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Intégration à l’entreprise : être intégré.e, ça veut dire quoi ?

Photo d'illustration. Manoel Lemos/Flickr, CC BY-SA

La question de l’intégration est ancienne, et a inspiré de nombreux auteurs, qui l’ont analysé au niveau de la société, avant de la poser dans le contexte d’une entreprise. Le concept qui se rattache à la notion d’intégration est celui de socialisation, et trouve ses origines dans la sociologie, la psychosociologie, et l’anthropologie.

Pour Émile Durkheim par exemple, l’individu socialisé est sujet, dans la mesure où la société lui transmet et impose des valeurs, une culture, un rôle, etc. Pour Georges Simmel, l’individu est acteur et sa socialisation, fruit des multiples interactions et influences réciproques qui en découlent.

On retrouve ces deux perspectives dans l’entreprise, où l’intégration résulte à la fois de ce que l’entreprise met en œuvre pour l’individu (formation, journée d’accueil, parcours de RV, etc.), et de ce que l’individu fait pour faciliter sa propre intégration (rechercher des informations et du retour d’information, se créer un réseau, etc.).

Pour évaluer la qualité de l’intégration, de nombreux indicateurs indirects sont souvent utilisés (la satisfaction, l’engagement, les intentions de départ, etc.). Pour autant, ces indicateurs restent éloignés de la notion d’intégration.

En caricaturant un peu, une nouvelle recrue peut être très satisfaite de son travail parce qu’il est situé près de chez elle et qu’il est bien payé, sans se sentir pour autant intégrée dans l’entreprise. De même, une personne peut être très satisfaite de sa journée d’intégration, sans pour autant avoir appris beaucoup de choses utiles pour son travail.

Le concept d’intégration porte sur la manière dont un individu, extérieur à l’entreprise (ou un service, département, filiale, etc.), en devient un membre à part entière, actif et efficace. S’il s’agit d’un processus continu, il est bien entendu plus intense lors d’un recrutement, d’une mobilité, d’une promotion, etc. Nous proposons d’expliciter le concept d’intégration à la fois en termes de contenu et de processus.

L’intégration en termes de contenu

Les recherches consacrées au contenu considèrent l’intégration comme l’apprentissage de différents domaines nécessaires pour exercer son rôle dans une entreprise. Il y a bien sûr les savoir-faire, mais également la manière de se comporter et d’interagir, en phase avec la culture d’entreprise, et plus généralement la connaissance du contexte particulier qu’est son entreprise.

Les domaines d’apprentissages recouvrent ainsi pour l’essentiel trois grands aspects : le travail, les personnes avec lesquelles on interagit, et le contexte particulier de l’entreprise (histoire, culture, process, etc.).

Si cette approche est juste, elle reste insuffisante : peut-on considérer une personne intégrée si elle connaît la culture de son entreprise mais la rejette ? Il ne s’agirait alors de toute évidence que d’une intégration partielle. Pour enrichir la première approche de l’intégration en termes de contenu, voici une deuxième approche.

L’intégration comme processus

Au-delà de l’apprentissage, l’intégration doit également prendre en compte la notion d’intériorisation, qui renvoie à plusieurs processus psychologiques. Les chercheurs Edward L. Deci et Richard M. Ryan identifient à cet égard trois niveaux d’intériorisation.

  • Lorsqu’il n’y a aucune intériorisation, la personne fait les choses par contrainte. C’est alors essentiellement l’appréciation des sanctions et des récompenses qui guident ses comportements.

  • Le premier niveau d’intériorisation renvoie à l’introjection, c’est-à-dire au fait « d’avaler des modes de régulation sans les digérer ». J’adopte par exemple les règles de comportement qui me paraissent acceptables, même si elles ne correspondent pas spontanément à ma nature.

  • Le deuxième niveau d’intériorisation est lié à l’identification, ce qui suppose non seulement l’acceptation mais également l’adhésion.

  • Enfin, le troisième niveau consiste à intégrer plus profondément les choses au soi. C’est par exemple le cas lorsque les valeurs de l’entreprise deviennent celles de l’individu, et structurent ses comportements.

L’intégration : un croisement entre processus et contenu

La notion d’intériorisation s’applique clairement aux domaines précédemment évoqués. On peut donc croiser les approches en termes de contenu et de processus pour obtenir le tableau ci-dessous, qui illustre les différentes facettes du concept d’intégration.

Les différentes facettes du concept d’intégration. Serge Perrot, Author provided

Ce tableau permet d’expliciter l’objectif d’une « bonne intégration », en le renvoyant à 6 facettes possibles qui, selon les cas, peuvent constituer, ou pas selon les contextes, des objectifs souhaitables pour les entreprises.

L’intérêt pratique de cette clarification conceptuelle est double :

  • S’interroger sur les six facettes identifiées permet d’aller plus loin, à la fois pour concevoir et pour évaluer les dispositifs d’intégration. Par exemple, si l’un des objectifs est par exemple d’être opérationnel rapidement sur un poste, une mesure de l’efficacité du programme d’intégration peut être liée à l’évaluation, par le manager, de la performance opérationnelle de la nouvelle recrue à l’issue d’un certain temps.

  • Deuxièmement, le cadre conceptuel suggère de repenser le déroulé des programmes d’intégration dans le temps. L’analyse en termes de contenu conduit à s’interroger sur l’évolution des besoins des nouvelles recrues au fil du temps. Faut-il commencer l’accueil par une présentation de l’histoire de l’entreprise, ou à l’issue de plusieurs mois, lorsque la personne est opérationnelle sur son poste et dégagée du stress de l’arrivée ? Les recherches montrent que les besoins des nouvelles recrues en la matière évoluent au cours du temps.

L’analyse en termes de processus montre que si l’apprentissage est généralement cumulatif, le niveau d’intériorisation suit une évolution beaucoup plus erratique, au gré des expériences vécues. Si l’objectif est de transmettre une culture d’entreprise, la compréhension des processus à l’œuvre montre que la culture se transmet davantage sur la réalité des expériences vécues que sur un PowerPoint.


Cet article est tiré de deux publications de recherche antérieures :

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