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Des tracteurs occupent trois voies d'une autoroute
Des tracteurs sont alignés sur une autoroute bloquée, le 1er février 2024, à Argenteuil, au nord de Paris. La colère des agriculteurs, les traités commerciaux et La Défense du continent sont parmi les enjeux de l'élection européenne. (AP Photo/Michel Euler)

La colère des agriculteurs et les craintes pour la défense du continent parmi les enjeux de l’élection européenne

Les citoyens des 27 pays membres de l’UE seront aux urnes du 6 au 9 juin, afin d’élire leurs députés au Parlement européen.

On sait déjà que le pouvoir d’achat et l’immigration sont parmi les sujets de l’heure cette année, annonçant une nouvelle percée de l’extrême droite.

Mais d’autres enjeux ont leur importance dans cette élection, notamment ceux qui touchent aux relations extérieures, à savoir les accords commerciaux (associés étroitement aux politiques agricoles et environnementales européennes), et la défense européenne.

Et il y a la colère des agriculteurs. Le pacte vert pour l’Europe, adopté en janvier 2020, les a fait descendre dans la rue cet hiver. Ils manifestent contre les restrictions sur les pratiques agricoles au sein du marché européen, considérées comme agressives, et contre l’insuffisance des exigences environnementales à l’endroit des pays tiers dans les contrats commerciaux.

Par ailleurs, la guerre en Ukraine et le retour éventuel de Donald Trump à la présidence américaine relancent la question sur la construction de la défense européenne, un sujet qui demeure un tabou européen.

L’UE est ainsi à un carrefour face à son avenir : une Europe plus verte, mais comment et à quel prix ? Une Europe qui saura se défendre, mais par quel moyen ?

Candidate au doctorat en science politique à l’Université de Montréal, je travaille sur la comparaison et la relation entre l’Union européenne et l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est. Je tiens à remercier Angélique Roy-Ings et Elisa Reymond, étudiantes en études européennes, pour leurs contributions à cet article.


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Des agriculteurs affichent leur mécontentement le 1ᵉʳ février 2024, à Argenteuil, au nord de Paris. Ils ont manifesté pendant des jours à travers le pays pour dénoncer les bas salaires, la lourdeur de la réglementation et la concurrence déloyale de l’étranger. (AP Photo/Michel Euler, File)

Le pacte vert et les accords de libre-échange

En 2019, les verts avaient obtenu leurs meilleurs scores aux élections européennes avec 72 sièges sur 705 (formant le quatrième parti le plus important). L’environnement apparaît cependant moins prédominant dans les préoccupations des citoyens européens en 2024. En effet, d’après les derniers sondages d’Ipsos, le groupe des verts descendrait à 55 sièges sur 720 dans le nouveau Parlement européen.

La colère des agriculteurs est responsable de cette chute de popularité. Elle est provoquée par deux éléments. Le premier est l’adoption du pacte vert, qui a pour objectif d’atteindre la neutralité carbone de l’UE d’ici 2050. Sa déclinaison agricole, baptisée « de la ferme à la table », est jugée radicale et intenable, notamment avec la réduction de 50 % du recours aux pesticides et de 20 % de l’usage des engrais chimiques d’ici à 2030.

Le président Macron caresse une vache. Il est entouré d’hommes
Le président français Emmanuel Macron visite le Salon international de l’agriculture, à Paris, le 24 février 2024. Les agriculteurs de toute l’Europe ont protesté cet hiver contre ce qu’ils considèrent comme des règles environnementales trop restrictives. (Ludovic Marin/Pool via AP)

Le deuxième facteur concerne les accords de libre-échange avec les pays tiers. Si les normes agricoles se complexifient et sont plus contraignantes dans le marché européen, les règles environnementales et sociales imposées aux produits agricoles importés sont, selon les agriculteurs européens, loin d’être exigeantes. Ils dénoncent ainsi une concurrence déloyale.

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L’extrême droite profite de la colère des agriculteurs

Ce dossier épineux n’échappe pas à l’attention des partis d’extrême droite. Partout en Europe, ils s’emparent de l’indignation des agriculteurs pour s’en prendre à l’UE et grignoter les intentions de vote aux partis europhiles.

En France, Jordan Bardella, du parti d’extrême droite RN (Rassemblement national), dénonce l’Europe qui veut, selon lui, « tuer nos paysans ». En Allemagne, le parti d’extrême droite AfD (Alternatif pour l’Allemagne) et le groupe néonazi, la Troisième voix s’infiltrent dans les manifestations afin de mettre de l’huile sur le feu sur ce mécontentement envers l’UE, et le gouvernement d’Olaf Scholz.

À l’Est de l’Europe, le mouvement conteste particulièrement la concurrence due à l’importation des céréales ukrainiennes bon marché à la suite de la suppression des droits de douane. Le parti Fidesz de Victor Orban n’a pas hésité à saisir l’occasion pour accuser Bruxelles de « détruire les moyens de subsistance des agriculteurs européens ».

Une foule dense manifeste
Une foule d’agriculteurs convergent vers les bureaux du Parlement européen à Madrid, le 26 février 2024. Ils protestent contre l’adoption du pacte vert. (AP Photo/Bernat Armangue)

Face à ces contestations massives, la Commission européenne a annoncé un assouplissement des règles agricoles. L’accord UE-Mercosur et le volet commercial de l’accord CETA (signé en 2016) entre l’UE et le Canada sont suspendus : la ratification de tous les pays membres européens est encore en attente.

Au Parlement européen, avec une percée éventuelle de l’extrême droite en juin, le pacte vert et les ambitions européennes pour l’environnement risquent de subir des contrecoups majeurs. Les accords de libre-échange, de leur côté, seront au cœur de dures négociations.

Comment défendre l’Europe

La défense européenne est un autre enjeu majeur dans les années à venir. L’insécurité et l’incertitude planent en Europe avec, d’un côté, la guerre entre l’Ukraine et la Russie, sur le continent, et de l’autre, entre le Hamas et Israël, dans une région limitrophe. Le retour potentiel de Donald Trump à la présidence est aussi un enjeu pour les Européens.

Donald Trump debout à une tribune
Le candidat républicain à la présidence, Donald Trump, s’exprime lors d’un rassemblement dans le sud du Bronx, le 23 mai 2024. Sa réélection potentielle est un enjeu pour les Européens, qui craignent son isolationnisme. (AP Photo/Yuki Iwamura)

Aujourd’hui, la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’UE « coordonne » les missions militaires ou civiles des pays membres, sans avoir d’armée. La plupart des Européens se contentaient d’une protection américaine, sous le parapluie de l’OTAN. Néanmoins, depuis la présidence de Donald Trump et l’isolationnisme de plus en plus présent en outre-Atlantique, les États européens commencent à penser la sécurité européenne en termes d’autonomie et de stratégie.

Plusieurs instruments ont été mis en place. Deux Fonds ont été créés en 2021, totalisant des budgets de quelque 15 milliards de dollars. Ces instruments sont destinés à améliorer les capacités militaires et l’interopérabilité des équipements militaires. L’UE et ses membres ont par ailleurs financé à hauteur de plus de 33 milliards d’euros l’Ukraine, depuis 2022.

L’avenir de l’Europe défense

Plus la question de la défense est à l’avant-plan, plus la réticence et la dissension deviennent palpables. Les élections de 2024 font ressortir trois enjeux.

D’abord, jusqu’où peuvent aller les Européens pour défendre l’Ukraine ? L’envoi possible de troupes au sol, évoqué par le président français Emmanuel Macron, a suscité un tollé en Europe. Le chancelier allemand Olaf Scholz l’a aussitôt contredit, rappelant qu « il n’y aura pas de troupes au sol en Ukraine envoyées par les États européens ou par l’OTAN ».

Des femmes déposent des fleurs au milieu d’une rue, entourée par une foule
Des gens déposent des fleurs à un mémorial spontané aux soldats tués dans la guerre avec la Russie sur la place de l’Indépendance à Kiev, le 23 mai 2024. La question de la défense de l’Ukraine est parmi les enjeux des élections européennes. (AP Photo/Efrem Lukatsky)

Il y a aussi la question du financement de la défense européenne. L’intégration des industries de défense européenne demeure un enjeu majeur. En 2022, près de 80 % des armements achetés par les États européens ont été importés d’États non européens, dont près des deux tiers (63 %) des États-Unis.

Enfin, il y a la coopération avec l’OTAN. Si certains pays membres, notamment la France, défendent l’autonomie stratégique dans la défense, d’autres veulent que la défense de l’UE continue d’être complémentaire à celle fournie par les Américains.

Bien que la fiabilité des États-Unis soit remise en question ces dernières années, les atlantistes (notamment les pays baltes et les pays de l’Europe de l’Est) se méfient du projet de défense européen. Selon eux, il ne suffit pas à leur donner une garantie de sécurité, primordiale pour leur survie face à leur voisin russe.

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