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Une personne dont on ne voit que les mains tient un plateau d'huîtres qui est posé au dessus d'une bassin en métal pleine d'huîtres.
Les interdictions de vente d’huîtres survenues en décembre 2023 sur plusieurs zones de production, à la suite d’une contamination au norovirus, ont été levées en janvier. izikMD/Shutterstock

Huîtres contaminées au norovirus : les limites des dispositifs de surveillance

Les huîtres dont la vente avait été suspendue en décembre dernier sur plusieurs sites de production, et notamment sur le Bassin d’Arcachon, sont revenues sur les étals mi-janvier.

Petit retour sur l’enchaînement des évènements qui a conduit à leur interdiction entre Noël et le Nouvel An :

Le samedi 23 décembre 2023 débutent les vacances scolaires des fêtes de fin d’année. Le menu des repas se précise : on compte le nombre de convives pour la commande des huîtres. Récupérés chez les ostréiculteurs, les poissonniers ou en grandes surfaces, les huîtres sont majoritairement consommées crues et vivantes.

À noter qu’en France l’espèce d’huître majoritairement élevée est la Crassostrea gigas, huître creuse originaire du Japon. L’huître plate européenne, Ostrea edulis, est moins courante sur les parcs à huîtres et dans les étals.

Le 24 au soir, puis le 25 à midi, les amateurs se régalent. Dès le 25 décembre, les premiers symptômes de gastroentérites se déclarent, réclamant parfois les services des urgences. Pour nombre de familles, c’est tout d’abord l’incompréhension, puis les soupçons se portent sur les huîtres.

Décembre 2023 : des interdictions de vente sur plusieurs sites

Le mercredi 27 décembre, à Bordeaux, le préfet de la Gironde signe un arrêté suspendant toute activité pouvant mener à la consommation des coquillages du Bassin d’Arcachon jusqu’à la levée de l’interdiction, 28 jours après la dernière contamination connue des autorités de santé.

Les fêtes ont également été gâchées pour les ostréiculteurs du Calvados, où l’interdiction de consommation a débuté fin décembre, ainsi que pour les ostréiculteurs de Loire-Atlantique dès début décembre.

Les ostréiculteurs ont été accusés, notamment par une association de défense de l’environnement, d’avoir commercialisé les huîtres alors qu’ils « savaient », selon l’association, qu’elles étaient contaminées.

De l’autre côté, les ostréiculteurs se revendiquent victimes de la gestion des eaux du bassin versant et demandent à être indemnisés pour les pertes économiques subies… sachant que leurs huîtres ne sont pas « malades ».

Porteuses saines (cliniquement saines mais portant des éléments pathogènes), les huîtres ne font que transmettre le virus, en l’occurrence un norovirus, à celles et ceux qui les consomment.

Le problème s’était déjà produit sur la lagune de Thau à Noël 2022 et dans d’autres bassins de production les années précédentes. Alors, que s’est-il passé ? Pourquoi le même problème subsiste-t-il ? N’y a-t-il pas une surveillance sanitaire accrue des huîtres en période de fêtes ?

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Les huîtres sont des bivalves filtreurs : leur corps mou est protégé par deux parties (valves) calcaires articulées par une charnière. Elles se nourrissent des microorganismes (principalement des phytoplanctons, microalgues en suspension…) présents dans l’eau, qu’elles filtrent à travers leurs branchies. Elles sont capables de filtrer environ 4,5 l par heure.

Des coquillages bioaccumulateurs… consommés crus

Les huîtres sont qualifiées de « sentinelles » de leur environnement. Comme ces coquillages ont la capacité de concentrer certains microéléments de l’environnement, ils peuvent être utilisés comme bioaccumulateurs afin de dépolluer une zone spécifique, un projet est par exemple mené dans ce sens dans le port de New York.

Ces qualités posent néanmoins problème quand les huîtres sont élevées pour leur chair : les consommateurs sont alors exposés à des risques sanitaires en raison des pollutions chimiques, biologiques, microbiologiques, virales, etc., qui touchent les eaux littorales.

Les risques sont d’autant plus importants que les huîtres sont mangées crues. En France métropolitaine, une surveillance a été mise en place à partir des années 1980 par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et les eaux sont contrôlées régulièrement. Au total, cinq réseaux sont déployés sur toute la France qui permettent de déterminer la qualité sanitaire de l’eau et des coquillages (Réseaux de surveillance Ifremer).

Une surveillance des eaux et des huîtres

Une nomenclature a été proposée à partir de la directive-cadre européenne sur l’eau, au regard des concentrations de la bactérie Escherichia coli dont certaines souches sont potentiellement pathogènes et peuvent mener à des symptômes comme des crampes abdominales ou des diarrhées.

Des règles sont alors appliquées dans les élevages de coquillages pour que la santé des consommateurs ne soit pas en danger. Outre les contrôles concernant les substances qui influent sur la santé humaine, la santé des coquillages fait également l’objet d’une surveillance avec le réseau REPAMO. Les analyses des résultats permettent l’édition régulière de bulletins de surveillance transmis aux professionnels via leurs représentants.

Lorsque les mesures dépassent les seuils autorisés, une alerte est émise par l’Ifremer tandis que le laboratoire départemental vétérinaire réalise un nouveau prélèvement pour vérifier si la contamination persiste. Les mesures à mettre en place selon le niveau d’alerte seront prises par arrêté préfectoral. Par exemple, le niveau 0 d’alerte pour les concentrations en E. coli correspond à de la prévention face à des pluies importantes ou à des pollutions identifiées.

En parallèle, dans les réseaux d’expédition de coquillages, des prélèvements systématiques sont réalisés par les services vétérinaires pour certifier la qualité des produits proposés. Chaque lot d’huîtres est accompagné d’une étiquette sanitaire qui permet une bonne traçabilité des coquillages et une identification rapide de leur provenance en cas de contamination. Les huîtres sont donc étroitement surveillées et les épidémies d’origine bactérienne sont généralement évitées.

Des norovirus difficiles à détecter

Basée sur des images de microscopie électronique (ME), l’illustration est une représentation graphique tridimensionnelle (3D) d’un certain nombre de virions de norovirus de couleur bleue, sur un fond noir
Représentation graphique 3D de virions de norovirus basée sur des images de microscopie électronique. CDC/Jessica A. Allen

Sauf que les malades déclarés cet hiver n’étaient pas contaminés par E. coli. Ils ont montré des symptômes de gastroentérites en raison de norovirus.

La transmission des norovirus par les huîtres est facilitée par la tendance à sélectionner certaines souches, ce qui favorise la transmission à l’humain. De plus, ces virus ne font pas l’objet d’un suivi sanitaire systématique comme les bactéries : ils sont en effet beaucoup plus complexes à détecter. C’est pourquoi l’interdiction de vente ne se fait qu’après la déclaration de malades.

La saisonnalité de ces virus est très marquée : la plupart des épidémies survient l’hiver, d’où l’apparition du problème principalement lors des fêtes de fin d’année. Ils sont en outre résistants à certains traitements d’épuration et suffisamment stables pour persister dans l’environnement. Les épidémies hivernales induisent alors des charges virales importantes dans les eaux usées, puis dans les eaux littorales.

Cercle vicieux de contaminations humaines et des eaux… filtrées par les huîtres

L’hiver est la saison la plus pluvieuse dans la majorité des régions françaises. Ces pluies entrainent des dysfonctionnements dans les réseaux d’assainissement. Se forme alors un cercle vicieux : les populations humaines sont malades donc des virus sont concentrés dans les eaux usées ; les pluies font dysfonctionner les réseaux d’épuration donc les virus passent dans les eaux littorales avec des charges virales fortes ; les huîtres filtrent l’eau et concentrent les virus ; les consommateurs mangent ces huîtres et l’eau qu’elles contiennent donc ils et elles tombent malades et contaminent leurs proches ; ce qui accroît la charge virale dans les eaux usées.

Une partie des malades se rend chez le médecin, et à partir de deux personnes présentant les symptômes de la gastroentérite ayant consommé le même repas, le médecin déclarera une toxi-infection alimentaire collective (TIAC) via ce formulaire envoyé à l’Agence régionale de santé.

Une enquête est menée pour identifier l’aliment puis des mesures sont prises pour le retirer de la vente, ce qui permettrait de briser la boucle de contamination. Dans le cas des huîtres, un arrêté préfectoral est signé pour l’interdiction de l’ensemble des actions pouvant mener à leur commercialisation.

Impuissance et colère des ostréiculteurs

La colère et le sentiment d’injustice qu’expriment les ostréiculteurs proviennent principalement de leur impuissance dans la gestion de la charge virale présente dans l’eau, et de l’incertitude qu’ils et elles ressentent face à ce risque. Les fêtes de fin d’année représentent près de 50 % de leur chiffre d’affaires, d’où leur question : « Qui va payer l’addition ? ».

Cependant, les alertes sur les pluviométries importantes et les potentiels dysfonctionnements des stations d’épuration, surtout l’hiver, peuvent signaler une augmentation du risque d’épidémie par des norovirus. Ces épidémies peuvent donc a priori être anticipées. Pour autant, les huîtres ne sont pas autorisées – pour le moment – à être stockées dans des bassins en circuit fermé en vue de leur vente et ces zones de stockage ont par ailleurs un coût élevé d’installation et d’entretien.

Tout le monde est perdant… sauf les huîtres

Finalement tout le monde est perdant, sauf les huîtres : les consommateurs et leurs proches sont malades, les ostréiculteurs perdent beaucoup d’argent (directement et indirectement car cela affecte la réputation de leurs produits), les services de l’État et les gestionnaires des eaux usées sont pris en étau comme responsables.

Mais les huîtres peuvent rester en vie plus longtemps car, même si elles ne sont pas elles-mêmes malades, elles ne seront pas consommées sur la période… Leur répit n’est toutefois que de courte durée, puisque trois semaines après l’interdiction de vente, les mêmes huîtres seront proposées sur les étals, cette fois sans risques de maladies pour les consommateurs.

Les huîtres auront naturellement relargué les virus par la suite détruits par un séjour prolongé dans l’eau de mer.

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