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Les Gypsières, versant nord du col du Galibier
Les Gypsières, versant nord du col du Galibier, sont les traces de l'évaporation d’une mer passée dans les Alpes franco-italiennes. Des paysages que les cyclistes du Tour de France 2024 rencontreront lors de la quatrième étape. Christian Giusti, Fourni par l'auteur

Géologie et Tour de France, semaine 1 : marbre en serpentinite et traces d’un océan en haut des montagnes

Au-delà du sport, le Tour de France donne aussi l’occasion de (re)découvrir nos paysages et parfois leurs bizarreries géologiques. Pour l’édition 2024, nous vous proposons une lecture géologique des principales étapes du Tour chaque semaine.


Itinéraire du Tour de France 2024. Tour de France 2024

Depuis Florence en Italie, départ du Tour, le circuit rencontre des variétés de pierre utilisée pour la décoration architecturale que l’on appelle « Vert antique ». On les rencontre d’abord dans les monuments florentins : de nombreuses églises de Florence, dont le Duomo (la cathédrale), utilisent ainsi de nombreux « marbres » aux couleurs variées.

Parmi ces « pierres marbrières », on retrouve des serpentinites, une roche que l’on peut observer, tant sur le plan architectural que sur le plan géologique, pendant les premières étapes du Tour de France 2024.


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Serpentinite et marbres polychromes

L’église Santa Maria del Fiore présente une très grande collection de « marbres » dont une alternance entre marbre blanc de Carrare et « marbre vert antique (serpentinite). I. Saiko, CC BY-SA

Les murs présentent un placage de marbre polychrome de Campaglia, de marbre de Carrare (marbre blanc), du Prato (vert serpentine provenant de l’Apennin), de Sienne et Monsummano (rouge), de Lavenza et quelques autres localités.

Ailleurs, on retrouve également de la sepentinite italienne dans certains bâtiments anciens (façades, décorations, parements…). L’un des exemples les plus connus : la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies à New York

Antonio Guterres, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies à New York en 2024, devant un parement de serpentinite qui vient d’Italie. ONU/Cia Pak

Du point de vue géologique, le vert sombre utilisé pour le « Vert antique » est de la serpentinite, ainsi appelée car elle évoque une peau de serpent. Il s’agit d’une roche issue du manteau terrestre remontée en surface à l’occasion de grands mouvements tectoniques. La serpentinite appartient au groupe des ophiolites, roches qui appartiennent à la portion de lithosphère océanique charriée sur un continent lors d’un phénomène de collision.

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Ces roches se retrouvent donc généralement dans les chaînes de montagnes, anciennes ou récentes : Alpes, Pyrénées, Corse alpine, ainsi que dans les massifs hercyniens plus anciens, comme le massif Central, le massif Armoricain, Vosges, Maures… En Italie, on les retrouve dans l’Apennin.


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Des affleurements de serpentinite sur la route Sestrières-Briançon, empruntée lors de la quatrième étape du Tour de France 2024. Google Street View, Fourni par l'auteur

Sur le Tour, on retrouvera ces roches brutes utilisées comme « pierres marbrières » lors de la quatrième étape du 2 juillet le long de la route qui monte à Montgenèvre, près de la frontière franco-ialienne.

Avant de traverser Briançon et d’escalader le col du Galibier, le parcours du Tour descend de Sestrières puis monte vers le col du Montgenèvre. De ce fait, il traversee des ophiolites (dont les ophiolites du Chenaillet, sur lesquelles nous reviendrons) et tout leur cortège de roches, dont les serpentinites.

On retrouvera par la suite de la serpentinite lors de la quinzième étape du Tour (le 14 juillet), au cœur des Pyrénées ariégeoises.

Le fond des océans en haut des montagnes

Dans les Hautes-Alpes, au sud du col de Montgenèvre et à l’est de Briançon, le massif du Chenaillet, à cheval sur la frontière franco-italienne, est d’ailleurs particulièrement prisé des géologues. On y retrouve un amoncellement de roches en boules qui illustrent bien le principe de la tectonique des plaques, qui se rapprochent puis se chevauchent et se fracturent. Elles témoignent de la présence, au sud de la plaque européenne, d’un océan il y a quelque 160 millions d’années.

Vu en coupe d’une coulée de laves en coussins. On distingue plusieurs couches empilées de coussins de tailles différentes (le marteau donne l’échelle). Par les formes de chacun des coussins, on voit bien qu’ils se sont empilés alors qu’ils étaient encore un peu mous, puisqu’ils épousent les formes de ceux d’en-dessous. P. De Wever, Fourni par l'auteur

Au niveau de la ride centrale (dorsale) de l’océan, là où se crée la lithosphère océanique, des roches magmatiques issues du manteau terrestre ont pu remonter. Elles forment tout un cortège de roches variées, dont des laves basaltiques. Comme ces laves s’épanchaient dans l’eau, celle-ci transformait le flux continu de magma en un ensemble de boules.

Ce sont, en quelque sorte, de grosses perles de lave de quelques dizaines de centimètres en général, comme on peut en voir quand on fait couler de la cire fondue dans de l’eau froide. Les successions de coulées font que ces boules, de la taille d’un coussin (d’où leur nom de « laves en coussins ») s’empilent sur des centaines de mètres.

Arête sud-ouest du Chenaillet : un sentier aménagé permet de suivre toutes les différentes couches qui constituent la croûte océanique (gabbros, serpentinites, basaltes en coussins). P. De Wever, Fourni par l'auteur

Ce processus s’est poursuivi jusqu’à ce que la remontée vers le nord de la plaque africaine comprime et referme entièrement cet océan, tant et si bien que la plaque africaine est venue emboutir la plaque européenne. Les sédiments et les roches magmatiques accumulés au fond de l’océan, comprimés par ces deux lames de bulldozers, se sont amoncelés et ont formé un gigantesque bourrelet de la taille de nos montagnes. Certains lambeaux ont été charriés au-dessus de la plaque européenne jusqu’à former des sommets montagneux, tel le massif du Chenaillet, à plus de 2600 m d’altitude.

Voilà pourquoi on peut dire qu’au Chenaillet, on observe le fond d’un ancien océan en haut de la montagne.

Le mur de laves en coussins au lieu-dit du Collet vert (Chenaillet) à la frontière franco-italienne, constitué de 200 m de coussins montre la surface d’une coulée de lave, initialement subhorizontale maintenant redressée à la verticale. Michel Toupet/ENS Lyon

Des cratères dans les sédiments d’une mer évaporée

Christian Giusti. Fourni par l'auteur

Deuxième point culminant, après le col de Montgenèvre, de la quatrième étape du Tour le 2 juillet : le col du Galibier, à plus de 2 600 mètres. On y observe en contrebas, côté Saint-Michel-de-Maurienne, un paysage qui ressemble à une zone bombardée, avec des dizaines de cratères et d’entonnoirs.

Ces dépressions ont une origine naturelle : elles sont dues à la dissolution naturelle des roches du col (du gypse) par l’eau. En effet, certaines roches qui constituent aujourd’hui les massifs alpins se sont déposées dans ce qui était à l’époque une mer peu profonde, qui fut sujette à un épisode d’évaporation intense il y a 200 millions d’années. De ce fait, des sels s’y sont déposés, notamment du gypse.

Lors de l’élévation des Alpes, ces zones ont pu se retrouver en haut des montagnes. Celles qui sont les plus sujettes à l’érosion se rencontrent au niveau des cols, comme au Col du Galibier où du gypse est à fleur de terre à 2 600 m. On retrouve également de tels « cratères » sur d’autres célèbres cols alpins situés dans ce type de roche (du gypse), par exemple au Col d’Izoard.

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