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Groupe Wagner en Afrique : pourquoi il n'y a pas eu d'opposition efficace à la présence des mercenaires

Des partisans de l'homme fort de l'est de la Libye, Khalifa Haftar, assistent à un rassemblement marquant le 71e anniversaire de l'indépendance du pays vis-à-vis de l'Italie dans la ville orientale de Benghazi, le 24 décembre 2022.
Wagner a aidé la Force armée arabe libyenne du chef rebelle Khalifa Hiftar. GettyImages

Il est facile de comprendre ce que les dirigeants africains voient dans le groupe mercenaire Wagner. Ses combattants peuvent être déployés rapidement. Il apporte avec lui des armes sophistiquées et peut s'imposer par la force rapidement et sans pitié.

Les autres sources de puissance militaire présentent des lacunes : les missions des Nations unies n'ont pas de mandat solide ; les forces de l'Union africaine (UA) manquent d'armes et de motivation ; les intervenants de l'Union européenne portent l'héritage de la répression coloniale. Les États-Unis ne s'intéressent guère à l'Afrique, si ce n'est pour soutenir la lutte contre les terroristes salafistes.

Le groupe Wagner a été créé par Yevgeny Prigozhin en 2014 en tant que société militaire privée pour soutenir l'invasion russe de l'Ukraine cette année-là. Pendant plus de dix ans, Prigozhin n'a pu opérer sans l'autorisation du président russe Vladimir Poutine. Pendant cette période, les intérêts de la Russie et de Wagner ont pu diverger, mais ils n'étaient pas en concurrence et se chevauchaient largement.

Bien entendu, la rébellion de Wagner qui a débuté le 23 juin 2023 - après la rédaction de cet article - et qui s'est ensuite dissipée rend l'avenir de Wagner en Afrique très incertain.

Depuis que j'ai terminé ma thèse sur la concurrence soviéto-américaine en Afrique en 1992, j'ai suivi la compétition entre grandes puissances sur le continent. J'ai notamment suivi la lente escalade de la concurrence sino-américaine en Afrique au cours des 20 dernières années. Le “retour” de la Russie en Afrique m'a été rappelé lors de la préparation d'un ouvrage, Africa’s International Relations, publié en 2018.

Sur la base de cette expérience, je pense que Wagner va probablement continuer à apporter la misère au continent africain sous de multiples formes. Il est peu probable que des acteurs extérieurs parviennent à l'arrêter. Sa présence se poursuivra également parce que des acteurs africains individuels, étatiques et non étatiques, en tirent profit. Son utilité pour certains régimes explique en partie le silence frappant de l'Union africaine sur la menace qu'il représente. La passivité à l'égard de Wagner reflète également une ambivalence plus profonde à l'égard de la Russie et de l'impérialisme russe.

Dans l'ensemble, Wagner n'a pratiquement rien fait pour améliorer la vie des Africains : ses activités ont servi à renforcer les dictateurs et à saper les démocraties, à étendre et à approfondir les conflits civils, à assassiner des civils innocents, à exploiter les ressources naturelles au profit de la Russie et discréditer la seule alternative dont disposent les Africains en matière d'investissement, en dehors de la Chine.

Cela signifie qu'en temps voulu, l'UA et les gouvernements africains responsables risquent d'en vouloir à la présence de Wagner et de regretter de ne pas s'y être opposés.

Les méfaits de Wagner

Wagner a aidé des régimes autoritaires à se maintenir au pouvoir sur le continent.

  • Il a aidé le Soudanais Omar al-Bashir à former des troupes, à surveiller les ressources et à réprimer la dissidence entre 2017 et son renversement en avril 2019.

  • Il a aidé des dictatures naissantes à consolider leur pouvoir. Il a notamment joué un rôle au Mali, où les élections sont bloquées et où le régime militaire a fait appel aux forces de Wagner.

  • Wagner a rejoint la guerre civile en Lybie en octobre 2018, envoyant finalement plus de 1 000 soldats pour aider les Forces armées arabes libyennes du chef rebelle Khalifa Haftar. Il s'agit de la violation la plus flagrante du droit international par la Russie en déployant Wagner. L'utilisation par Wagner de mines et de pièges, qui ont tué de nombreux civils, a également violé les lois de la guerre.

  • En République centrafricaine (RCA), Wagner s'est engagé dans un combat direct avec une coalition de rebelles. Selon un centre de recherche de premier plan, 40 % des combats entre décembre 2020 et juillet 2022 ont impliqué Wagner.

  • Au Mozambique, le gouvernement a engagé Wagner pour combattre un groupe lié à Al-Shabaab.

  • La Russie et Wagner sont impliqués dans la guerre civile qui a éclaté au Soudan en avril de cette année.

Partout où il intervient, Wagner se montre indifférent à la vie humaine, tuant sans distinction des civils, des militants islamiques et d'autres insurgés. Le groupe de recherche Armed Conflict Location & Event Data Project a constaté qu'entre 52 % et 71 % des recours à la force par Wagner en RCA et au Mali visaient des civils.

Plusieurs raisons expliquent cette implication.

Tout d'abord, le gouvernement russe est à la recherche de bases militaires en Afrique. Avant même que Wagner ne soit impliqué en Afrique pour la première fois en 2017, la Russie avait déjà conclu des accords militaires avec 18 pays africains. Ceux-ci concernent des démocraties comme le Ghana et le Nigéria ou l'Est de la Libye non administré, qui est devenu une plaque tournante logistique pour la Russie ainsi que pour Wagner.

Deuxièmement, la Russie utilise son redoutable appareil de propagande pour répandre de fausses informations sur les États-Unis et l'Europe en Afrique afin de soutenir la guerre en Ukraine.

Troisièmement, la finalité est de faire du profit. Outre, les paiements du gouvernement, Wagner a négocié des accords pour un accès exclusif aux ressources en or, en diamants et en uranium dans plusieurs endroits où il opère. Il s'agit notamment de la République centrafricaine, du Mali et du Soudan.

Une absence d'opposition

Il y a peu de chances qu'une force majeure, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Afrique, s'oppose sérieusement à ses activités.

Des acteurs africains individuels, étatiques et non étatiques, bénéficient de sa présence. Ce petit nombre de bénéficiaires empêchera toute action contre le mercenariat de Wagner, qui est interdit par le droit international.

Il n'y aura probablement pas non plus de pression collective sous l'égide de l'UA. Celle-ci ne peut organiser une action collective - comme elle l'a fait contre l'apartheid - que lorsqu'il existe un large consensus sur une question.

La même analyse s'applique aux nombreuses communautés économiques régionales d'Afrique. Celles-ci ont récemment joué un rôle plus important en matière de sécurité, mais aucune n'a adopté une position anti-Wagner.

À cela s'ajoute l'ambivalence d'un certain nombre de pays africains à l'égard de la Russie. Vingt-quatre États africains se sont abstenus ou étaient absents lors de l'adoption de la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies condamnant l'annexion illégale par la Russie de certaines parties de l'est de l'Ukraine.

Le Ghana, le Nigeria, le Sénégal et la Zambie ont tous voté en faveur de cette résolution.

Qu'en est-il des principales puissances régionales d'Afrique ? L'Éthiopie et le Nigeria sont suffisamment influents pour compter. Mais chacun d'entre eux est trop préoccupé par ses problèmes internes pour se saisir de la question.

Seule l'Afrique du Sud pourrait prendre position contre Wagner. Mais elle ne le fera pas. Le Congrès national africain, qui dirige l'Afrique du Sud, est profondément nostalgique de l'aide soviétique à l'époque de l'apartheid. Les élites sud-africaines apprécient également la Russie et la Chine comme contrepoids à la domination occidentale qu'elles continuent de détester. Et le pays savoure le prestige que lui confère son appartenance au groupe des BRICS.

Il n'y aura probablement pas non plus de mobilisation internationale efficace contre Wagner. En effet, la condamnation de l'Occident resterait lettre morte, voire se retournerait contre lui. Comme l'a récemment observé Joseph Sany, un expert réputé en matière de construction de la paix à l'Institut américain de la paix, “la condamnation par l'Occident de la violence et de la corruption immorales de la Russie est inaudible, parce qu'elle est teintée d'hypocrisie en raison du passé de l'Occident sur le continent”.

En tout état de cause, les États-Unis n'ont que peu d'options pour dissuader Wagner, car les dirigeants américains se concentrent rarement sur le continent. De plus, la France se retire de plus en plus de l'Afrique.

la seule grande puissance extérieure qui compte pour l'Afrique est la Chine. Mais, à mon avis, la Chine ne jouera aucun rôle pour contenir Wagner. Pour l'instant, du moins, la guerre d'Ukraine a fait de la Russie et de la Chine des pays alliés. En outre, la Chine a des intérêts commerciaux importants, notamment en ce qui concerne l'approvisionnement en minerais des États africains francophones et lusophones.

Enfin, la Chine a déployé ses propres sociétés de sécurité privées sur le continent, principalement pour garantir l'accès aux minerais. Ces organisations ne sont pas encore directement impliquées dans la politique, comme Wagner, mais leur présence sert à légitimer davantage le recours aux sociétés de sécurité privées.

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