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La Chine, un médiateur au centre de l’échiquier géopolitique mondial ?

Xi Jinping serre la main de Mahmoud Abbas
Le président chinois Xi Jinping reçoit le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à Pékin, le 14 juin 2023. La RPC cherche à s’imposer comme médiateur entre Israéliens et Palestiniens. Jade Gao/AFP

En mars dernier, après sept ans de rupture, l’Iran et l’Arabie saoudite ont rétabli leurs relations, à l’issue d’une médiation chinoise. Pékin ne souhaite pas s’en tenir à ce succès, et poursuit son activisme diplomatique dans de nombreux autres dossiers. Au début de l’année, la RPC avait proposé « une position sur le règlement politique de la crise ukrainienne » et fait savoir qu’elle espérait y « jouer un rôle constructif dans la promotion des pourparlers ». Aujourd’hui, elle aspire à jouer un rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien.

La RPC se présente plus que jamais comme une puissance soucieuse de restaurer la paix et maintenir la stabilité. Selon l’historien Alfred Mc Coy, cette approche – qui séduit de plus en plus les pays du Sud – révélerait la transformation profonde des rapports de force internationaux :

« Depuis plus de 200 ans, les conférences de paix ne se contentent pas de résoudre des conflits ; elles signalent régulièrement l’arrivée au centre de la scène d’une nouvelle puissance mondiale […]. De l’entente irano-saoudienne à la visite de Macron à Pékin, nous sommes peut-être en train d’observer les premiers signes de l’évolution de la politique internationale. »

En cherchant à relancer les pourparlers entre Israéliens et Palestiniens, la Chine entend occuper un vide et signaler la fin d’une ère occidentale dans laquelle les États-Unis jouaient un rôle majeur.

« Courtiers en tromperie » et « honnête courtier »

Si la Chine peut se positionner en tant que médiateur entre Israéliens et Palestiniens, c’est avant tout parce que ce rôle n’est plus vraiment assumé par les États-Unis. La plupart des analystes conviennent que Washington n’a pas été un « courtier honnête ». L’historien Rashid Khalidi, directeur du département du Moyen-Orient à l’université Columbia, estime que Washington n’avait jamais véritablement recherché une résolution pacifique au conflit. Selon lui, les Américains, qui n’ont cessé de donner des gages au pouvoir israélien et orienté les discussions à l’avantage de Tel-Aviv, ont hypothéqué toute perspective de règlement.

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Ce point de vue est partagé par le chercheur américain Seth Anziska qui examine l’échec du processus de paix en retraçant, selon ses termes, « la généalogie d’un non-événement ». L’asymétrie profonde entre la partie israélienne et palestinienne, explique-t-il, a été entretenue par les administrations américaines successives. Il rappelle que Washington a apporté un soutien inconditionnel à son allié, allant jusqu’à considérer que la poursuite de la colonisation dans les territoires occupés ne constitue pas un obstacle à la conclusion d’un accord de paix.

Si les accords d’Oslo I et II (en 1993 et 1995) ont créé un temps l’illusion qu’ils aboutiraient à la création d’un État palestinien – jamais mentionné dans les textes –, celle-ci a fini par se dissiper. Les travaux universitaires les plus sérieux ont démontré que le processus de paix n’était qu’un mirage. Bien qu’il ait permis la création d’un appareil d’État palestinien intégré au dispositif d’occupation, il n’a jamais eu vocation à donner naissance à un État palestinien.

L’enlisement du processus de paix dans les années 1990, l’échec tonitruant du sommet de Camp David et la relance de l’Intifada en septembre 2000 ont éloigné toute perspective de solution au conflit. Durant cette période, l’implication américaine résolue aux côtés d’Israël a permis de maintenir la supériorité militaire qualitative de Tel-Aviv, qui lui garantit une suprématie régionale. L’engagement de Washington se matérialise par une aide financière substantielle et la fourniture d’armements qui traduisent la pérennité d’un lien organique avec son allié israélien.

Les tentatives de relance des pourparlers se sont systématiquement soldées par un échec en raison de l’intransigeance de la partie israélienne, qui n’a jamais consenti au moindre compromis (refus de mettre un terme à la colonisation et de libérer les prisonniers palestiniens, rejet de la solution à deux États). En dépit de cette impasse structurelle, la Chine – qui cherche à remettre en cause la prééminence mondiale des États-Unis – espère ressusciter un processus au point mort depuis 2014.

La Palestine favorable à une médiation chinoise

Sur ce dossier, Pékin dispose de deux atouts majeurs. D’une part, une relance de l’initiative arabe de paix de 2002 serait vue d’un bon œil par les pays arabes engagés dans la voie de la normalisation avec Israël.

De l’autre, la proposition chinoise de médiation rencontre un écho positif auprès des Palestiniens. 80 % d’entre eux seraient favorables à une médiation chinoise qui faciliterait les pourparlers entre les deux parties (60 % des répondants estiment que les États-Unis ne constituent pas un médiateur crédible).

En juin dernier, le président de l’Autorité palestinienne, reçu à Pékin, a également appelé la Chine à faire pression sur Israël pour favoriser une solution au conflit israélo-palestinien. La RPC n’a toutefois pas de leviers pour amener les Israéliens à la table des négociations.

Pour Tel-Aviv, pas d’équidistance entre Pékin et Washington

Pékin a développé des relations militaires et commerciales étroites avec Tel-Aviv au cours des dernières décennies. En 2017, un partenariat global novateur a été conclu pour intensifier la coopération dans tous les domaines, notamment technologique (sur 507 accords commerciaux bilatéraux conclus entre 2002 et 2022, 492 concernent le secteur technologique). Troisième partenaire commercial d’Israël après l’UE et les États-Unis, Pékin investit dans la construction et la modernisation des infrastructures israéliennes.

Pour autant, Israël reste soucieux de sécuriser les intérêts américains. En 2021, la Chine a implanté dans le port de Haïfa un terminal automatisé de containers au grand dam de Washington – qui redoutait l’installation d’une technologie de surveillance chinoise susceptible d’espionner la Sixième Flotte américaine. En dépit des investissements colossaux chinois, c’est finalement l’Inde qui a pris le contrôle du plus grand port d’Israël.

Par ailleurs, en 2022, les agences de sécurité israéliennes ont également intensifié la lutte contre l’espionnage des entreprises chinoises qui tentent d’obtenir l’accès aux technologies militaires israéliennes.


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Enfin, le secteur technologique israélien s’est développé en utilisant les territoires occupés comme laboratoire d’essai des nouveaux systèmes d’armes et outils de surveillance et de contrôle des populations. Le logiciel espion Pegasus exporté dans le monde en est un exemple édifiant.

Force est donc de constater que Pékin a peu de chance de modifier la ligne politique d’Israël. En avril dernier, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a, en outre, laissé entendre que pour Tel-Aviv, les États-Unis restent perçus comme le seul médiateur valable :

« Nous respectons la Chine, nous traitons beaucoup avec elle. Mais nous savons aussi que nous avons une alliance indispensable avec notre grand ami, les États-Unis. »

Une implication avant tout stratégique

Même si les efforts diplomatiques de la Chine ne sont pas couronnés de succès, Pékin a tout de même intérêt à promouvoir la Pax Sinica (paix chinoise). Dans une stratégie de remise en cause de l’ordre international américain, la coopération avec les pays du Moyen-Orient revêt un intérêt crucial. Nombre d’entre eux se sont émancipés de la tutelle de Washington pour défendre leurs intérêts souverains. Xi Jinping souhaite ériger la Chine au rang de première puissance mondiale en 2049 : cela impose de prendre la main sur des dossiers et des espaces jusque-là réservés aux États-Unis.

Comme le note le géopolitologue Nadeem Ahmed Moonakal :

« Pékin croit en l’idée de la paix par le développement en renforçant les “perceptions partagées de la sécurité”. Cela diffère de la “perception traditionnelle de la sécurité” menée par l’Occident, qui se concentre sur la recherche de la sécurité par la défaite de l’ennemi et le maintien d’alliances militaires exclusives. »

À cet égard, Pékin a resserré les liens avec les pays de la région par des initiatives diplomatiques (sommets Chine-États arabes ou Chine-Conseil de coopération des États arabes du Golfe en 2022) et des partenariats stratégiques et protocoles d’accord pour ses activités économiques. Ils se concrétisent surtout par des projets d’investissement estampillés « Nouvelles routes de la soie » (Belt and Road Initiative), qui sont les principaux leviers de la politique étrangère chinoise.


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En approfondissant ses liens avec les pays du Moyen-Orient, la Chine cherche à mettre en échec la stratégie américaine d’endiguement. Par son action, elle remodèle le paysage régional. Cette nouvelle configuration devrait à terme remettre en question la prédominance des États-Unis. Ceux-ci ont de plus en plus de difficultés à s’appuyer sur les puissances régionales pour perpétuer l’ordre international américain.


Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du Forum mondial Normandie pour la Paix.

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