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Stockholm, en Suède, en pleine pandémie du coronavirus, le 22 avril 2020. ANDERS WIKLUND/EPA

Immunité collective : contrairement aux pays confinés, la Suède serait près d’y arriver

De nombreux pays dans le monde sont maintenant confrontés à la délicate question de savoir quand et comment assouplir les mesures de confinement adoptées en raison de la pandémie de coronavirus.

En l’absence de vaccin, il y aura probablement de nouvelles vagues de l’épidémie, à moins qu’une assez grande proportion de personnes ait été infectée pour atteindre l’immunité collective (en supposant que celles qui ont contracté le virus conservent une protection suffisante et que le virus ne mute pas en une souche distincte) ; on estime cette proportion minimale à environ 60 %.

Malheureusement, les conseillers en santé publique des pays occidentaux considèrent que seul un faible pourcentage de la population a été infecté jusqu’ici. (Au Québec, le directeur national de la santé publique, Horacio Arruda, estime qu’entre 5 % et 10 % des Québécois ont été contaminés par le coronavirus, un pourcentage probablement plus élevé dans les régions plus affectées comme Montréal et Laval).

Mais est-ce bien le cas ? Tel le « canari dans la mine de charbon », la Suède, qui encourage la distanciation sociale, mais sans confinement, pourrait guider le monde. Les autorités de ce pays affirment que la Suède atteindra bientôt l’immunité collective.

À première vue, la situation de ce pays ne semble pas reluisante. Le 22 avril, son taux de mortalité de la Covid-19 était au dixième rang mondial, avec 17,3 décès pour 100 000 habitants. En comparaison, ses voisins, le Danemark, la Norvège et la Finlande, se classaient respectivement aux 17e, 22e et 31e rangs mondiaux, avec 6,4, 3,4 et 2,6 décès pour 100 000 habitants.

Protéger une population contre une maladie au moyen de mesures de confinement énergiques, c’est un peu comme protéger une forêt située sur la trajectoire d’un incendie : à moins de déployer des efforts continus de lutte contre l’incendie, la forêt finira par brûler. Le suivi des contacts, le dépistage, la quarantaine et le confinement permettent de minimiser la contagion et de réduire considérablement les décès prématurés dus à la Covid-19.

Toutefois, à moins que les personnes qui ne sont pas infectées demeurent protégées en attendant des interventions pharmacologiques efficaces (moyens prophylactiques, comme les vaccins, et thérapeutiques), le nombre final de décès pourrait être le même dans les pays qui ont opté pour le confinement que dans ceux qui ont adopté des stratégies plus libérales.

On ignore dans quelle mesure la Suède se rapproche de l’immunité collective, puisqu’on n’a pas encore entrepris de tests aléatoires de séroprévalence à l’échelle nationale, même si c’est prévu. Il s’agit de détecter à la fois la présence de virus (pendant l’infection) et d’anticorps (après l’infection). Néanmoins, l’agence nationale de santé publique, la Folkhälsomyndigheten, et l’armée suédoise ont prélevé des échantillons sur 738 habitants de Stockholm entre le 26 mars et le 3 avril et ont constaté que 2,5 % d’entre eux avaient été infectés par le SRAS-CoV-2.

On a également réalisé des modèles mathématiques pour estimer la propagation communautaire du SRAS-CoV-2. Selon des analyses menées par un groupe britannique de premier plan, on évalue que 3,1 % de la population suédoise était infectée au 28 mars. Cela marque un contraste avec les proportions beaucoup plus élevées que Tom Britton, un éminent universitaire suédois travaillant avec la Folkhälsomyndigheten, a estimées pour Stockholm. Selon lui, jusqu’à la moitié de la population de la capitale sera infectée d’ici début mai – et le reste du pays pourrait suivre rapidement.

Comment peut-on obtenir des chiffres aussi différents ? Comme le souligne Tom Britton, de nombreuses hypothèses des modèles, notamment le taux de létalité (la proportion des personnes infectées qui en meurent), sont incertaines. C’est parce qu’on a axé le dépistage sur les cas suffisamment graves pour nécessiter une hospitalisation ou sur les professionnels de la santé. Mais on ne connaît pas le nombre de personnes qui ne présentent que des symptômes légers ou qui sont asymptomatiques, qu’on doit estimer par simulation.

Comme la propagation communautaire du SRAS-CoV-2 est l’un des principaux éléments inconnus, on s’intéresse à la façon dont elle peut être mesurée plutôt que simplement simulée.

La voie à suivre

Au Royaume-Uni et aux États-Unis, l’application Covid Symptom Tracker a fourni aux autorités de santé publique des données précieuses sur les symptômes et facteurs de risque qui donnent des alertes précoces sur les endroits où le Covid-19 est susceptible de frapper, ainsi que sur la propagation globale du virus. L’application est en cours de lancement en Suède.

La combinaison de données autodéclarées et de tests de séroprévalence directement évalués à l’échelle nationale est probablement un moyen très efficace de suivre la propagation du SRAS-CoV-2. C’est en Islande qu’on a déployé les efforts les plus énergiques pour y parvenir.

Selon un rapport récent, de 0,6 à 0,8 % de la population était infectée au 4 avril, ce chiffre restant constant pendant la période de dépistage de 20 jours – ce qui est compatible avec une stratégie de suppression efficace.

Ces résultats correspondent à un taux de létalité d’environ 0,36 % (soit environ quatre décès pour 1 000 personnes infectées). Ce chiffre est remarquablement proche du taux de létalité de 0,37 % signalé récemment par une étude de séroprévalence à Gangelt, en Allemagne, et correspond aux études menées en Finlande. Il est bien inférieur au taux de létalité officiel d’environ 13 % au Royaume-Uni, en Italie et en France, qui est reconnu comme étant une surestimation substantielle en raison du dépistage très restrictif effectué dans la plupart des pays.

On ne connaît pas le taux d’infection à Londres. Tania Volosianko/Shutterstock

En supposant un taux de létalité d’environ 0,36 % et en le combinant avec les décès confirmés par la Covid-19 en Suède (2 021 au 23 avril), on peut formuler une estimation grossière du nombre total de personnes infectées à la mi-avril – ce qui ne remplace en aucun cas la modélisation des experts et le dépistage. Néanmoins, cela équivaut à 561 389 infections dans tout le pays (environ 5,5 % de la population totale).

Étant donné que plus de la moitié des décès sont survenus à Stockholm (1 128 au 23 avril), mais que seulement 10 % de la population y vit, environ un tiers de la population de la capitale suédoise pourrait avoir été infecté à la mi-avril. Ce chiffre est compatible avec les estimations présentées par la Folkhälsomyndigheten pour le début du mois de mai pour Stockholm.

Cependant, de nombreux décès dus à la Covid-19 passent inaperçus, ce qui signifie que le nombre de décès pourrait être beaucoup plus élevé. Par rebond, le nombre total d’infections est probablement plus élevé que celui estimé avec l’équation du taux de létalité. Dans certains pays, les décès de la Covid-19 peuvent être signalés comme étant des décès par pneumonie. Et les décès qui surviennent à la maison ou dans les centres de soins, où on fait moins de dépistage, ne sont généralement pas inclus dans les comptes officiels – ou sont ajoutés beaucoup plus tard.

Il y a également des données qui semblent montrer que le virus a commencé à se propager beaucoup plus tôt qu’on ne le pensait au départ. Cela signifie qu’il y a des milliers de décès dus à la Covid-19 qu’on aurait imputés à d’autres maladies (comme la pneumonie). Aux États-Unis, par exemple, l’autopsie d’un patient décédé le 6 février a confirmé que le virus avait atteint le pays près d’un mois plus tôt que ce qu’on croyait. On a découvert des preuves similaires en Italie.

D’autre part, une recherche publiée dans The Lancet laisse voir que le nombre réel de décès dus à la Covid-19 en Chine aurait été quatre fois plus élevé si la définition d’un cas de Covid-19 utilisée par la suite avait été appliquée dès le départ.

Ces chiffres sont particulièrement importants quand on essaie d’estimer le nombre de personnes qui ont été infectées en se basant sur le nombre de personnes décédées. Il est impossible de connaître le nombre exact de personnes infectées par la Covid-19 – en Suède comme dans la plupart des pays. Mais si les simulations réalisées en Suède sont correctes, et que la plupart des gens obtiennent une immunité post-infection, les infections et les décès à Stockholm devraient diminuer considérablement dans les semaines à venir.

This article was originally published in English

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