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une coupe de tige d'arbre
Coupe transversale d’une jeune tige de quelques millimètres d’érable sycomore, observée sous microscopie à épifluorescence. Photo prise par Romain Le Bars à la plateforme imagerie-Gif., Fourni par l'auteur

Images de science : de la chlorophylle là où on ne l’attend pas

Près de l’arbre, je manie l’échenilloir. « Clac », l’échantillon est prélevé. Au laboratoire, Chantal en fait une coupe très fine au microtome et la monte entre lame et lamelle… Après quelques réglages, Romain pose le tout sur la platine du microscope à épifluorescence. Quelques instants de suspense et, sur l’écran noir, nous découvrons comme à chaque fois avec joie et étonnement, la beauté intérieure des branches… ici, sous vos yeux, une coupe transversale d’une jeune tige prélevée sur un érable sycomore.

Où se cache la chlorophylle dans les tiges des arbres ?

Sur ces coupes, nous sommes intéressés par la localisation de la couleur rouge, qui reflète ici la présence de la chlorophylle, pigment végétal permettant la photosynthèse, c’est-à-dire l’absorption de l’énergie lumineuse et sa transformation en énergie chimique.

Bien qu’elle soit habituellement verte, la chlorophylle est une molécule qui a la particularité d’être « autofluorescente » et d’émettre une lumière rouge quand elle est éclairée par du… bleu. Ce rouge, inaperçu sous la luminosité du soleil et l’intensité du vert réfléchi, est ici bien visible sous le microscope à épifluorescence, qui envoie sur l’échantillon uniquement une longueur d’onde excitatrice de la chlorophylle.

Nous distinguons les différents tissus constituant la tige, disposés de manière concentrique : à la périphérie, l’épiderme qui deviendra une écorce et au centre (ovale sombre), le parenchyme médullaire. Entre les deux, nous voyons des rayons rouges qui correspondent aux rayons ligneux rassemblant les cellules vivantes du bois, entourés des vaisseaux (qui assurent le transport de la sève brute) et des fibres (des cellules mortes responsables de la solidité du bois) apparaissant ici en vert.

La disposition de la chlorophylle observée chez l’érable n’est pas unique, mais elle varie nettement entre les espèces : certaines essences comme le hêtre ou l’aulne possèdent de la chlorophylle jusqu’au cœur de la tige, alors que ce n’est pas le cas chez le chêne. Pour produire de la chlorophylle, la cellule doit recevoir au moins un peu de lumière – quelques photons suffisent. Chez le hêtre, dont l’écorce reste fine et laisse pénétrer un peu de lumière, la chlorophylle est produite même par des troncs d’arbres adultes.

Pour le moment, nous n’avons pas trouvé d’espèce d’arbre sans chlorophylle dans les tiges. Pourquoi l’arbre conserve-t-il donc une capacité à produire de la chlorophylle dans ses tiges, ce qui a un « coût énergétique », alors que ses feuilles, organes spécialisés dans la photosynthèse, suffisent généralement à assurer son « autotrophie », c’est-à-dire sa capacité à fabriquer toute sa matière organique à partir d’éléments minéraux ?

La tige recycle son carbone

Les tiges assimilent bien du carbone grâce à la photosynthèse. De façon surprenante, celui-ci ne vient pas seulement de l’air environnant, mais également du CO2 issu de la respiration des cellules vivantes à l’intérieur de la tige… et parfois même du CO2 issu des racines et transporté sous forme dissoute par la sève brute. Outre ce recyclage du CO2, la photosynthèse des tiges assure une libération d’oxygène, qui éviterait que les branches ne souffrent d’hypoxie.

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Par ailleurs, la présence de la chlorophylle dans les branches est probablement très utile chez des espèces dont les feuilles sont réduites (par exemple pour les arbres du genre Acacia), ou à certains moments de l’année, quand les feuilles sont absentes ou les aiguilles moins actives.

Plus récemment a émergé l’idée que le rôle de la chlorophylle pourrait être déterminant également lors des étés secs caniculaires prolongés, pendant lesquels les feuilles ferment leurs stomates pour limiter les pertes en eau limitant par là même également les entrées de carbone. La photosynthèse des tiges par son recyclage du CO2 interne pourrait en partie pallier aux besoins de carbone, éviter la « mort de faim » et assurer une croissance ou une mise en réserves.

La photosynthèse des tiges pourrait également jouer un rôle dans le maintien de l’intégrité hydraulique et/ou la réparation des dégâts induits par les sécheresses et ainsi éviter la « mort de soif ».

En effet, quand peu d’eau est disponible, le fonctionnement du bois (xylème) peut être perturbé par l’apparition de bulles d’air dans les colonnes d’eau de la sève brute, stoppant sa circulation et l’approvisionnement en eau des feuilles. Par la production de sucres dans les rayons ligneux notamment, la photosynthèse des tiges pourrait permettre la réparation locale des vaisseaux « embolisés », et ainsi remettre la sève en circulation.

Comprendre les mécanismes de fonctionnement des arbres dans leur environnement, domaine de l’écophysiologie végétale, s’avère essentiel pour caractériser leurs adaptations à un environnement changeant. Concernant la chlorophylle dans les branches et la photosynthèse associée, retenons qu’il ne faut pas négliger l’« apparemment négligeable ». Même si, de manière générale, leur rôle quantitatif dans le bilan de carbone de l’arbre et de la forêt est sans doute modéré, leur rôle qualitatif pourrait se révéler fort utile en cas de coups durs répétés en limitant mortalité et dépérissement forestier.

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