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Frédérik De Klerk, héros de la fin de l’apartheid malgré lui ?

Hommes en costume médaillés se serrant la main.
Frédérik De Klerk et Nelson Mandela accompagnés de Bill Clinton durant la remise de la médaille de la liberté de la ville de Philadelphie, le 4 juillet 1993. Tom Mihalek/AFP

Rares sont les figures historiques d’Afrique du Sud qui suscitent autant d’opinions divergentes que Frederik Willem De Klerk, qui vient de mourir à l’âge de 85 ans. Président du pays de 1989 à 1994, il est vu par certains comme l’un des principaux artisans de la fin du système de l’apartheid, ayant su éviter que l’effondrement de ce régime s’accompagne d’un bain de sang. Mais, pour beaucoup d’autres, il aura seulement été le dernier chef d’un système intrinsèquement violent et injuste.

En reconnaissance de son rôle dans la disparition de l’apartheid officiel, Frederik De Klerk a reçu le prix Nobel de la paix en 1993, aux côtés de Nelson Mandela, lequel allait devenir un an plus tard le premier président sud-africain de l’ère démocratique. De nombreux historiens ont souligné l’inhabituel renoncement au pouvoir de la minorité blanche de l’époque, qui permit de mettre fin à l’apartheid. Frédérik De Klerk a sans doute joué un rôle important à cet égard.

Frédérik De Klerk et Nelson Mandela posent avec leurs médailles et diplômes du prix Nobel de la paix. Gérard Julien/AFP

Il ne faut toutefois pas oublier que, quelques années plus tôt, Mandela avait qualifié De Klerk de « chef d’un régime minoritaire illégitime discrédité […] et amoral » – des mots qui traduisent non seulement l’animosité entre les deux dirigeants, mais aussi les sentiments de beaucoup, sinon de la plupart, des Sud-Africains.

Le fait que Frederik De Klerk ne se soit jamais vu et n’ait jamais vu le régime du Parti national ainsi est paradoxalement ce qui lui a permis de conduire le parti à renoncer au pouvoir de l’État. Bien que ce ne fut pas son intention première.

La fin de la guerre froide a eu deux conséquences majeures pour l’Afrique du Sud : d’une part, l’Union soviétique a cessé de soutenir les organisations anti-apartheid ; d’autre part, l’Occident n’a plus eu besoin de s’appuyer sur le régime de l’apartheid pour renforcer ses positions sur le continent africain.

Dans le même temps, les sanctions internationales adoptées à l’égard du régime de l’apartheid, le coût des opérations militaires conduites en Afrique australe et une insurrection populaire toujours aussi intense ont plongé le pays dans une crise économique.

Dans ce contexte, l’apartheid a perdu son emprise hégémonique sur l’intelligentsia afrikaner, le monde des affaires, les médias et les Églises : partout, des doutes de plus en plus forts se faisaient jour quant à la moralité et l’applicabilité du régime.

Un idéologue convaincu de l’apartheid

Frederik De Klerk sera principalement retenu pour son célèbre discours du 2 février 1990, dans lequel il annonçait la levée de l’interdiction du Congrès national africain (ANC) et d’autres mouvements de libération.

Mais il ne faut pas y voir une conversion miraculeuse au principe de la majorité noire.

L’annonce a plutôt été faite par pragmatisme. Frederik De Klerk prenait un risque stratégique pour reprendre l’initiative, dans une situation où les options autres que l’intensification de la répression militaire se réduisaient rapidement.

Frédérik De Klerk annonce la fin de l’Apartheid et la libération de Nelson Mandela, INA, archive du 2 février 1990.

De fait, au regard de sa vie, le président sud-africain blanc ne sembler guère destiné à être le maître d’œuvre d’un tel processus.

Né le 18 mars 1936 à Johannesburg, il est issu d’une lignée de dirigeants du Parti national, qui est arrivé au pouvoir en 1948 en tant que porte-étendard de la politique d’apartheid. Son oncle, Johannes Strijdom, a été le deuxième premier ministre de l’apartheid tandis que son père, Jan De Klerk, a été ministre sous trois gouvernements de ce régime.

Frédérik De Klerk était associé à l’aile conservatrice du Parti national. Actif dans les organisations nationalistes afrikaners dès son plus jeune âge, il a été élu au Parlement au début des années 1970.

Sa carrière politique confirme son engagement en faveur du système en place. Après avoir accédé à un poste ministériel du Parti national à la fin des années 1970, il a enchaîné les portefeuilles clés, contribuant à la domination exercée sur les Noirs.

Ainsi, il a été le principal responsable politique en charge de la mise en œuvre de « l’éducation bantoue » en tant que ministre de l’Éducation entre 1984 et 1989. Ce système a été dévastateur, renforçant la hiérarchie raciale par la limitation des opportunités accessibles aux Noirs dès leur plus jeune âge.

Frédérik De Klerk a toujours défendu l’idée que l’apartheid avait pour but de répondre à la complexité de la diversité sud-africaine. Dans sa déclaration devant la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) (créée pour examiner les violations des droits humains pendant la période de l’apartheid) à la fin des années 1990, il a protesté contre la qualification juridique internationale, en 1973, de l’apartheid comme crime contre l’humanité.

Devant la Commission, il a insisté sur le fait que les crimes contre l’humanité sont liés à « l’extermination délibérée de centaines de milliers – parfois de millions – de personnes » et que les Blancs, à l’inverse, partageaient de plus en plus les ressources de l’État avec les Noirs au cours des dernières années de l’apartheid.

Sa position n’avait pas changé vingt ans plus tard, comme en témoigne cette déclaration de 2020, qu’il a minorée quelques jours plus tard après une intervention de la Fondation Desmond et Leah Tutu, en reconnaissant la définition du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui considère l’apartheid comme un crime contre l’humanité. Toutefois, sa rétractation est restée très ambiguë :

« Ce n’est pas le moment d’ergoter sur le degré d’inacceptabilité de l’apartheid. »

Les derniers mots de Frédérik De Clerk : il refuse toujours de qualifier l’apartheid de crime contre l’humanité..

De Klerk et les forces de sécurité

Le déni de De Klerk à propos de la violence de l’État sous l’apartheid provient en partie de son insistance à affirmer qu’il n’était pas personnellement au courant des abus commis par ses forces de sécurité. Il ne faisait pas partie du cercle restreint de son prédécesseur « sécurocratique » Pieter Willem Botha, qui avait créé le répressif National Security Management System.

Cependant, il était membre du Conseil de sécurité de l’État, la structure au sommet du système de gestion de la sécurité nationale. En conséquence, la Commission a considéré que

« Sa déclaration selon laquelle aucun de ses collègues du cabinet du Conseil de sécurité de l’État ou des comités du cabinet n’a autorisé d’assassinat, de meurtre ou d’autres violations flagrantes des droits de l’homme est indéfendable. »

Pendant sa présidence, la violence politique a atteint des niveaux jamais vus. Toutefois, il a tenté diverses actions pour neutraliser les sécurocrates, ce qui suggère qu’un fossé s’était creusé au sein du gouvernement du Parti national entre ceux qui étaient déterminés à maintenir l’apartheid et ceux qui pensaient qu’il n’était plus possible de continuer sans changement.

Mais le groupe de Frédérik De Klerk n’avait certainement pas pour objectif d’établir l’actuelle démocratie constitutionnelle fondée sur la dignité humaine, l’égalité et la liberté. Au début des négociations multipartites, le parti était convaincu qu’il pouvait poursuivre le simple réformisme de l’apartheid appelé « partage du pouvoir » entamé par Pieter Botha dans les années 1980.

Le partage du pouvoir proposé impliquait l’intégration d’un « veto blanc » dans la représentation parlementaire, comme contrepoids à l’émancipation de la majorité noire. Mais l’intensification des violences politiques a interrompu les négociations, réduisant de plus en plus les possibilités d’une solution politique.

De plus, la création d’une alliance entre les réactionnaires blancs et noirs de l’Afrikaner-Volksfront, de l’Inkatha Freedom Party et du bantoustan du Bophuthatswana, alors indépendant, a relancé l’urgence de trouver un terrain d’entente.

Ce processus fut grandement facilité par des exercices de planification qui ont rassemblé les factions opposées pour envisager ensemble les futurs possibles de l’Afrique.

Plus que le fond, c’est la forme de ces exercices qui fut déterminante. Pour la première fois, les négociateurs du Parti national se retrouvaient face à leurs ennemis pour discuter. Cet exercice a fait disparaître chez eux le stéréotype du « terroriste communiste noir ». En tant que parties principales des discussions, ces interactions ont permis au Parti national et à l’ANC d’établir une compréhension mutuelle, et, finalement, une confiance, en particulier entre leurs négociateurs principaux respectifs, Cyril Ramaphosa et Roelf Meyer.

Roelf Meyer quitta le Parti national peu de temps après les négociations et fonda un nouveau parti avec un ancien de l’ANC, Bantu Holomisa, en 1997. Odd Andersen/AFP

Un élan irrépressible

De Klerk et ses négociateurs ont été emportés par le flot des événements. Ils se sont rendu compte que l’instauration d’une démocratie dont la Constitution est fondée sur le respect des droits humains et dont les citoyens sont égaux devant la loi indépendamment de leur « race » représentait, pour eux, le meilleur moyen de conserver leur électorat.

En ce qui concerne la transformation économique, le Parti national et les intérêts du capital blanc qu’il représentait n’ont pas réussi à bloquer une clause constitutionnelle prévoyant expressément l’expropriation de la propriété dans l’intérêt public. Cette clause comprenait toutefois un avenant stipulant que cette expropriation devait faire l’objet d’une indemnisation. La clause stipule également qu’un « équilibre équitable » doit être trouvé entre les intérêts du public et ceux du propriétaire.

Suivant une ligne très proche des grandes orientations de son parti, De Klerk a poursuivi sur la voie du réformisme de l’apartheid proposé par Botha, y compris par le biais de pourparlers. Mais, contrairement à lui, il n’était pas un sécurocrate et en est donc venu à considérer que le partage du pouvoir ne pouvait finalement pas être imposé par la violence d’État.

Là où Botha avait failli, De Klerk a su prendre des chemins alternatifs. En tant que leader conservateur du Parti national, il pouvait rallier à lui la majeure partie de son personnel et de son électorat. Mais ce n’est pas une soudaine réalisation de l’ignominie de l’apartheid qui a poussé De Klerk à y mettre fin. C’est la force des choses. Une fois le processus lancé, il était entré dans une véritable tempête postcoloniale, sans retour possible.

This article was originally published in English

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