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J’ai regardé les étoiles et dansé le jazz avec des migrants à l’université (2)

Deuxième soirée astronomie à l'université Paris-Sud avec réfugiés, étudiantes et personnels. Hervé Dole

Suite et fin du récit, commencé hier, des rencontres avec les réfugiés accueillis sur demande du Préfet dans notre université.


Soirée astronomie du dimanche soir

Avec les étudiants de l’association ALCOR, nous nous installons avec deux télescopes et une paire de jumelles sur une butte ayant un horizon sud bien dégagé, proche de la présidence de l’université Paris-Sud et du décanat de la faculté des sciences d’Orsay. Trois planètes sont bien visibles depuis cet endroit, contrairement au site de la veille : Jupiter qui se couche, Saturne et Mars.

Je vais à la rencontre des réfugiés après leur dîner et invite les volontaires à venir. Nous sommes tous ravis de nous revoir. Je presse le pas afin que nous puissions observer Jupiter. Tous sont ravis d’observer les bandes de nuages sur la planète géante, ainsi que ses satellites galiléens. Je ne résiste pas à l’envie de raconter l’histoire du conflit entre Galilée et les autorités religieuses, dont l’observation des satellites tournant autour de Jupiter est un élément important. J’indique que ce qu’ils voient est quasiment de la météorologie du système solaire, sur une autre planète, puisque les bandes observables de Jupiter sont comme des nuages animés de vents contraires à grande vitesse.

Nous passons à Saturne, dont les anneaux fascinent tous ceux qui l’observent. Nous voyons en outre Titan, son satellite principal. C’est l’occasion de raconter l’aventure de la mission spatiale Cassini-Huygens, avec l’atterrissage réussi du module européen Huygens sur la surface de Titan, découvrant notamment des rivières et lacs de méthane liquide.

Le point d’orgue est atteint avec l’observation de Mars. Même si l’image est petite et que l’on ne voit pas bien la surface, on remarque néanmoins que la planète rouge est… blanche sur un bord. J’indique que c’est la calotte polaire, composée principalement de glace d’eau et de CO2, comme l’a très bien montré notre instrument OMEGA à bord de la sonde européenne Mars Express (données spatiales que nos étudiants analysent en TP de master, soit dit en passant).

Si on m’avait dit un jour que je parlerais du fond cosmologique à des réfugiés Afghans lors d’une soirée astronomique dans mon université : y aurais-je cru ? ! Max de Habitat et humanisme

Nous discutons, comme la veille, de galaxies et du fond cosmologique (résidu lumineux du big bang, mais inobservable dans le domaine visible) observé par le satellite Planck, auquel j’ai participé, d’expansion et d’âge de l’univers, puis de considérations philosophiques. Si on m’avait dit un jour que je parlerais du fond cosmologique et de Planck à des réfugiés afghans lors d’une soirée astronomique à l’université, y aurais- je cru ? !

Mes amis médecins entrent en scène

Max et Victoire, les coordinateurs de l’association qui se succèdent chaque jour, sont aux petits soins pour les réfugiés. Ils m’indiquent que des bénévoles viennent leur enseigner le français, et que c’est un préalable à toute insertion, ne serait-ce que pour ne pas se faire exploiter s’ils trouvent un travail. Insertion, université et éducation, travail : tout exige de se débrouiller en français. Pas facile pour les Afghans ou les Africains de l’est.

Max et Victoire me font part de leur souci concernant la santé de quelques réfugiés. Ils ont un médecin bénévole qui passe chaque semaine environ. Mais certains réfugiés n’ont pas pu le voir et souffrent. Je leur propose d’activer mon réseau. Alexis, ami et médecin, accepte immédiatement de venir passer une soirée deux jours plus tard.

Nous arrivons mardi vers 20h. On propose à mon ami médecin une chaise et une table dans le gymnase afin qu’il puisse examiner les patients. Alexis indique « il n’y aurait pas un endroit un peu plus calme et propice à l’intimité ? ». On trouve un coin dans le bout du couloir qui fera office de petit bureau. Les patients arrivent et se font prendre en charge.

Je déambule dans le gymnase et discute avec des réfugiés, quand des Afghans, avec qui j’ai passé beaucoup de temps les soirées précédentes, me demandent de venir à table pour des questions. Je vois des dossiers de demande d’asile peu ou pas remplis. Ils me demandent de les aider à les remplir. J’accepte et découvre alors ce qu’est un tel dossier. Je discute avec eux pour traduire les informations et les écrire. Mais je me sens un peu mal à l’aise car les informations sont très intimes : religion, ethnie, parcours géographique avant de rentrer en France, éducation et dernier métier occupé, sans parler des liens familiaux et villages d’origine, état de santé. En leur demandant ces informations, je me sens inquisiteur malgré moi. Cependant, les aider me semble plus important que mes états d’âme. Je remplis cinq dossiers à la suite, le mot étant passé que je pouvais les remplir. Certains n’ont suivi que l’école primaire ou secondaire, et ont des métiers comme mécanicien auto ou menuisier. Ceux dont les dossiers sont déjà remplis ou traités ont des niveaux d’éducation beaucoup plus élevés. À la fin, on se congratule, tous ravis d’avoir franchi une étape importante.

Je jette un œil vers le couloir d’Alexis, et surprise : c’est devenu le dernier endroit à la mode où tout le monde se presse, chacun voulant sa consultation ou accompagnant un ami, et tout ce petit monde papote joyeusement ! Bonjour l’intimité. C’est dans cette atmosphère légère et dans ce joyeux petit bazar que mon ami voit 12 patients en une heure, et rédige des ordonnances. Il me dira après que trois avaient des pathologies sérieuses (otite purulente, impacts de balles dans le corps, suspicion de tuberculose), deux avaient des caries très avancées. Les autres souffraient plus légèrement de bronchite, sinusite, petite plaie. Un ou deux voulaient qu’on s’occupe d’eux, c’est bien normal, mais n’avaient pas grand-chose apparemment.

Je réussis à mobiliser un autre ami médecin, Yves, qui par ricochet active son réseau. Grâce à leur formidable solidarité, Yves et Éric, médecins, dégagent du temps pour recevoir les réfugiés dans la maison médicale de garde à Orsay de la communauté d’agglomération Paris-Saclay, située non loin du gymnase. Rendez-vous est pris jeudi midi. Dans mon agenda chargé, je trouve du temps pour accompagner une quinzaine de réfugiés à cette maison médicale. Ahmed, un jeune malien, francophone et charismatique, sera le « chef » de cette petite expédition en ville, et sera chargé de ramener toute la troupe au retour. On plaisante sur le chemin. Mes amis médecins ont finalement vu des patients déjà auscultés il y a quelques jours, et me signalent ensuite que trois personnes ont des stress post-traumatiques… Cela redouble ma motivation de rendre l’accueil, temporaire à l’université, des réfugiés aussi agréable que possible. D’autres médecins peuvent se libérer plus tard, mais tous les patients ont été vus, donc il ne sera pas nécessaire de rajouter des séances.

Match de foot, physique des particules, et bulles

Les joueurs de foot, réfugiés et personnels de l’université Paris-Sud. Max et Victoire de Habitat et humanisme

Mes collègues physiciens et mathématiciens (de l’Institut de mathématique d’Orsay) ont aussi beaucoup donné de leur temps aux réfugiés pour ces échanges amicaux et ces partages qui revigorent tout le monde. Ils ont en particulier organisé un match de foot mémorable avec des équipes mélangées. Le LAL (Laboratoire de l’accélérateur linéaire, CNRS et Paris-Sud) a organisé des visites de ses installations expérimentales de pointe, a proposé une introduction à la physique des particules, et a fait déambuler les réfugiés dans un centre de données scientifiques.

Séquence bulles géantes. Max et Victoire de Habitat et humanisme

D’autres collègues physiciens ont organisé un atelier bulles avec mousses légères et bulles géantes avec un artiste. Les bulles, finalement, ont un effet similaire aux étoiles : on se retrouve tous comme des enfants quand on est en leur présence !

De passage un soir, je vois les Afghans jouer au cricket sur le parking. L’un d’entre eux m’explique les règles et décrit les phases de jeu qui se déroulent devant nous. Je crois comprendre quelques règles ! Il m’apprend quelques mots d’afghan, et me décrit son village d’origine, dans la région de Bamiyan.

Soirée jazz le vendredi

Conscient que la culture (au sens large, en incluant la science) est ce qui relie le mieux les humains, j’ai proposé d’organiser une soirée musique. Malgré la fin des vacances d’été, j’ai reçu des retours très rapides, favorables et enthousiastes à mes requêtes. En particulier, le conservatoire à rayonnement départemental Paris-Saclay, opportunément situé à proximité du gymnase, a joué un rôle essentiel. Son directeur, directeur adjoint et ses enseignants ont tout de suite répondu présent, à l’image de Jean, le professeur de jazz qui m’a tout de suite répondu par SMS depuis le Japon avant son retour ! En quelques jours, l’octette nous propose trois dates, une salle est libérée.

Nous arrivons à 19h pour cette session d’une quarantaine de minutes. Les réfugiés semblent un peu intimidés dans ce bâtiment neuf, et s’assoient. Jean présente le groupe, et la musique commence. Les smartphones filment, les jambes démangent. Les musiciens invitent le public à venir jouer d’un instrument ou à danser ou chanter, mais les réfugiés demeurent timides. On sent néanmoins une écoute et une absorption de la musique comme rarement.

Le deuxième morceau se poursuit. La musique, finalement universelle, libère les corps : les mains frappent en rythme. Puis un homme se lève et se met à danser : une clameur l’accueille, les musiciens l’accompagnent, les autres redoublent leur ferveur rythmique en frappant dans les mains. On a gagné : le temps s’arrête, la musique, le rythme et la joie envahissent tout l’espace.

Le troisième et dernier morceau commence, et ce sont trois danseurs qui se lâchent désormais. Tout le public est debout, ça rie, ça frappe dans les mains. Un peu comme dans ces soirées d’ados, certains se poussent sur la piste sur le mode « vas-y, danse ! », et on voit qu’ils ont envie, mais qu’ils n’osent pas encore. J’ai assisté à de nombreux concerts, mais rarement l’émotion était aussi palpable. La musique agit comme une libération auprès de certains, même si cela doit être difficile de se lâcher quand on a vécu tant d’aventures. Le moment de grâce dure, puis le concert touche à sa fin. Chacun est rechargé. Les musiciens sont fiers et ravis d’avoir partagé ces moments, et me disent vouloir renouveler l’expérience le cas échéant. Nous prenons congé des musiciens et du conservatoire, et je rattrape le groupe dehors : tous sont en joie. Ils revivent ce moment intense en regardant les vidéos fraîchement capturées, se les partagent. Les danseurs sont les héros du jour.

Concert de jazz au conservatoire à rayonnement départemental Paris-Saclay. Les réfugiés dansent et battent le rythme dans une joie communicative. Max et Victoire de Habitat et humanisme

La culture rapproche les humains

La venue des réfugiés à l’université sonnait comme une évidence : la culture, sous toutes ses formes, est universelle et rapproche les peuples. Quoi de mieux que la culture pour rapprocher les réfugiés des étudiants, des universitaires, des citoyens et pour leur permettre de poursuivre la construction de leur nouvelle vie ? Avec l’astronomie, le jazz, les bulles, la technologie, le sport, nous avons tenté d’accueillir au mieux nos hôtes. Nous avons tenté, au-delà de la mise à l’abri et de l’accueil d’urgence, de leur donner une certaine perspective en les ouvrant à des champs nouveaux. Ce faisant, nous avons découvert avec eux un monde plus riche, plus humain. Nous avons découvert aussi notre quotidien sous un nouveau jour, en particulier avec une générosité et un engagement immenses que nous ignorions chez des collègues et amis.

Nous avons reçu plusieurs témoignages de soutien et d’approbation pour ces actions envers les réfugiés, qui nous ont beaucoup touchés, tout comme la facilité à mobiliser les amis, collègues, connaissances. Nous avons ressenti un véritable engouement et un souhait d’aider, toutes affaires cessantes. Le Préfet de Région a d’ailleurs écrit à la Présidente de l’université :

« Vous avez bien voulu mettre à disposition le gymnase de l’Université Paris-Sud pour accueillir 75 personnes, relevant de la demande d’asile. La mobilisation de vos locaux a contribué à l’accueil digne d’un public vulnérable. Aussi, je tenais à vous adresser mes sincères remerciements pour votre action ainsi que pour votre implication dans l’organisation de l’accueil des demandeurs d’asile, et vous saurez gré de bien vouloir y associer l’ensemble des personnes qui se sont mobilisées. »

Ce message républicain, s’il est convenu et formel, honore la démarche d’accueil de nombreux acteurs et rappelle certaines valeurs fondamentales que nous partageons à tous les étages de l’état et en tant que citoyens.

Je retombe par hasard sur le fameux tube datant de 1985 de USA for Africa « We Are the World » dont les paroles de M. Jackson et L. Richie me touchent comme jamais auparavant, même si le contexte est différent :

« We can’t go on pretending day-by-day that someone, somewhere soon make a change. »

À nous de faire changer le monde, maintenant. À nous d’accueillir et d’accompagner ces réfugiés qui nous enrichissent mutuellement. À nous de nous emparer de ce que l’humanité a produit de mieux, la culture, pour y parvenir.


Merci à tous les collègues, amis et bénévoles d’avoir permis cet accueil digne.

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