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Le chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, avec ses troupes du groupe Wagner à Bakhmut en mai 2023.
Le patron du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, affirme que ses troupes ont occupé le quartier général de l'armée russe à Rostov. Service de presse de Prigozhin, UPI/Alamy Live News

Guerre en Ukraine : comment comprendre les 24 heures de chaos entre le Kremlin et le groupe Wagner

Même dans une guerre qui évolue aussi rapidement, certains événements ont la capacité de surprendre. La décision du chef du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, d'ordonner samedi matin à ses troupes de remonter vers la Russie, où il a occupé le QG militaire de Rostov, semble avoir laissé le Kremlin perplexe.

Puis, alors que ses mercenaires n'étaient qu'à quelques 300 kilomètres de Moscou, Prigojine leur a demandé de faire demi-tour pour éviter « un bain de sang ».

Un accord venait apparemment d'être conclu avec le président biélorusse Alexandre Loukachenko, selon lequel Prigojine pourrait se rendre en Biélorussie sans craindre de représailles. Même impunité pour ses troupes.

Mais l'épisode a clairement secoué le président russe, Vladimir Poutine, qui avait qualifié l’action de Prigojine d’« équivalente à une mutinerie armée » et de « tentative de subversion de l’intérieur ». Dans une allocution télévisée d’urgence, il avait qualifié la rébellion de trahison et s’est engagé à punir toute personne ayant pris les armes contre l’armée russe.

Prigojine aurait jusqu’à 50 000 combattants entraînés sous son commandement. Le groupe de mercenaires Wagner a été le plus touché par les combats les plus violents, notamment lors de la sanglante bataille de Bakhmout.

Les raisons de l’apparente mutinerie de Prigojine ne sont pas encore claires. Mais les déclarations de Prigojine étaient explicitement dirigées contre les dirigeants militaires russes et le ministère de la Défense. Selon l’Institut pour l’étude de la guerre, le patron du groupe Wagner a affirmé que le Conseil des commandants Wagner avait pris la décision de mettre fin « au mal causé par les dirigeants militaires » qui ont négligé et détruit la vie de dizaines de milliers de soldats russes. Cela semble être une référence directe à la controverse qui avait éclaté pendant la campagne de Bakhmut et selon laquelle les unités Wagner avaient été délibérément privées de munitions.

Au cours des dernières semaines, le ministère de la Défense – apparemment avec le soutien de Poutine – a annoncé qu’il placerait le groupe Wagner et d’autres forces irrégulières et milices sous son contrôle direct. Cette initiative a été perçue comme une indication du besoin désespéré de la Russie pour de nouvelles troupes et de la volonté du Kremlin d’éviter une mobilisation à grande échelle de la population.

Mais l’annonce a également été considérée comme une preuve de l’animosité croissante entre Prigojine et le ministre de la Défense, Sergeï Choïgu. Prigojine a catégoriquement refusé de signer le contrat avec l’armée, alors que le groupe Akhmat des forces tchétchènes a été l’un des premiers se rallier.

Changer la loi

L’annonce du ministère de la Défense est d’autant plus importante que ce n’est qu’en novembre 2022, lorsque Poutine a signé les modifications du règlement de défense, que l’inclusion des « formations de volontaires » dans les opérations armées a été légalisée pour la première fois.

Auparavant, l’article 13 de la constitution de la Fédération de Russie interdisait explicitement « la création et les activités d’associations publiques dont les objectifs et les actions visent à créer des formations armées ».

L’article 71 de la constitution stipule également que les questions de défense et de sécurité, de guerre et de paix, de politique étrangère et de relations internationales sont la prérogative de l’État et que les entreprises privées ne peuvent donc pas être impliquées.

Le code pénal considère de fait l’activité mercenaire comme un crime, y compris le « recrutement, le financement ou tout autre soutien matériel d’un mercenaire » ainsi que l’utilisation ou la participation de mercenaires dans un conflit armé.

Les modifications apportées par Poutine à la loi sur la défense ont donc changé la donne. Les amendements ont été mis en œuvre par l’ordonnance du 15 février 2023, qui définit la procédure de fourniture d’armes, d’équipements militaires et de logistique aux formations volontaires, ainsi que les conditions de service.

Des signes montrent que les forces privées sont de plus en plus importantes et acceptées en Russie. En avril 2023, le gouverneur adjoint de Novossibirsk a annoncé que les employés des sociétés militaires privées pourraient utiliser le certificat de réhabilitation délivré aux vétérans de l’armée d’État de la guerre d’Ukraine pour accéder à une série de bénéfices et de privilèges.

Les médias russes ont également rapporté l’ouverture de centres de recrutement Wagner dans 42 villes du pays (le groupe Wagner a notoirement recruté massivement dans les prisons russes.

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Toute une série de forces irrégulières opèrent en Ukraine, notamment les forces tchétchènes de Ramzan Kadyrov, les Kadyrovtsy, qui sont officiellement placées sous le commandement de la Garde nationale russe (Rosgvardiya), ainsi que des forces privées telles que Wagner, Redut, Patriot et Potok.

Ces formations de volontaires offrent une force plus flexible que les forces militaires conventionnelles qui opèrent sous une chaîne de commandement notoirement rigide.

Elles constituent également une échappatoire commode pour l’État russe : des groupes privés et des particuliers supportent les coûts humains, financiers et politiques qui, autrement, seraient pris en charge par le gouvernement. Et le Kremlin peut falsifier la liste officielle des victimes militaires, qui est par ailleurs une source d’anxiété publique considérable à l’égard du gouvernement et de son chef.

Une force en guerre contre elle-même

Mais la visibilité croissante de ces groupes en Ukraine et les querelles publiques entre le ministère de la Défense et les dirigeants des milices rappellent le système de patronage et de loyauté qui caractérise la culture politique de la Russie d’aujourd’hui.

Les guerres intestines sont monnaie courante, les rivaux se disputant les ressources, l’influence et, bien sûr, l’oreille de Vladimir Poutine lui-même. Il suffit de voir les insultes échangées par Prigojine et Choïgu.

Le patron du groupe Wagner, Evgeniy Prigojine, en uniforme militaire, fait le signe du « v »
Le patron du groupe Wagner, Evgeniy Prigojine, a ouvertement critiqué les dirigeants militaires russes pour leur conduite de la guerre. Press service of Prigojine/UPI/Alamy Live News

Prigojine a critiqué ouvertement le ministre de la défense et les généraux russes chargés de la conduite de la guerre, les accusant fréquemment d’incompétence et de corruption. L’acrimonie qui règne depuis longtemps entre les deux hommes serait due au fait que Shoigu a coupé l’accès de Prigojine à de nombreux contrats.

Cette rivalité servait jusque-là les intérêts de Poutine. Tant que ces adversaires potentiels étaient occupés à se battre entre eux, ils ne représentaient qu’une faible menace pour lui-même. Mais les choses semblent avoir changé et se pose aujourd’hui la question l’efficacité de la Russie dans la guerre en Ukraine face à une fragmentation des forces armées.

La décision du ministère russe de la Défense de placer les « formations de volontaires » sous son contrôle doit être comprise dans ce contexte de fragmentation et de luttes intestines, ainsi que dans le cadre de la conscription en cours. La période de conscription actuelle, qui a débuté le 1ᵉʳ avril et se termine le 15 juillet, a pour objectif déclaré de recruter 147 000 soldats.

La révolte de Prigojine contre le commandement militaire russe et son apparente défiance à l’égard de son ancien proche allié Vladimir Poutine auront également des conséquences importantes sur la capacité de la Russie à réagir à la contre-offensive de l’Ukraine, qui apparaîtra plus clairement dans les jours et les semaines à venir.


Cet article a été mis à jour le 24 juin pour refléter les événements les plus récents concernant Evgeny Prigojine et le groupe Wagner.

This article was originally published in English

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