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« La cigale et la fourmi » : quand l’entomologiste Jean-Henri Fabre revisitait la fable de La Fontaine

Une fourmi Crematogaster et une grande Cigale (Lyristes plebejus) sur un grand arbre de l’Harmas, qui avaient l’air de converser, en juin 2022. Romain Garrouste, Author provided

Que nous reste-t-il de Jean-Henri Fabre ? Cet entomologiste français (1823-1915) bien connu des spécialistes est également célèbre dans plusieurs pays – comme au Japon ou en Corée du Sud – pour ses écrits naturalistes sur les insectes.

Savant en partie autodidacte, professeur dans le secondaire, grand pédagogue des sciences et inimitable observateur selon Darwin lui-même avec qui il correspondit, Fabre avait refusé les positions académiques pour pouvoir rester dans son Harmas, où il vécut les 36 dernières années de sa vie.

Jean-Henri Fabre.

Le domaine d’un hectare, situé dans le village de Sérignan-du-Comtat, à 30 km d’Avignon, comprend à l’arrivée de J.-H. Fabre un mas et une terre en friche – harmas en provençal – dont le naturaliste fit son laboratoire à ciel ouvert et son terrain d’observation, avec un jardin qu’il modela pour accueillir les insectes de tous les milieux. Parallèlement à ces travaux d’observations, il acceptait des missions pour l’Académie de Sciences.

Il fut ainsi l’un des premiers à comprendre le cycle de vie complexe du Phylloxera de la vigne (un hémiptère proche des pucerons) qui décima le vignoble français à la fin du XIXe siècle, ou des métamorphoses complexes de certains coléoptères, comme dans ce chapitre dédié au « Scarabée sacré » :

« Les choses se passèrent ainsi. Nous étions cinq ou six : moi le plus vieux, leur maître, mais encore plus leur compagnon et leur ami ; eux, jeunes gens à cœur chaleureux, à riante imagination, débordant de cette sève printanière de la vie qui nous rend si expansifs et si désireux de connaître. Devisant de choses et d’autres, par un sentier bordé d’hyèbles et d’aubépines, où déjà la Cétoine dorée s’enivrait d’amères senteurs sur les corymbes épanouis, on allait voir si le Scarabée sacré avait fait sa première apparition au plateau sablonneux des Angles, et roulait sa pilule de bouse, image du monde pour la vieille Égypte. »

Sur l’instinct de paternité du sisyphe (un petit scarabée coprophage aide la femelle à rouler la pilule de matière fécale et construire le nid souterrain), il écrit :

« Les devoirs de la paternité ne sont guère imposés qu’aux animaux supérieurs. L’oiseau y excelle ; le vêtu de poils s’en acquitte honorablement. Plus bas, indifférence générale du père à l’égard de la famille. Bien peu d’insectes font exception à cette règle. Si tous sont d’une ardeur frénétique à procréer, presque tous aussi, la passion d’un instant satisfaite, rompent sur-le-champ les relations de ménage et se retirent, insoucieux de la nitée qui se tirera d’affaire comme elle pourra. »

L’ensemble des observations réalisées sa vie durant sont regroupées dans un ouvrage en 10 volumes, les Souvenirs Entomologiques, publié entre 1879 et 1907, ouvrage qui enchanta des générations de naturalistes, à la langue inimitable et d’une grande précision scientifique. Doté d’une immense culture, Fabre a su rendre la vie des insectes accessible à tous, des entomologistes aux curieux de la nature, en un hymne du vivant à la fois poétique et personnel.

Fabre sera pour cet ouvrage et son œuvre proposé plusieurs de son vivant pour le prix Nobel.

Pour célébrer cette année le bicentenaire de la naissance de l’illustre savant, qui été remarqué par Darwin et tant d’autres, le MNHN, propriétaire de l’Harmas, vient de réouvrir le site et propose un parcours rénové.

L’Harmas de Jean-Henri Fabre, maison dédiée à l’étude et laboratoire à ciel ouvert, est désormais ouverte au public. Romain Garrouste

La cigale et la fourmi

À travers une image inédite, prise par mes soins dans ce jardin de mémoire que constitue l’Harmas, et qui évoque la fable célèbre de Jean de La Fontaine ont nous connaissons tous les premiers vers – « La Cigale, ayant chanté / Tout l’été, / Se trouva fort dépourvue / Quand la bise fut venue » – c’est l’occasion de célébrer la naissance de l’illustre et de s’intéresser à la fable que nous connaissons tous, première du premier recueil de 124 fables, divisées en six livres, paru en mars 1668.

Fabre consacra quelques écrits à cette fable, d’abord pour vérifier les aspects naturalistes qui y sont relatés, à savoir la frivolité de la cigale face à la laborieuse et industrieuse fourmi.

Il en proposa même une nouvelle version, bilingue français et provençal, Fabre étant aussi un félibre, c’est-à-dire un érudit dans la langue et la culture provençale. Son objectif ? Dissiper le malentendu du contenu naturaliste de la fable !

Sur cette image, on assiste à la rencontre entre une fourmi qui protège le végétal qu’elle exploite (recherche de proies et de pucerons à élever) et un grand insecte qui pourrait lui servir de nourriture. En aucun cas il ne s’agit d’une rencontre entre un insecte sérieux et responsable et un autre frivole.

Tous les deux sont dans la phase de leur vie qui implique de multiples interactions entre leurs congénères (la communication acoustique pour se reproduire pour la cigale et les autres organismes (la recherche de nourriture et de proies pour la fourmi). La différence de taille empêche la fourmi de s’attaquer à cette grande cigale, y compris avec des congénères.

Selon la réécriture de Fabre, la fable se transforme :

« Temps béni pour toi. Donc, hardi ! cigale mignonne,
Fais-les bruire, tes petites cymbales,
et trémousse le ventre à crever tes miroirs »

Les cymbales sont les organes abdominaux qui permettent l’émission de sons chez les cigales (ce qu’on nomme aussi cymbalisation). Les miroirs sont des éléments qui servent de résonateurs aux cymbales.

Fabre écrit encore au sujet de la cigale :

« Il m’indigne, le fabuliste,
Quand il dit que l’hiver tu vas en quête »

La cigale, en effet, meurt à la fin de l’été…

« Le majestueux problème des choses »

Le savant, tout entier dévolu à son travail et peu intéressé par quelconques honneurs, académiques ou autres, répond dans ses Souvenirs entomologiques à la question : « À quoi sert d’étudier le comportement des insectes » ? :

« Ici j’en vois qui haussent les épaules. Si l’unique but de la vie est, en effet, de gagner de l’argent par des moyens quelconques, avouables ou non, de pareilles questions sont insensées. Heureusement d’autres se trouvent aux yeux de qui rien n’est petit dans le majestueux problème des choses. Ils savent de quelle humble pâte se pétrit le pain de l’idée, non moins nécessaire à celui de la moisson ; ils savent que laboureurs et questionneurs nourrissent le monde avec des miettes cumulées. Laissons prendre en pitié la demande et continuons… »


Pour en savoir plus voir les nombreuses biographies de Jean-Henri Fabre, de 1912 à de nos jours et surtout venez visitez l’Harmas, un voyage dans le temps entre histoire de France, science et culture, dans un magnifique jardin provençal du Vaucluse (Sérignan du Comtat).

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