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Vladimir Poutine et Xi Jinping
Le président chinois Xi Jinping et le président russe Vladimir Poutine posent pour une photo avant leurs entretiens à Pékin, en Chine, le 4 février 2022, durant les Jeux olympiques d'hiver. (Alexei Druzhinin, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP)

Invasion russe en Ukraine : voici pourquoi la Chine pourrait devenir médiatrice

Plusieurs analystes de la géopolitique internationale et experts de la Russie évoquent le spectre d’une déflagration nucléaire dans le sillage de la guerre en Ukraine. L’urgence de la situation nécessite que toutes les avenues puissent être poursuivies pour trouver une solution négociée au conflit.

Comme spécialiste des négociations internationales, mon attention se porte naturellement vers les options diplomatiques aux situations de crise. L’une de ces solutions implique un rôle important de médiation de la Chine. Le but de cet article est d’expliquer pourquoi il serait dans son intérêt d’agir comme intermédiaire entre la Russie et les pays occidentaux.

Un équilibre précaire pour la Chine

Au sein même de la Chine, des appels fusent pour une prise de position ferme de Pékin et d'une condamnation sans équivoque de l’invasion russe de l’Ukraine. Ces cris du cœur sont illustrés par une lettre ouverte rédigée par cinq historiens chinois de renom, dont les propos ont été résumés dans le quotidien britannique The Guardian.

Une telle disposition n’irait pas à l’encontre du principe du respect de l’intégrité territoriale des États, l’un des trois fondements centraux de la politique étrangère de Xi Jinping. L’ambassadeur chinois en Ukraine n’a pas tardé à réaffirmer ce principe en déclarant que Pékin respectait la souveraineté ukrainienne. Cependant, l’application de ce fondement ne peut pousser Pékin jusqu’à une condamnation stricte de son alliée stratégique au sein d’instances internationales telles que le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Par ailleurs, une alliance résolue avec les forces occidentales, sous un leadership américain au sein de l’OTAN, irait également à contre-courant d’une deuxième assise de la vision géopolitique de Xi Jinping, consistant en une quête de parité géostratégique avec les États-Unis. Une alliance inconditionnelle du président chinois avec les visées de l’OTAN dans ce conflit représenterait une admission que son pays ne traite pas d’égal à égal avec Washington.

Un alignement avec les forces opposées à Moscou renforcerait cependant le troisième pilier de sa stratégie, soit une participation accrue dans les institutions économiques internationales, afin de soutenir sa croissance interne.

Bref, un tel rapprochement avec les grandes démocraties de la planète, sous la guise d’une réprobation du régime Poutine, mettrait la Chine en porte-à-faux avec deux de ses grands objectifs globaux.

L’autre option, celle de se rallier à la Russie, conduirait la Chine à la réalisation d’un de ses trois objectifs géostratégiques : en minant l’ascendant américain sur l’ordre politique et sécuritaire mondial, cela facilite la réalisation de Xi Jinping d’une parité géostratégique avec les Américains.

Cette confrontation directe avec Washington et ses alliés s’inscrirait cependant en opposition aux deux autres objectifs à long terme de Pékin.

Des femmes et des enfants marchent dans la rue, transportant des sacs
Des réfugiés, principalement des femmes avec des enfants, arrivent au poste frontière de Medyka, en Pologne, le dimanche 6 mars 2022. Près de 1,5 million d’Ukrainiens ont fui leur pays. (AP Photo/Visar Kryeziu)

La politique de l’ambiguïté stratégique

L’invasion de l’Ukraine par son alliée informelle, la Russie, vient ainsi précipiter les choses pour le Parti communiste chinois, qui poursuit méthodiquement une planification à long terme de ses objectifs.

Ces actions intempestives de Poutine en Ukraine placent Xi Jinping face à des choix difficiles. D’un côté, un appui ouvert à Moscou placerait les Chinois dans la mire des sanctions occidentales, ce qui minerait l’adhésion internationale à leur ambition de reformuler les termes de l’ordre politique mondial. D’un autre côté, se ranger fermement derrière les nations occidentales signifierait se subjuguer à une réaffirmation du rôle hégémonique des États-Unis comme garant de la stabilité planétaire.

Il ne reste donc qu’une solution mitoyenne pour la Chine, celle de l’ambiguïté stratégique. L’abstention est son instrument politique le plus performant à court terme. Ce n’est évidemment pas une position idéale pour achever son objectif de reformulation des termes de l’ordre économique international, mais cette politique pourrait être rentable à plus long terme. En présentant un visage conciliant et non belliqueux, Pékin préserve son principe de non-ingérence formelle, ainsi que le maintien d’un certain respect des institutions internationales contemporaines.

En ne prenant pas une position ferme dans un sens comme dans l’autre, Pékin pourrait ainsi parvenir à soutenir économiquement la Russie en poursuivant l’achat de ses produits pétroliers et gaziers, et en lui fournissant des biens essentiels non militaires, ce qui constituerait un certain pied de nez à l’Occident, tout en évitant toutefois une confrontation directe.

Le rôle de médiateur de la Chine

D’une façon plus conséquente, cette ambiguïté stratégique de la Chine pourrait avoir un effet bénéfique et permettre de dénouer le nœud gordien de la crise.

Malgré les bons offices du président français Emmanuel Macron, qui multiplie les appels téléphoniques avec Vladimir Poutine, il est clair que ce dernier ne veut rien savoir des doléances de l’Occident. Seule la Chine détient le potentiel de lui faire entendre raison. Si cette dernière décidait de jouer le rôle de médiateur, une solution diplomatique au conflit deviendrait envisageable. Ceci permettrait à la Chine de redorer son blason et contribuer à ses objectifs à long terme.

Cependant, si ce rôle d’intermédiaire entre les Russes, les Ukrainiens et les puissances de l’OTAN sert les objectifs géostratégiques de la Chine, pourquoi n’a-t-elle pas déjà offert ses bons services ? La réponse se trouve éventuellement dans la situation sur le terrain. Il pourrait être dans l’intérêt de la Chine que les troupes de Poutine consolident leur position sur le territoire ukrainien. Le passage éventuel d’une invasion armée à un état de siège qui se prolonge viendrait modifier les rapports de force.

D’un côté, les nations occidentales seraient ainsi confrontées à une situation où les Russes imposent leur volonté sur une grande partie du territoire ukrainien. D’un autre côté, Moscou subirait le coût croissant de son occupation et des sanctions économiques. Le moment pourrait être propice à une intervention salvatrice de Pékin, afin de proposer une solution diplomatique au conflit. La nature de la résolution pacifique est inconnue et varie en fonction de la situation sur le terrain. Il serait donc présomptueux d’en définir les termes au moment présent. Il n’en demeure pas moins qu’une intervention concrète de la Chine, qu’elle soit couronnée de succès ou non, viendrait hausser son prestige sur la scène internationale.

Les États-Unis et leurs alliés pourraient néanmoins s’opposer à la conciliation de la Chine. Ce serait une grave erreur. Devant l’urgence de la situation, aucune option pacifique ne devrait être écartée du revers de la main.

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