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Individus, qui êtes-vous ?

Souris de laboratoire. U.S. Department of Energy

Timides, autoritaires, amoureux du risque… Traits humains, mais pas seulement. Et si les animaux, aussi, étaient dotés de personnalités ? Les chiens, les vaches, les lézards, les souris ? L’étude de la variabilité entre individus devient un sujet de recherche en neurosciences. Dans ce domaine, notre équipe a pu mener une expérience appelée « Souris City », un dispositif novateur où les rongeurs vivent ensemble, et où il est possible de faire passer un test à chaque individu, sans intervention humaine. Ce système a permis d’identifier différentes « personnalités » parmi les souris.

Lorsqu’on demande aux souris de choisir entre de l’eau sucrée et de l’eau, et que la position de ces récompenses alterne entre droite et gauche, on distingue des animaux qui suivent le sucre et donc alternent entre droite et gauche (Indiv #1), et des animaux qui choisissent quasiment toujours le même côté, quelle que soit la boisson (Indiv #2). Nicolas Torquet/NPS, Author provided

Comment peut-on définir l’individualité ? La notion renvoie aux différences dans l’expression de comportements qui sont stables dans le temps et dans différents contextes. Les exemples animaux sont nombreux. Au sein d’une même espèce de lézards, certains reptiles ont des personnalités « sociales », tandis que d’autres ont tendance à s’isoler et explorer de nouveaux habitats. Placés dans une situation où ils doivent plonger pour obtenir de la nourriture, certains rats sont dits « ravitailleurs » : ils vont chercher la nourriture pour les autres. D’autres sont « autonomes » et les derniers « racketteurs » : ils exploitent le travail des premiers. Ces exemples illustrent le fait que l’individualité est une caractéristique omniprésente dans tout le règne animal, quel que soit le niveau d’organisation de l’espèce. Les mécanismes biologiques à l’œuvre pourraient ne pas être spécifiques aux humains, mais être très généraux.

À quoi sert l’individuation

Des recherches ont été menées sur les conséquences écologiques et évolutives de la variabilité comportementale entre individus. Les écologistes ont proposé que l’individuation, c’est-à-dire le processus permettant d’obtenir des individus différents, jouerait un rôle dans l’évolution en favorisant par exemple la séparation des espèces en sous-populations. À un autre niveau, l’individuation façonne les interactions entre les individus, leurs perspectives individuelles de survie ou encore leurs susceptibilités aux maladies : comprendre quels mécanismes permettent de générer deux individus distincts est donc très important. Il ne s’agit plus d’étudier un individu moyen mais de comprendre ce qui fait diverger des individus et qui peut éventuellement les rendre vulnérables à une pathologie.

Quels sont les facteurs qui déterminent les variations entre individus ? Génétiques et environnement s’entremêlent. De petites différences initiales, le développement corporel et cérébral, et, à tout âge, les expériences individuelles. Dans le cerveau de l’individu, la plasticité des circuits laisserait des traces dans les réseaux nerveux connectés et dans leur fonctionnement, déterminant ainsi la personnalité. Cette hypothèse permet d’expliquer simplement pourquoi des frères jumeaux ou, dans les laboratoires, des groupes de souris génétiquement identiques, ont des comportements et des personnalités différentes.

L’une des problématiques actuelles est de savoir si la variation interindividuelle est produite en réponse à un besoin adaptatif de l’individu ou si elle est la conséquence de processus aléatoires sans lien avec une adaptation. Certaines approches insistent sur des mécanismes d’amplifications de différences génétiques ou lors du développement. La variation entre deux individus est, ici, considérée comme ayant une origine aléatoire. D’autres approches, qui rejoignent les conclusions de sociologues, s’appuient sur des modifications de réseaux et de plasticité cérébrale pour considérer que l’individu est largement façonné par son milieu social : la variation est alors la conséquence d’une adaptation individuelle. Si elles ne tranchent pas définitivement ce débat, où les deux hypothèses ne sont pas incompatibles, nos approches en laboratoire sur modèles animaux permettent aujourd’hui de nourrir la discussion et d’isoler des facteurs importants dans la création de cette variabilité.

L’analyse du comportement animal en laboratoire a profité ces dernières années d’avancées technologiques en analyse d’images, en détection automatique à l’aide de puce RFID, et en machine learning. On peut aujourd’hui analyser plus ou moins automatiquement le comportement de groupe d’animaux sur de longues périodes de temps, dans de larges environnements et cela sans que les expérimentateurs aient besoin d’intervenir.

Un aquarium de poissons-zèbres étudiés par des biologistes américains. Western Fisheries Research Center

Ces environnements, dits naturalistes, permettent aux animaux d’exprimer des comportements sociaux et non sociaux sophistiqués, mais aussi d’effectuer des tâches cognitives spontanément, c’est-à-dire quand ils le souhaitent, et individuellement, c’est-à-dire isolés de leurs congénères. Ces différents comportements sont mesurés en continu, ce qui permet de relier les performances cognitives de chaque individu avec un ensemble d’autres comportements.

Comportement et plasticité cérébrale

De telles analyses ont montré l’émergence de traits comportementaux stables entre les individus au sein d’un groupe de souris génétiquement identiques et ce malgré un environnement unique pour tous. Cette individuation a été reliée à des différences dans la plasticité structurale du cerveau ou dans l’activité des systèmes dopaminergiques, impliqués dans les prises de décisions. On constate aussi que la modification de l’environnement social se traduit par une réadaptation rapide des traits de l’animal et de ses propriétés biologiques. En effet, si l’on groupe ensemble des individus aux profils comportementaux similaires, des divergences réapparaissent en quelques semaines. Les caractéristiques individuelles peuvent ainsi évoluer rapidement face aux défis sociaux, indiquant par là même un fort déterminisme social dans la mise en place d’un individu et le rôle adaptatif de ses changements.

Ces déterminismes sont intéressants à replacer dans le contexte des vulnérabilités humaines aux pathologies neurobiologiques et psychiatriques. Santé mentale et vie sociale sont intimement liées. Mais il faut rester prudent. On sait que seule une minorité de consommateurs de substances développeront une dépendance. On sait aussi que certains traits qui caractérisent un individu, comme l’impulsivité, l’exploration ou la recherche de nouveautés représentent des facteurs prédictifs des effets addictifs des substances et de la vulnérabilité des individus aux drogues. Mais les relations entre causes et effets sont floues. L’analyse des relations entre contexte social, individu et vulnérabilité dans des modèles animaux représente aujourd’hui un axe de recherche important pour comprendre comment ce contexte social, en influençant les traits individuels, favorise la vulnérabilité ou la résilience à certaines pathologies.

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