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L'inflation monte en flèche, mais les investisseurs ne semblent pas pour autant demandeurs sur les marchés secondaires des obligations qui la prennent en considération. Gerd Altmann / Pixabay, CC BY-SA

Finance : pourquoi les obligations protégées de l’inflation souffrent quand même de la hausse des prix

La chose semble paradoxale. L’inflation a augmenté de manière inédite, à un taux annuel de 6,2 % en 2022 en France (l’Insee anticipe même 7 % sur un an en janvier 2023) : on pourrait alors penser que des titres un peu particuliers, les obligations indexées sur cet indicateur, suivent le mouvement. Puisque leur valeur est protégée de la hausse des prix, elles devraient logiquement être plus demandées et voir leur prix augmenter.

Et pourtant c’est le contraire que l’on observe. L’indice global des cours des obligations publiques françaises indexées sur l’inflation, a baissé de 8,45 % depuis le début de l’année. Sur la même période, le même indice aux États-Unis a lui baissé de 11,17 %.

Comment l’expliquer ? Pour comprendre, ce qu’il se passe, il est tout d’abord utile d’examiner le cas plus simple des obligations ordinaires.

Une obligation est un titre de dettes, valable un temps donné, distribué lorsqu’un investisseur prête de l’argent. Elle confère à son détenteur le droit de recevoir une somme périodique nommée « coupon » et, à la maturité, le remboursement de ce que l’on appelle le « principal ».

Des paramètres fixes dans le temps, mais des exigences qui évoluent

Lorsque les perspectives d’inflation augmentent, l’investisseur exige des taux de rendement plus élevés pour plusieurs raisons.

D’une part, il essaie de préserver le pouvoir d’achat des capitaux qu’il prête. Au moment où la dette lui est remboursée, il ne faut pas qu’il puisse acheter moins avec son argent par rapport au moment où il l’a prêté, ce qui est le cas quand les prix augmentent et que le montant de cet argent reste le même.

D’autre part, en période d’inflation, il s’attend à ce que les banques centrales augmentent les taux courts pour lutter le phénomène. L’estimation de ce qu’il obtiendrait par une succession de placements à court terme augmente, ce qui le conduit à hausser le rendement qu’il exige sur les obligations à long terme.

Une obligation est souvent émise « au pair », c’est-à-dire à un prix initial égal au principal. Dans ce cas, le coupon est calibré pour qu’il représente, en pourcentage du principal, le taux de rendement exigé par l’investisseur lors de l’émission. Ce taux de rendement exigé d’une obligation ordinaire est nominal. Ce rendement est obtenu en additionnant un taux réel exigé et une perspective d’inflation.

Cependant, alors que ces paramètres, les montants du coupon et du principal, sont calibrés une fois pour toutes, les exigences de l’investisseur, elles, vont évoluer au cours de la durée de vie de l’obligation. La solution pour lui est alors de se tourner vers les marchés secondaires, là où les investisseurs se rachètent et revendent des titres entre eux.

La variable qui y permettra un ajustement aux exigences de l’investisseur est le prix de l’obligation. Pour que le coupon et le principal, qui sont tous les deux fixes, produisent le taux de rendement exigé quand celui-ci augmente, alors le cours de l’obligation doit baisser. En effet, si l’on souhaite obtenir une différence relative plus importante entre son investissement au départ et ce que l’on touche à l’arrivée, et si ce que l’on touche à l’arrivée ne peut varier, alors il faut que ce que l’on investit au départ diminue.

On comprend donc pourquoi, lorsque les rendements exigés par les investisseurs augmentent suite à une hausse de l’inflation, les prix des anciennes obligations diminuent sur le marché secondaire.

Quand l’inflation engendre une baisse des prix

Revenons maintenant à notre cas plus spécifique, celui d’une obligation indexée. Elle est également émise avec un principal et un coupon décidés à l’avance et inchangés ultérieurement mais son fonctionnement diffère d’une obligation ordinaire de plusieurs manières. D’abord, à la maturité, les détenteurs sont remboursés du principal augmenté de l’inflation cumulée depuis l’émission. Le coupon de chaque période est lui augmenté de l’inflation cumulée jusqu’alors. Un coupon réel en pour cent est en effet appliqué au principal indexé de l’obligation.

Pour le cas simple d’une inflation annuelle constante, cela implique que le taux de rendement nominal d’une obligation indexée est égal à l’addition du coupon réel en pour cent et du taux d’inflation réalisée, quelle qu’elle soit. Le coupon réel en pour cent, décidé à l’émission, est donc un taux de rendement réel garanti, quelle que soit l’inflation ultérieure. Il est choisi pour correspondre au taux de rendement réel exigé par les investisseurs lors de l’émission.

En France, environ 12 % de la dette publique est émise sous cette forme, ce qui explique en partie que les intérêts à payer, le « service de la dette », aient significativement augmenté en 2022.

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Aussi longtemps que le taux de rendement réel exigé par les investisseurs se trouve inchangé, et quelles que soient les variations de l’inflation, le prix de l’obligation indexée va donc rester constant sur le marché secondaire. Mais évidemment le taux de rendement réel exigé par les investisseurs évolue de manière continue en fonctions de toute une série de facteurs autres que l’inflation. Et comme le principal à indexer et le coupon réel en pour cent restent inchangés jusqu’à la maturité, c’est une nouvelle fois le prix de l’obligation sur le marché secondaire qui s’ajustera.

Si le taux de rendement réel exigé était resté constant depuis le début de l’année, le cours des obligations indexées serait resté inchangé, alors même que l’inflation a fortement augmenté. Si les obligations indexées ont baissé depuis le début de l’année, c’est parce que le taux de rendement réel exigé par les investisseurs a augmenté.

L’augmentation du taux de rendement réel exigé par les investisseurs peut s’expliquer partiellement par un effet indirect de l’inflation qui a détérioré les perspectives de croissance. Les investisseurs sont devenus plus sensibles au risque, les dettes des États moins solides et les taux à court terme réels attendus à la suite de la réaction des banques centrales plus élevés. Il y a bien sûr d’autres causes que l’inflation, mais cet effet paradoxal, une inflation qui engendre une baisse de prix, méritait d’être signalé.

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