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Infrastructures : comment combler les faiblesses africaines dans les négociations avec la Chine

Le président chinois Xi Jinping lors du Forum Chine-Afrique à Pékin, en septembre 2018. LINTAO ZHANG / AFP

« On ne négocie pas avec la Chine ! » Voilà les premières réponses des diplomates et fonctionnaires africains lorsqu’on les a interrogés dans le cadre d’un projet de recherche en cours sur les pratiques de négociation avec la Chine quand il s’agit projets d’infrastructures. Il existe en effet une perception partagée selon laquelle les conditions imposées par les entreprises et banques de développement chinoises sont peu ou pas négociables, de peur que l’offre de financement n’aille ailleurs.

La Chine est actuellement le premier pourvoyeur de financement d’infrastructures sur le continent – comme l’a encore illustré un récent engagement de 60 milliards de dollars pris lors du Forum Chine-Afrique de septembre 2018. Les grands projets prévus comprennent des centrales hydroélectriques en Angola et en Guinée, ou encore une raffinerie de pétrole au Nigeria et la construction d’une ville nouvelle en Égypte.

Pourtant, une observation de plus près sur le terrain révèle que certains gouvernements africains sont bien meilleurs que d’autres pour négocier avec les Chinois. Les projets de chemin de fer en Afrique de l’Est semblent en être un bon exemple : au Kenya, le standard gauge railway est le plus grand projet d’infrastructure depuis l’indépendance du pays en 1963. La China Eximbank a fourni la plus grande partie du financement sous forme de prêt de la Phase 1 (472 km de voie entre Nairobi et Mombasa) pour un coût de 3,2 milliards de dollars. Chez le voisin éthiopien, une ligne de train électrique plus moderne reliant Addis-Abeba à Djibouti, qui est également financée par la Chine, a ouvert il y a deux ans. Le coût de ce dernier est de 3,4 milliards de dollars (pour 756 kilomètres). Le gouvernement kenyan défend cette différence de coût par des critères techniques liés au terrain et à la nécessité de transporter des volumes de fret plus importants. Pourtant, des révélations récentes confirment que des dysfonctionnements majeurs ont eu lieu en amont notamment dans le processus de négociation.

Les nouvelles locomotives de Kenya Railways. EPA

En apparence, les gouvernements africains semblent avoir une marge d’action limitée. Pourtant, ils peuvent apprendre les uns des autres. Malgré des clauses contractuelles initiales très contraignantes, un contrat favorisant la création d’emplois (notamment pour les travailleurs qualifiés), le transfert de connaissances et de technologies, le respect des normes environnementales et de construction, et l’utilisation de matériaux de qualité, reste possible. Ceci dépend de quatre conditions :

1. Éviter les négociations fragmentées

Généralement, après des réunions bilatérales ou multilatérales sino-africains et les d’engagements financiers qui s’en suivent, des contractants chinois provinciaux ou nationaux, soutenus par la mission économique et commerciale chinoise et l’ambassade de Chine dans les pays africains, établissent des contacts initiaux avec le cabinet du premier ministre, les ministères stratégiques (notamment ceux des Affaires étrangères, des Finances, et de la Planification) et les ministères techniques (notamment ceux des Transports et travaux publics, de l’Agriculture, ou du Logement) à la recherche de projets d’infrastructures internes prioritaires.

Dans certains pays comme le Togo et le Cameroun, ces ministères clés prennent la tête des processus de négociation, tandis que d’autres, comme le Bénin et le Kenya, permettent aux ministères techniques de poursuivre des négociations décentralisées. Cependant, dans ce deuxième cas de figure, afin d’accélérer le processus, ministères techniques et contractants chinois (toujours appuyés par les représentants politiques et économiques sur place) peuvent être amenés à contourner ces ministères stratégiques et autres acteurs clés et à engager des cycles de négociations parallèles et décentralisées, souvent sans expérience de négociation préalable avec les Chinois. En pratique, de tels accords peuvent être moins bénéfiques pour les pays africains et favorisent les pratiques de corruption. Une enquête pour corruption a par exemple été ouverte dans le cadre du projet de chemin de fer au Kenya. Il est désormais avéré que ce contrat, très coûteux et peu avantageux, est également lié à des problèmes de coordination et de contournement d’acteurs clés (Kenya Railways en particulier) pendant les négociations.

Lorsque tous les ministères concernés sont impliqués dans une négociation, cela peut en effet prendre plus de temps. Le processus est toutefois plus cohérent et le projet résultant moins susceptible d’enfreindre les réglementations nationales.

2. Renforcer le pouvoir des négociateurs africains

Deuxièmement, un résultat (dés)avantageux pour les gouvernements africains dépend des formes d’intervention du cabinet présidentiel au cours du processus de négociation. Souvent guidée par des motivations politiques et par la nécessité de respecter les promesses électorales, notamment en ce qui concerne la construction des infrastructures, la présidence peut être amenée à intervenir pendant le processus sous forme de pression sur les fonctionnaires. Cela aboutit généralement à un manque d’application de la réglementation nationale. Au Bénin, par exemple, lors de négociations sur l’axe interrégional routier Akassato-Bohicon en 2010, les entrepreneurs chinois mécontents de certaines conditions imposées par les fonctionnaires et experts du ministère des Travaux publics se sont plaints directement auprès du président Yayi Boni qui a accepté d’intervenir – aboutissant ainsi au contournement des réglementations nationales en matière de construction et d’emploi.

Pourtant, l’intervention présidentielle peut s’avérer utile lorsqu’elle consiste à fournir une expertise spécifique aux entités gouvernementales pendant les négociations. Au Bénin, sous l’actuelle présidence, au Togo, au Sénégal et en Tunisie, la présidence a été amenée à solliciter des cabinets d’avocats internationaux dont les experts disposaient d’une expérience professionnelle au sein de ministères stratégiques chinois tels que le ministère des Affaires étrangères, le ministère du Commerce et les banques de développement (dont la China Eximbank). Ces experts fournissaient ensuite des conseils techniques et judiciaires pour mieux comprendre le fonctionnement de ces institutions et leurs différents critères et conditions de prêt.

La délégation chinoise rencontrant l’administration de Yayi Boni au Bénin en 2012. EPA

Une expertise supplémentaire peut donc avoir un impact à la table de négociation en faveur des gouvernements africains, si elle n’est pas ponctuelle, mais fait partie d’une stratégie institutionnalisée sur le long terme. En effet, la disparité des acteurs à la plupart des tables de négociation Afrique-Chine conduit à des styles de négociation différents. Les négociateurs africains sont en grande partie composés de chefs de division et de fonctionnaires dotés de compétences plus ou moins techniques, de ministres et parfois du président. Du côté chinois, la présence combinée de représentants d’ambassades, de missions économiques et commerciales, et de représentants d’entreprises publiques est un indicateur de cette double logique politico-économique où le marché et l’État négocient d’une seule voix pour l’optimisation des profits – aboutissant souvent à des tactiques de négociation agressives auxquels les négociateurs africains ne sont pas habitués.

Les négociateurs chinois adoptent souvent une approche à prendre ou à laisser. Pourtant les gouvernements africains n’intègrent pas suffisamment que la Chine dispose d’un surplus de matières premières, et de construction, qu’ils cherchent à écouler. Ils ont donc besoin des marchés africains. Une autre technique de négociation serait de confronter plus régulièrement la Chine à d’autres pays comme la Turquie, les Émirats arabes unis et la Corée du Sud qui cherchent à financer des projets d’infrastructures sur le continent.

3. Intégrer les préoccupations de la société civile

Troisièmement, le succès des négociations dépend de la responsabilité des gouvernants vis-à-vis des préoccupations des populations et des sociétés civiles africaines. Malgré la perception généralement positive des Africains envers la Chine, tel que démontrée par une enquête Afrobarometer, effectuée sur 54 000 enquêtés dans 35 pays africains, une perception négative de la Chine en Afrique existe également.

Elle est due à la mauvaise qualité des produits chinois, au manque de transparence autour des contrats, à la perception croissante selon laquelle la présence chinoise en Afrique se traduit par une suppression d’emplois, ainsi qu’à la suspicion de corruption des élites africaines. Si les gouvernements africains ne tiennent pas compte de ces perceptions, les organisations de la société civile et les médias dénonceront à juste titre le favoritisme de leurs gouvernants envers la Chine, comme ce fut le cas au Kenya.

4. Partager et accroître les connaissances

Négocier avec la Chine est une pratique relativement nouvelle pour les gouvernements africains. Ils devraient saisir toutes les occasions pour effectuer un partage d’expérience et de bonnes pratiques. Un rôle existe également pour les universités africaines : malgré la présence d’instituts culturels et linguistiques mais aussi de l’apprentissage bientôt obligatoire du mandarin dès l’école primaire dans certains pays africains, le nombre de centres d’études asiatiques dans les universités africaines reste trop limité. Ils devraient créer plus de centres d’études asiatiques pour combler l’écart en matière d’information et de connaissances.

Certains ont fait valoir par le passé que les gouvernements africains échouaient dans la négociation avec les Chinois parce qu’ils manquaient de stratégie. Ceci n’est que partiellement avéré : plusieurs gouvernements mettent en place des plans d’action et négocient des marges de manœuvre. Mais ce qui est requis est une approche plus coordonnée et cohérente – ce sur quoi la Chine a considérablement avancé de son côté. Pour les gouvernements africains, une absence d’accord reste en effet généralement préférable à un mauvais accord.


Folashadé Soulé est senior research associate au programme de gouvernance économique globale de l’Université d’Oxford. Elle est docteure en science politique, mention relations internationales de Sciences Po Paris.

This article was originally published in English

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