la transmission en milieu hospitalier, notamment auprès de malades très symptomatiques, est une grande préoccupation), et parfois via les surfaces inertes et matériaux contaminés par le virus.

De très rares cas de possible transmission par voie sexuelle et par voie materno-foetale sont également soupçonnés. Par ailleurs, une transmission par aérosolisation de gouttelettes a été parfois rapportée.

Classiquement l’incubation (la durée entre l’infection et le début des symptômes) est de 2 à 14 jours, avec une durée moyenne de 5 jours. Bien que ce virus se nomme fièvre hémorragique de Crimée-Congo, il faut souligner que les formes hémorragiques ne sont pas systématiques.

Environ 80 % des personnes infectées n’auront qu’une infection paucisymptomatique, se limitant à un tableau de symptômes pseudo-grippaux, voire asymptomatique (sans aucun symptôme). Les 20 % de patients infectés restant présentent en revanche des formes symptomatiques pouvant être sévères et nécessiter une hospitalisation.

Une maladie qui évolue en trois phases

Généralement les formes sévères de la maladie se déroulent en 3 phases :

  • La phase préhémorragique aspécifique, de type pseudogrippal (jour 1 à jour 7) : les patients ont de la fièvre, des douleurs musculaires (myalgies), des maux de tête (céphalées), des nausées avec vomissements et des diarrhées ;

  • La phase hémorragique (jour 7 à jour 10) : les malades présentent un syndrome hémorragique externe se traduisant par divers symptômes tels que des saignements de nez (épistaxis), de petites tâches rouges ou violacées sur la peau (pétéchies), des ecchymoses, des lésions hémorragiques de la peau et des muqueuses (purpura), des saignements des gencives (gingivorragies), des hémorragies sous-conjonctivales (la conjonctive est le tissu transparent qui recouvre le globe oculaire et la face interne des paupières), la présence de sang dans les urines (hématurie) ou dans les vomissements (hématémèse) ;

  • La phase de convalescence (jour 10 à jour 20) : celle-ci se traduit généralement par une grande fatigue (asthénie), une tachycardie, une instabilité de la tension, des pertes de cheveux (alopécie), des troubles de l’attention et de la mémoire, ainsi que des troubles psychiques (troubles somatoformes : les patients accordent une attention excessive à certains symptômes physiques, ce qui génère chez eux inquiétude et souffrance).

Selon les données de l’Organisation mondiale de la Santé, le taux de létalité des formes sévères de cette fièvre hémorragique est de 5 % à 40 %.

Cependant, ces données proviennent d’époques et de régions très diverses où l’accès aux soins, notamment aux soins intensifs et à la réanimation, a pu s’avérer difficile. Ce taux de létalité peut être très largement abaissé lorsque des soins intensifs de qualité sont procurés précocement par des équipes expérimentées.

Diagnostic et prise en charge

Le diagnostic de la maladie repose sur des analyses par RT-PCR, une technique de biologie moléculaire basée sur la détection et l’amplification du matériel génétique du virus.

La prise en charge diagnostique doit être systématiquement transmise au Centre national de référence (après discussion et accord de celui-ci) et les échantillons manipulés dans des locaux adaptés à la dangerosité du virus. Il s’agit d’un pathogène de classe 4, qui doit donc être manipulé dans une enceinte de confinement de type BSL4 (ou P4), des laboratoires de haut confinement biologique dédiés à l’étude des virus les plus dangereux.

Il n’existe pas pour l’heure de médicament clairement validé pour les cas symptomatiques de fièvre hémorragique de Crimée-Congo.

L’OMS recommande d’administrer le plus précocement possible de la Ribavirine IV, un antiviral anciennement utilisé notamment pour lutter contre le virus de l’hépatite C. Cependant, les différents travaux de recherche visant à évaluer l’apport de cette molécule en curatif n’ont pas permis d’établir un consensus solide quant à son efficacité.

La meilleure prise en charge consiste à isoler rapidement le patient dans des services dédiés, avec une équipe formée à ce genre de pathologie capable de réaliser des soins visant à traiter les symptômes (hydratation, transfusion). Ce type d’unité existe au sein des établissements de santé de référence qui maillent le territoire.

Pour l’instant, aucun vaccin validé n’est disponible pour lutter contre la FHCC (un vaccin est utilisé en Bulgarie, mais il n’a pas été validé les instances sanitaires internationales, du fait du manque de données fiables le concernant). Dans le monde plusieurs dizaines de projets de plates-formes vaccinales sont en cours de développement, y compris en France.

Que faire pour se protéger ?

En l’absence de prise en charge spécifique faisant consensus (vaccin et traitement), la prévention est primordiale. Certaines actions très simples s’avèrent très efficaces pour limiter le risque d’infection :

  • dans les zones où peuvent sévir les tiques, privilégier le port de chaussures fermées ainsi que de vêtements couvrants, et penser à enfiler le pantalon dans les chaussettes.

  • privilégier les chemins balisés (ce qui permet aussi de préserver la nature) ;

  • utiliser des répulsifs cutanés.

Au retour de promenade ou d’intervention, inspecter systématiquement son corps, en particulier au niveau des plis de la peau, sans oublier le cuir chevelu.

Si une tique est présente, la détacher à l’aide d’un tire-tique, sans utiliser d’alcool ou d’éther. Il faut ensuite désinfecter le site de piqûre, puis surveiller l’état général. Si des symptômes apparaissent dans le mois qui suivent, il faut rapidement consulter son médecin.

Rappelons que toute piqûre n’est pas forcément infectante, elle dépend de divers facteurs (espèce de tique, nombre, stade de développement, quantité d’animaux réservoirs, etc.).

Si la détection du virus sur des tiques vectrices, dans le sud de la France, est certes une source de préoccupation, il ne faut pas tomber dans l’alarmisme. En effet, pour l’instant, la probabilité d’une transmission vectorielle autochtone demeure faible en France métropolitaine.

Seules certaines catégories de la population sont réellement à risque de contacter cette pathologie : agriculteurs, éleveurs, vétérinaires, équarrisseurs, ainsi que les randonneurs et autres campeurs en période estivale.

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