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Images de science : le méthane fuit (aussi) naturellement du fond des mers

des bulles s'échappent du fond de la mer et un plogeur les mesure avec un entonnoir et un capteur
Un plongeur mesure le débit d’une sortie naturelle de gaz dans la mer Noire. ©Ifremer, Olivier Dugornay, Fourni par l'auteur

Nous sommes bien loin du spectacle de la mer Baltique en ébullition à la suite des fuites de méthane sur les gazoducs Nord Stream. Mais cette image montre le travail minutieux d’un plongeur de l’Ifremer qui, muni d’un échantillonneur, mesure le débit d’une sortie naturelle de gaz constitué à 98 % de méthane. Elle a été prise lors d’une campagne scientifique en septembre 2022 à Varna, sur le littoral bulgare en mer Noire, dans le cadre d’une étude sur les impacts du méthane sur le climat et les écosystèmes marins.

Moins connu que le dioxyde de carbone (CO2), le méthane est un gaz à effet de serre 20 fois plus puissant à l’échelle du siècle, 80 fois plus puissant à l’échelle de 20 ans. Il est couramment admis que 60 % des émissions de méthane sur Terre sont liées aux activités humaines (agriculture, énergie, déchets…), et que 40 % sont d’origine naturelle.

Ces émissions naturelles ont lieu surtout dans les zones humides (tourbières, mangroves, marécages, etc.), les zones de fonte du permafrost, mais aussi au niveau des fonds marins. C’est celui-ci qui intéresse l’équipe de la campagne METZE qui a récemment eu lieu en mer Noire.

Du méthane dissous dans la mer

Car la mer Noire est le plus important bassin de méthane dissous de la planète : elle est le réceptacle de plusieurs grands fleuves d’Europe et d’Asie (Danube, Dniepr, Dniestr, Don, Kizilirmak, etc.) et de toute la matière organique naturelle, issue des végétaux et animaux, qu’ils charrient sans oublier celle produite par les activités anthropiques alentour, agriculture, industrie agroalimentaire, industrie chimique… Toute cette matière organique se dépose au fond, sédimente et se décompose, ce qui, au fil du temps, génère du méthane.

Plusieurs études témoignent d’une grande densité d’émissions naturelles de gaz en mer Noire, depuis le littoral jusqu’aux zones les plus profondes (plus de 2000 mètres). Aujourd’hui, notre équipe cherche à cartographier ces zones, dénombrer les sorties de gaz, mesurer leur débit, et à savoir quel est le devenir de ce gaz dans l’eau et dans l’air. En effet, une fois émis dans l’eau de mer, le méthane réagit avec l’oxygène dissous et le consomme pour produire du bicarbonate (un ion polyatomique, HCO3-).

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Ceci peut provoquer une acidification locale ainsi qu’une désoxygénation de l’eau de mer. Celles-ci impactent les écosystèmes et menacent la biodiversité marine si le cycle naturel du carbone est perturbé par les activités humaines (apport additionnel de matière organique par exemple) ou le changement climatique. Il faut savoir qu’en mer Noire, les poissons sont condamnés à vivre dans les 150 à 200 premiers mètres de profondeur, en deçà, l’eau est dépourvue d’oxygène.

La mer Noire est la mer la plus pauvre en oxygène de la planète et les émissions de méthane pourraient accentuer cette tendance. Étudier les émissions de méthane est donc aussi utile pour mieux comprendre les processus physico-chimiques qui provoquent la désoxygénation de la mer Noire et évaluer ses conséquences sur les populations de poissons.

Qui peut rejoindre l’atmosphère

Selon l’intensité des émissions, une partie plus ou moins importante du méthane est transférée dans l’atmosphère et contribue à son réchauffement. Pour comprendre l’ensemble de ces phénomènes en cascade et leurs impacts, nous devons dresser le bilan des émissions de méthane dans ces zones et comprendre comment et dans quelles mesures certains facteurs environnementaux (saisons, évènements extrêmes tels que les tempêtes, etc.) affectent la variabilité des débits et le transfert à l’atmosphère.

Ces informations permettront d’améliorer les modèles climatiques, mais aussi de mieux évaluer la résilience des écosystèmes marins et ainsi mettre en place des procédures adaptées pour leur préservation en limitant notamment les apports en matière organique anthropique.

Au-delà des émissions naturelles de méthane du littoral bulgare, la majeure partie du méthane de la mer Noire est piégée dans les sédiments profonds sous forme de « glaçons » appelés hydrates de gaz. Leur fonte avérée préoccupe les scientifiques, car elle s’accélère sous l’effet de l’infiltration d’eau salée dans le sédiment (l’eau salée déstabilise les hydrates et inhibe leur formation), accentuant la libération du méthane dans l’eau.

Bien d’autres sites sous-marins d’émissions naturelles de gaz sont connus dans le monde et notamment plus près de nous dans le golfe de Gascogne.

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