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Une pancarte en soutien aux femmes et aux personnes trans et autochtones est brandie dans le campement pro-palestinien de l'Université McGill, le 6 juin 2024. La Presse canadienne/Graham Hughes

Islamisme et droits des trans, même combat ? Le grand paradoxe des campements pro-palestiniens

Les campements contre Israël et en soutien aux Palestiniens se sont multipliés sur les campus des universités occidentales, surtout canadiennes. Ils sont notamment installés à l’Université McGill, à l’Université de Toronto et à l’Université de la Colombie-Britannique.

Ils révèlent selon moi une tendance plus profonde que de simples circonstances géopolitiques.

Les étudiants et professeurs mobilisés pour soutenir la résistance palestinienne représentent un courant de radicalisation où la défense des droits LGTBQ+ et le radicalisme islamiste coïncident.

Je m’intéresse depuis un certain temps aux problématiques liées à la liberté universitaire et aux discours des groupes radicaux dans le contexte universitaire et l’éducation en général.


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Les paradoxes du radicalisme

Il y a une contradiction apparente dans cette alliance entre des islamistes et des militants occidentaux pour les droits de la personne. On peut en effet penser que là où la charia, la loi musulmane, est appliquée, les personnes gays ou trans subissent de la répression, écopent de peine de prison et risquent même la mort (c’est le cas en Iran, en Arabie saoudite, en Afghanistan et dans d’autres pays musulmans). On pourrait dire la même chose de la situation des femmes dans des pays musulmans où leurs droits sont constamment bafoués.

Des hommes font leur prière dans le campement pro-palestinien du campus de l’Université McGill, le 6 mai 2024 à Montréal. La Presse canadienne/Ryan Remiorz

Mais cela ne semble pas perturber les militants universitaires. Ils voient dans la résistance islamiste contre le sionisme le feu révolutionnaire nécessaire pour en finir avec l’Occident « hétéro-patriarcal », c’est-à-dire un supposé ordre social dominé par les hommes depuis la nuit des temps.

Michel Foucault, l’un des pères du postmodernisme qui inspire nombre de ces militants pro-palestiniens, avait exprimé le même enthousiasme dans les préludes de la révolution iranienne. L’athée homosexuel de gauche qu’était Foucault écrivait avec une vision presque prophétique en 1979 sur les conséquences de la révolution islamique naissante :

En effet, il est exact de dire qu’en tant que mouvement « islamique », il peut incendier toute la région, renverser les régimes les plus instables et perturber les plus solides […].

Dans une chronique plus récente sur le campement à l’Université de Turin, le journaliste Stefano Cappellini observait :

Dans la salle de classe occupée de l’université, les étudiants accroupis écoutent l’imam qui glorifie le jihad. Pas le jihad coranique, la tension morale vers la pureté religieuse. Précisément la guerre sainte du jihad, la destruction physique des infidèles […] alors qu’autrefois le motif politique de la solidarité pro-palestinienne était la communauté d’objectifs, aujourd’hui c’est l’adoption des objectifs des autres : des filles et des garçons suspendus aux lèvres d’un homme religieux qui, au fond, les enrôle dans une guerre sainte dont ils pourraient potentiellement être eux aussi de futures victimes ».

Une vue du campement pro-palestinien sur le campus de l’Université McGill, le 13 mai 2024, à Montréal. (Ryan Remiorz/La Presse canadienne)

Plusieurs signes confirment la confluence du radicalisme de gauche et des revendications de l’islamisme palestinien. Beaucoup d’entre eux participent au discours mondial très uniforme et synchronisé des militants pro-Hamas dans les universités. C’est également le cas dans leurs omissions ou non-dits, selon le linguiste Oswald Ducrot, qui a fait des contributions significatives à l’analyse du discours. Ainsi, les silences « stratégiques » dans le discours des militants pro-palestiniens cachent les aspects du conflit qui ne vont pas dans la direction idéologique de leur rhétorique.

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Les mêmes slogans partout

La diabolisation du sionisme, le mouvement national qui prônait la création d’un État juif sur la terre d’Israël où la nation juive est née, est le thème qui unit la rhétorique de ces universitaires.

Une vue du campement pro-palestien à l’Université d’Ottawa. (auteur), Author provided (no reuse)

Les slogans que l’on entend et lit sur les campus universitaires sont simplistes, mais choquants : « Le sionisme est le nazisme » (l’inversion des rôles de victimes et de victimaires) ; « Le sionisme est du racisme » (une vieille accusation promue par la défunte URSS qui a pris de l’ampleur parmi les radicaux d’aujourd’hui) ; « Le sionisme est génocidaire » (les exterminés deviennent des exterminateurs).

Autre expression récurrente : « Le sionisme est colonialiste » : les Juifs seraient des « Européens blancs » qui auraient colonisé les terres des « vrais » aborigènes palestiniens, même s’il est bien connu que des milliers de musulmans égyptiens, algériens et bosniaques ainsi que des Circassiens ont émigré vers la Palestine ottomane au XIX siècle. Bien que cela soit nié par plusieurs, il s’agissait alors d’un territoire assez dépeuplé, en raison de son manque d’importance commerciale pendant l’occupation ottomane, des dures conditions de vie dans le désert, ainsi que des marais infestés par la malaria.

Boycotter Israël

L’autre stratégie discursive exige que les universités mettent un terme à leurs relations de coopération et d’échange avec leurs pairs israéliens et cessent d’investir leurs fonds dans des entreprises liées à Israël. Cette initiative suit la même logique du Boycottage, Désinvestissement et Sanctions promu par des groupes pro-palestiniens, et ce bien avant le conflit actuel à Gaza.

Il y a ceux qui ont réussi à exclure des professeurs sionistes de l’université, comme cela s’est produit à l’Université de la République en Uruguay.

Des omissions significatives

Le discours de la résistance comporte aussi des omissions significatives. Le massacre et les horreurs du 7 octobre 2023 perpétrés par le Hamas et le Jihad islamique ne sont pas évoqués ou sont minimisés. Pour ces militants de gauche radicale, il n’existe pas d’otages israéliens, vivants ou morts. Leur silence l’est autant sur la participation du régime iranien, lequel apporte un soutien financier et logistique en matière de renseignement et d’armement aux islamistes palestiniens, ou du Qatar, le principal bailleur de fonds de Hamas.

Il n’y a aucune mention du rôle déstabilisateur du Hezbollah dans la région, une milice pro-iranienne qui attaque le nord d’Israël. Aucune mention non plus des attaques terroristes du Hamas survenues lors de la seconde Intifada (2000-2005).

Un phénomène générationnel

Les racines du conflit israélo-palestinien remontent à plus de cent ans et couvrent toute l’histoire du XXe siècle. Il comprend les horreurs de l’Holocauste et la collaboration avec les nazis du grand mufti de Jérusalem, Amin Al-Husseini, qui s’est installé à Berlin pendant la Seconde Guerre mondiale pour faire la propagande anti-juive en arabe.

Il y a eu aussi l’exode des communautés juives des pays arabes, soumises à des persécutions, des attaques et dans certains cas des expulsions (des centaines de milliers de ces réfugiés juifs ont été intégrés dans l’État d’Israël). Mais la nouvelle génération d’étudiants ne connaît pas cette histoire.

Des manifestants pro-palestiniens sur le terrain de l’Université McGill à Montréal, le 6 juin 2024. (La Presse canadienne/Graham Hughes)

En outre, notamment dans le cas des universités aux États-Unis et au Canada, une population plus diversifiée sur le plan social et ethnique est entrée dans les universités, modifiant ainsi la composition démographique des campus. Elle inclut des groupes qui étaient soit marginalisés (par exemple, des populations « racisées ») ou peu représentés dans les universités. Sous l’influence des politiques identitaires, qui s’expriment aujourd’hui dans les initiatives de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI), certains jeunes ont tendance à voir le monde sous l’angle de la dualité des oppresseurs et des opprimés.

Le rôle des réseaux sociaux dans ces mobilisations ne peut pas non plus être exclu. Ces plates-formes façonnent la perception des conflits dans le monde avec leur charge de désinformation, leurs images terribles (parfois manipulées) et leur forte émotivité qui suscite l’indignation.

Les étudiants chantent « du fleuve à la mer », c’est-à-dire que tout le territoire de la Palestine (y compris celui d’Israël avant la guerre de 1967) soit libéré des Juifs souverains. Il s’agit de la réalisation du rêve islamiste de garder les Juifs comme dhimmis, le mot en arabe qui les désigne comme des sujets de seconde classe. N’excluons cependant pas que les jeunes ne comprennent même pas ce qu’ils chantent. Ce serait très typique de cette époque d’ignorance « informée ».

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