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paysage de bois morts dans un lac
Forêt inondée par le barrage du lac de Petit-Saut. Confluenci'Arte, Author provided (no reuse)

Guyane française : un site à la biodiversité unique menacé par un projet d’exploitation

Hot spot de la biodiversité, le lac de Petit Saut, en Guyane française, a été créé par la mise en eau d’un barrage en 1994. S’y est développé depuis un écotourisme dédié à l’observation de la faune, qui lui vaut le surnom de petit Pantanal, en référence au Pantanal, écorégion de prairies et savanes inondées qui s’étend principalement dans le Mato Grosso do Sul au Brésil – et actuellement en proie à de violents feux de forêt.

Mais cet espace de forêt inondée, avec sa particularité géographique et notamment la présence de bois mort, aiguise aussi les appétits industriels. L’entreprise Triton, filiale de Voltalia, a depuis 2012 pour projet de couper et de collecter les bois immergés du lac. Son but, extraire 5 millions de tonnes de bois sur 25 ans. Deux enjeux à la clé : récupérer les bois précieux immergés en bois d’œuvre et alimenter la future centrale biomasse de Petit-Saut.

Ce projet a l’intention de couvrir 210 km2 pendant 25 ans, une surface qui représente la quasi-totalité du lac en saison sèche, ce qui questionne non seulement sur ses impacts environnementaux mais aussi sur sa cohabitation possible avec des activités touristiques durables.

Le barrage de Petit-Saut

La spécificité du lieu repose sur l’originalité de son paysage. En 1989, la construction du barrage hydroélectrique de Petit-Saut avait pour objectif de répondre à une demande grandissante en énergie – il produit aujourd’hui 50 % de l’électricité consommée par la Guyane.

Mais l’implantation d’une telle infrastructure en pleine forêt tropicale a engendré une agression majeure pour l’environnement, conduisant à l’immersion de 365 km2 de forêt primaire.

paysage aérien d’un barrage en Guyane
Barrage de Petit-saut en Guyane. Wikimedia

Les arbres ont perdu leurs feuilles mais les conditions d’anoxie (diminution de la quantité d’oxygène disponible) dans lesquelles ils se sont retrouvés ont évité leur décomposition.

Parallèlement, des moyens de compensation mis en place ont permis d’aider et de suivre les animaux dans ce changement de paysage, contribuant par la même occasion à mieux connaître les espèces de ce milieu, tout en le perturbant.

En est né un paysage unique et insolite, où environ 1400 îles se sont formées lors de la mise en eau et où la faune s’est réadaptée.

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Une faune très riche

Rappelons que la Guyane est dotée d’une biodiversité particulièrement riche : elle compte 183 espèces de mammifères (dont des espèces emblématiques comme le jaguar, le puma ou la loutre géante), 718 espèces d’oiseaux nicheurs, 158 espèces de reptiles, 108 espèces d’amphibiens, 480 espèces de poissons d’eaux douces et saumâtres et d’environ 400 000 espèces d’insectes… Et ces chiffres augmentent au fur et à mesure des découvertes

gros plan tête de loutre
Loutre géante en Guyane. Shutterstock

Le lac de Petit-Saut, en particulier, est devenu un lieu privilégié pour apercevoir le roi de la jungle, le jaguar. Il est aussi le lieu de vie et la zone d’observation la plus importante de la loutre géante, une espèce classée en « danger » sur la liste rouge de l’UICN. La dernière étude menée par l’OFB estime que la Guyane française abriterait jusqu’à 10 % de la population mondiale de l’espèce.

Le projet de Triton pose la question du dérangement de la faune par les machines industrielles et la coupe de bois : de ses espèces emblématiques d’Amazonie (loutre, jaguar, tapir…) et donc notamment de la loutre géante (Pteronura brasiliensis). Celle-ci est d’ailleurs considérée comme un « bio-indicateur » de la bonne santé du milieu.

Menaces pour l’équilibre écologique du site

Après 30 ans de transformations, ce milieu est aujourd’hui en phase de stabilisation écologique. Les bois ennoyés jouent un rôle majeur dans l’équilibre du milieu : ils limitent les vagues sur le lac, donc l’érosion des berges, permettent l’établissement de nouveaux habitats pour l’ichtyofaune et de nombreux autres organismes. Leurs parties aériennes servent par exemple de support aux Broméliacées qui elles-mêmes accueillent des invertébrés aquatiques, de nichoirs, postes de chant ou sites d’alimentation pour de nombreuses espèces d’oiseaux et de reposoirs pour des mammifères.

La particularité du lac est aussi la proximité entre la forêt inondée et la ripisylve, c’est-à-dire l’ensemble des formations végétales et boisées qui bordent le lac. Cette dernière assure comme le bois des fonctions indispensables à l’équilibre de l’écosystème du lac (stabilisation des berges, filtre naturel, abris pour les petits poissons et juvéniles, ainsi que pour les insectes terrestres). L’érosion des berges qu’engendrerait le projet risque pourtant de l’endommager.

paysage avec un fleuve entouré de forêt tropicale
Le lac du Petit-Saut, en Guyane française. Laura Jannot, Fourni par l'auteur

La disparition, par l’exploitation, des bois morts provoquerait ainsi un second bouleversement majeur du paysage et des écosystèmes qui ont réussi à s’adapter depuis 30 ans. En outre, comme tous les sols de Guyane, le lac est le réceptacle de mercure d’origine naturelle, mais aussi issu de l’orpaillage illégal : la coupe de bois mort pourrait contribuer à augmenter la contamination des écosystèmes et des espèces présentes.

Schéma récapitulatif du transfert de mercure dans Petit-Saut. OFB, 2019

Menace pour l’écotourisme

Mais c’est aussi tout un pan de l’économie locale que le projet pourrait mettre en péril. La réappropriation de l’espace par une faune exceptionnelle et l’originalité paysagère du lieu ont conduit ces dernières années une vingtaine de prestataires touristiques à développer une activité d’observation de jours et de nuits, des sorties en canoë, pirogue, pêche, découverte du lieu.

Un tourisme animalier en plein essor qui consiste, selon sa définition, en la rencontre pacifique entre êtres humains et animaux sauvages dans leur habitat naturel, et peut contribuer aux objectifs de développement durable des territoires : le souci de préserver la biodiversité animale et végétale, de prendre en considération les intérêts socioculturels des populations locales, mais aussi de faire avancer la recherche scientifique. Les caractéristiques actuelles du lac en font un site d’études scientifiques exceptionnelles pour la France et à l’international.

Alors que ces activités pourraient contribuer à protéger la biodiversité fragile et mal connue de ce territoire, la pérennité de ces activités est aujourd’hui en jeu, même si l’entreprise assure vouloir partager l’espace. La possibilité d’une cohabitation sur un même espace entre tourisme d’observation et exploitation industrielle demeure alors que le projet entend couvrir, pendant 25 ans, la quasi-totalité du lac en saison sèche.

L’accord d’exploitation de l’entreprise Triton a été signé, et celle-ci démarre malgré les avis négatifs de l’OFB – qui sont disponibles sur demande auprès de l’organisme et que nous avons mis en ligne sur la plateforme HAL.

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