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François Mitterrand, un modèle de communication dépassé pour l’Élysée

François Hollande, aux côtés de Mazarine Pingeot et Gilbert Mitterrand le 8 janvier, devant la tombe de François Mitterrand, à Jarnac. Régis Duvignau/AFP

En 2012, nombre de commentateurs soulignèrent l’aisance en meeting du candidat socialiste, François Hollande, qui n’était pas sans faire penser à François Mitterrand. Ses postures sur scène semblaient même emprunter au seul président socialiste élu jusque-là.

Et depuis, François Hollande n’aura cessé d’être comparé à son prédécesseur. Il en a lui-même joué dans la campagne, mais aussi depuis, n’hésitant pas à bousculer son agenda, pourtant déjà chargé par les commémorations des attentats de janvier 2015, pour se rendre à Jarnac le 8 janvier dernier, jour du vingtième anniversaire de la mort de François Mitterrand.

L’ombre de son prédécesseur pèse donc sur la communication de François Hollande, et les commentateurs médiatiques ne cessent de l’y ramener pour mieux le comparer. Nous chercherons donc à comprendre les raisons de la force de ce modèle de communication mitterrandien et à voir s’il peut toujours aujourd’hui, servir de vade mecum à un président sortant en mal de popularité.

Un café chez Lucette

Comment peut-on expliquer que, même trente ans après, la communication mitterrandienne fascine et inspire autant ?

Dans l’histoire de la Ve République, François Mitterrand est un cas à part. Il détient le record de longévité pour un président de la République (14 ans). Avec Jacques Chirac il est ainsi le seul à avoir été réélu et sans avoir besoin des conditions spécifiques du scrutin de 2002. Sa communication constitue donc une source d’inspiration, un modèle pour tous les politiques, de gauche (François Hollande, Jean-Luc Mélenchon), comme de droite. Ainsi Nicolas Sarkozy s’était inspiré de l’affiche de 1988, « La France unie », pour la réalisation de la sienne en 2012 : « La France forte ».

Un modèle de communication si puissant, que l’on a élevé son principal conseiller en communication, Jacques Pilhan, au rang de mythe. Son entretien avec François Furet, pour Le Débat en 1995, est presque devenu un livre saint, psalmodié dans les cours de communication, alors que chaque candidat, à défaut du « sorcier de l’Élysée » cherche la grâce en ceux qui ont pu l’approcher. Cette recherche d’inspiration est une des raisons du choix de Claude Sérillon comme conseiller en communication de François Hollande, au début du quinquennat. Claude Sérillon avait en effet bien connu Jacques Pilhan à la fin de sa vie.

Visite en toute discrétion chez Lucette, novembre 2015. DR

Du côté du président actuel, on ne se contente pas de singer l’entourage du prince socialiste, on cherche aussi à imiter les événements qui ont marqué la communication de François Mitterrand. Ainsi, le « café chez Lucette », en novembre dernier, avait de faux airs de visite chez les paysans, accomplie par François Mitterrand en 1984, la discrétion des caméras en moins. De même, le retour en grâce de la conférence de presse a des allures très mitterrandiennes, l’ancien chef de l’État ayant à plusieurs reprises marqué les esprits par la maîtrise de cette situation de communication.

1988, l’exploit de François Mitterrand

Quant à la raréfaction de la parole présidentielle, chère à Jacques Pilhan, elle a aussi joué au début du quinquennat, à une époque où François Hollande tentait de faire oublier le « président normal ». Stratégie qui l’a vite fait apparaître comme lointain et hautain, sentiments renforcés par le pamphlet de Valérie Trierweiler à son encontre.

Francois Mitterand, « La France unie », 1988.

Mais la plus grande source d’inspiration semble être la campagne de 1988. Afin de renouveler l’exploit de François Mitterrand – et alors même qu’il n’y a pas de cohabitation – l’exemple de la « France unie » s’impose. C’est ainsi que François Hollande a recherché, et en particulier depuis les attentats, à apparaître comme le président rassembleur, au-dessus des partis, qu’avait réussi à incarner François Mitterrand en 1988.

Sa volonté de mettre en avant la jeunesse (cérémonie du Panthéon, vœux à la jeunesse ce 11 janvier) n’est pas non plus sans rappeler le président rassemblant autour de lui les jeunes manifestants de 1986 et ceux de SOS Racisme.

Si la prégnance de ce modèle de communication mitterrandien peut s’expliquer par le succès de 1988, on peut toutefois s’interroger sur sa pertinence aujourd’hui.

Le bouleversement de l’information en continu

On a vu que la stratégie de raréfaction de la parole présidentielle, devant créer du désir et ainsi imposer plus fortement les prises de parole du chef de l’État, n’avait pas connu un succès en 2012-2015 similaire à celui de 1984-1988.

Le système médiatique a en effet complètement changé. Il est quasiment impossible de vouloir raréfier la parole, alors que les médias se sont multipliés, ainsi que le rythme de l’information. Avec l’émergence des chaînes d’information en continu, devenues gratuites avec la TNT, la réponse politique ne peut plus se faire attendre.

On a vu pendant « l’affaire Cahuzac » à quel point le respect du silence pouvait envenimer les événements. Même l’allocution présidentielle, pourtant gage, du temps de François Mitterrand, de sacralité présidentielle, peut-être questionnée par une adolescente comme Léonarda.

Modèle ou source d’inspiration ?

Le numérique est surtout le changement majeur qui rend l’exemple de François Mitterrand en grande partie obsolète. D’abord négligé par François Hollande, adepte de l’écrit, l’Élysée s’est, désormais, pleinement adapté à ce renouvellement de la communication via ses comptes Twitter et Facebook. Le président est ainsi la personnalité politique la plus suivie en France sur Twitter (plus de 1,3 million de followers) et arrive troisième sur Facebook (plus de 758 000 likes pour sa page).

Cette communication plus directe, plus interactive, et sans médiation oblige à opter pour un ton différent de ce qu’avait pu faire François Mitterrand.

Plus l’échéance de 2017 va se rapprocher, plus la communication mitterrandienne va remonter à la surface médiatique. D’autant que l’année 2016 est celle du vingtième anniversaire de la mort de ce dernier, mais aussi le 70e anniversaire de sa première élection en tant que député  et le 100e anniversaire de sa naissance. Exemple utile, il devra rester une source d’inspiration et non un modèle à imiter, au risque de perdre de vue, comme cela fut le cas au début du quinquennat, les mutations considérables de la communication depuis une trentaine d’années.

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