« Innover dans les ressources humaines ? C’est possible ? » Pendant longtemps, ce type de remarque reflétait une appréhension de l’innovation cantonnée à une sphère technique. Malgré les travaux de chercheurs sur les autres types d’innovations appelées administratives ou managériales (par exemple Boer et During, 2001 ; Damanpour et Aravind, 2011), cela a pris du temps pour que la gestion des ressources humaines soit considérée comme un espace où quelque chose de nouveau pourrait y être initié et développé.
Depuis peu, des articles de presse fleurissent d’ailleurs sur des disruptions dans ce domaine aux effets prometteurs sur les hommes et la manière de les gérer, allant de l’utilisation d’applications pour sonder la satisfaction de salariés au travail, jusqu’à l’utilisation de l’intelligence artificielle pour choisir le meilleur candidat, en passant par la mise en place de pratiques de rémunération totalement transparentes en interne ou en externe.
De plus en plus, on associe donc Innovations et RH, avec des questionnements associés sur ce ET placé entre deux termes jusque-là rarement accolés :
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Comment la GRH (et les RH) accompagne-t-elle les stratégies d’innovation et les transformations des entreprises ?
Comment les innovations ont-elles des impacts sur les ressources humaines et sur la manière de les gérer ?
Comment les ressources humaines et la GRH sont-elles sources d’innovations ?
Pour envisager toutes ces questions, identifier des exemples et réfléchir à de nouvelles pratiques et processus, une vingtaine de représentants d’entreprises publiques et privées françaises s’est réunie mensuellement pendant 5 mois au sein du Club ANVIE « Innovations RH », en s’enrichissant à chaque séance de témoignages de chercheurs et de praticiens sur les sujets abordés. Malgré la diversité des participants et des témoignages recueillis, des points de convergences ont été identifiés.
Les ingrédients des démarches d’innovation RH
1. Il n’y a pas d’innovation sans acteurs
Toutes les ressources humaines doivent et sont impliquées dans les innovations RH mises en place. Les dirigeants jouent un rôle majeur dans la phase d’adoption pour prendre la décision, choisir le type d’innovation et allouer les ressources nécessaires à la mise en place dans leur organisation.
La diffusion de l’innovation implique nécessairement aussi les managers avec une position de pivots pour permettre l’implémentation en interne. Mais souvent, ce sont des salariés à différents postes et niveaux hiérarchiques qui identifient et génèrent les innovations, et qui sont chargés de permettre une diffusion élargie à toute leur entreprise. Tout un chacun peut dès lors se positionner au cœur de démarches d’innovations RH, qu’il soit d’ailleurs dans la fonction RH ou pas.
2. Il n’y a pas d’innovation sans processus
Qu’il serait aisé d’importer des méthodes, des outils ou des processus, et de les diffuser tels quels d’une entreprise à une autre ! Dans les faits, ces démarches sont placées dans un temps long, qui nécessite d’amener des salariés et des groupes de travail à s’associer à la démarche, et de mener un long travail d’acculturation par rapport à des pratiques plus traditionnelles.
L’enjeu est dès lors de positionner au cœur du processus d’innovation RH, la pratique du « test and learn » et ainsi d’accepter le droit à l’erreur face à ces évolutions (voire révolutions parfois) complexes.
Tout au long de ces démarches, toutes les parties prenantes doivent savoir communiquer sur le pourquoi de cette innovation ou sur le processus initié qui n’amènera peut-être pas rapidement et directement les effets escomptés.
Quels que soient les types d’innovations et les processus mis en place, tous ces ingrédients s’avèrent incontournables.
3. Il n’y a pas d’innovation sans outils
Les technologies et les applications font aujourd’hui rêver de nombreuses entreprises. L’intelligence artificielle ou les algorithmes sont porteurs de promesses nouvelles quant aux manières de recruter, de retenir ou plus largement de gérer les salariés. Toute innovation semble d’ailleurs aujourd’hui passer par ces nouveaux outils, qui suscitent dans le même temps des craintes sur leur puissance et leur substitution à l’intervention humaines.
Face à l’angoisse de la technique, il convient de repositionner ces outils en tant que vecteur d’influence de l’action et d’aides à la décision. Ils peuvent en effet aider les salariés et les gestionnaires des ressources humaines, par exemple pour mieux communiquer ou enrichir les informations disponibles pour faire un choix de recrutement ou d’évolution de carrière.
Vers un cercle vertueux de l’innovation RH
Si au départ la mise en place d’innovations technologiques a nécessité que la gestion des ressources humaines se positionne en accompagnement de ces évolutions, il apparaît que de plus en plus, cette même GRH deviennent le lieu d’innovations et contribue ainsi à repenser des technologies, participant ainsi à créer un cercle vertueux de l’innovation RH.
Et au cœur de ce cercle :
les ressources humaines sont clefs : l’humain et les interactions physiques entre les individus sont cruciaux pour générer, adopter et implémenter ces innovations ;
la gestion des ressources humaines doit être appréhendée comme un lieu d’innovations et se trouver ainsi reconsidérée ;
la fonction RH doit se repositionner pour devenir stratégique, en apportant et portant ces projets d’innovations.
Des défis persistants pour l’innovation RH
Les peurs du changement
Les innovations RH n’échappent pas aux défis classiques de tout changement organisationnel.
Des aléas sont observés dans beaucoup d’entreprises quant à la mise en place de telles évolutions. Et accepter l’erreur, les délais, n’est toujours pas chose aisée dans la plupart des entreprises. Des résistances apparaissent aussi inévitablement. Les habitudes de travail sont en effet bouleversées par ces innovations, qui peuvent venir remettre en cause les zones de pouvoir ou les informations détenues par chacun.
Le nouveau positionnement de la RH
D’autres défis sont liés à la nature de ces innovations. En effet, il est plus difficile de mesurer les effets des innovations RH. La performance attendue est présentée dans un premier temps comme qualitative avant tout. Reste aujourd’hui à aller vers des repères quantitatifs qui permettraient de gagner en crédibilité et légitimité par rapport à ces innovations.
Qui plus est, la fonction RH est traditionnellement considérée comme support au reste de l’organisation, d’ailleurs plutôt confidentielle de par les données mobilisées. L’enjeu est aujourd’hui de faire savoir que ces innovations existent pour les expliquer et permettre leur diffusion en interne.
La fonction RH est ainsi mise au défi de devenir un véritable architecte du changement et un activiste crédible, missions idéalisées par le chantre de la fonction Ulrich (2012) et peut-être aujourd’hui possibles.
Toutes ces réflexions invitent donc à (re)penser le lien entre innovations et RH dans les deux sens. Si elles peuvent être vues par certains comme des modes (par exemple : tous penser sa marque employeur ou tous avoir des algorithmes prédictifs pour le recrutement), c’est plutôt un écosystème de l’innovation RH qui se met en place progressivement dans les entreprises. Certes le point d’entrée est souvent une technologie ou une application, mais une innovation RH ne suffit pas. Ce sont les pratiques et les politiques RH et au-delà l’organisation de ces entreprises qui doivent se métamorphoser.
Rarement disruptives, ces innovations font ainsi évoluer progressivement les ressources humaines, la GRH et la fonction RH. Reste maintenant à cette dernière de saisir les opportunités offertes par ces innovations et à considérer que rien n’est définitif et que beaucoup est encore à faire !
Le club ANVIE « Innovations RH » a permis à une vingtaine d’entreprises françaises de réfléchir ensemble, et en interaction avec des chercheurs ou autres praticiens, au sujet des différentes innovations RH, leurs natures, les processus d’adoption et leurs défis. Différents thèmes y ont été approfondis : la digitalisation des RH/la marque employeur et l’expérience salarié/l’empowerment et le rôle des communautés pour innover/les nouvelles formes de l’évaluation/les nouveaux espaces de travail/les SIRH repensés. Différents thèmes y ont été approfondis : la digitalisation des RH/la marque employeur et l’expérience salarié/l’implication, l’empowerment et le rôle des communautés pour innover/les nouvelles formes de l’évaluation/les nouveaux espaces de travail/les SIRH repensés.
Animation scientifique : Géraldine Galindo. Chef de projet ANVIE : Quentin Deslandres.