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La décentralisation, une histoire longue minée par les incohérences

Le 25 avril 2019, Emmanuel Macron avait affirmé sa volonté d’ouvrir un nouvel acte de décentralisation adapté à chaque territoire. ludovic MARIN/AFP

La France peut-elle réellement adopter une décentralisation cohérente de son territoire ? Le 25 avril 2019, à l’occasion du Grand Débat national, le président de la République avait affirmé sa volonté d’ouvrir « un nouvel acte de décentralisation adapté à chaque territoire ».

Deux textes, la loi engagement et proximité et le projet de loi 3D, ainsi que plusieurs rapports parlementaires (rapport Cazeneuve et Viala, rapport Questel et Schellenberger) ont été annoncés ou adoptés depuis sans pour autant qu’une visibilité totale du contenu de la réforme ne soit apparue.

Une vision gestionnaire de la décentralisation

D’où vient ce besoin crucial de décentralisation en France ? L’idéal des libertés locales, en tant que liberté de s’organiser à l’échelon de proximité a été construit dès l’Ancien Régime autour de l’imaginaire collectif et de la commune érigeant celle-ci comme un bastion puissant et relativement indépendant porteur de sens et de solidarité. Une vision politique de la décentralisation s’est ainsi peu à peu forgée, dans laquelle les communes resteraient maîtresses des grandes orientations de la vie publique locale.

Le [rapport Guichard en 1976](https://www.senat.fr/rap/r99-447-1/r99-447-13.html](https://www.senat.fr/rap/r99-447-1/r99-447-13.html) fait un constat de sclérose du fonctionnement de l’État et d’un besoin de décentralisation. Ce texte a fait émerger l’idée de décentralisation et la création d’un terreau favorable.

Hubert Dubedout, maire de Grenoble dans les années 80, penseur de la décentralisation. Wikimedia, CC BY

Portée au début des années 80 par des hommes politiques comme Gaston Deferre (alors ministre de l’Intérieur et Hubert Dubedout (maire de Grenoble), la décentralisation se traduisait par la construction d’un espace public à l’échelon local.

Cette vision politique était corroborée par une mise en perspective du principe de libre administration par le Conseil constitutionnel et une valorisation de la clause générale de compétence. Cette dernière permet de prendre les décisions à l’échelon local sur toute question d’intérêt public local.

Ainsi, alors même que la décentralisation bénéficiait d’une aura positive et était présentée comme un élément de dynamique territoriale ayant amené du service à la population et la construction d’un certain nombre d’équipements (maisons de retraite, salles omnisports, terrains de tennis, salles de concert) la crise de 2008 allait marquer un tournant.

Un regard très critique de la classe politique

D’un discours valorisant de la décentralisation, la classe politique de façon quasi unanime a changé de ton pointant les dérives et juxtapositions d’échelons de ces processus.

Le discours de Toulon du 25 septembre 2008 de Nicolas Sarkozy, et le rapport Balladur (Il est temps de décider, 2009) ont été particulièrement marquants, mettant en avant l’idée qu’il y a trop d’échelons, trop d’élus et que cela coûte trop cher.

La rationalisation des moyens et des structures est devenue le maître mot des réformes territoriales depuis, dans un contexte financier contraint et sous contrôle européen. Les lois qui se sont succédé, parfois loin de la logique de décentralisation – comme la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales – sont venues dès lors essayer de rationaliser le paysage institutionnel, sans d’ailleurs y réussir.

Or l’édifice dans lequel l’ensemble des protagonistes a évolué semble vaciller depuis.

Des attentes et des ambitions contraires

L’État n’a ainsi pas abouti à une organisation rationnelle des structures et des compétences, en témoigne la juxtaposition toujours présente des échelons et des structures. Les élus locaux doivent composer avec des réformes imposées comme la fusion des régions ; les administrés peinent à se reconnaître dans des structures où les aspects techniques et technocratiques prennent le dessus sans questionner la base.

La fusion des intercommunalités et la constitution d’Établissements publics de coopération intercommunale XXL (EPCI, partir de 50 communes) en constituent une bonne illustration.

Carte des intercommunalités du département de la Loire, France. Composition au 1ᵉʳ janvier 2019. Roland45/Wikimedia, CC BY

Chaque réforme, au lieu de simplifier, a au contraire complexifié le phénomène en y ajoutant de nouveaux éléments.

La création des pôles métropolitains en 2010 en constitue une bonne illustration. Cette création a elle-même été suivie en 2014 de celle des pôles d’équilibre territoriaux et ruraux en milieu rural.

C’est aussi dans cette ligne que les réformes ont été effectuées sous la mandature de François Hollande. Elles ont été en grande partie imposées aux collectivités territoriales, peu concertées, comme la loi NOTRe adoptée le 7 août 2015 et portant sur la nouvelle organisation du territoire.

François Hollande alors président, Manuel Valls (premier ministre) et Marylise Lebranchu (ministre de la décentralisation et du territoire) à Vesoul, le 14 septembre 2015. Patrick Hertzog/AFP

Un bilan sévère de la loi NOTRe

[Le rapport d’information](http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rap-info/i2539.pdf](http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rap-info/i2539.pdf) de l’Assemblée nationale publié le 21 janvier 2020 dresse un bilan sévère de cette loi.

Les titres et sous-titres des différents chapitres de ce rapport parlent d’eux-mêmes :

« Une loi mal née qui n’a pas atteint ses objectifs »

« Un big bang territorial conduit à marche forcée »

« Une organisation territoriale plus complexe et une perte de proximité pour les citoyens »…

Le constat semble sans appel tant sur la méthode que sur le fond. Les recompositions opérées n’ont pas permis de trouver une cohérence globale et ne se sont pas traduites par des économies. La fusion des régions par exemple s’est révélée coûteuse et n’a pas généré les économies attendues.

Il est ainsi pointé que la fusion des régions avec la création des grandes régions ou encore le développement d’intercommunalités ont été entrepris de façon dogmatique et sans que les économies annoncées ne soient au rendez-vous.

Donner des gages aux élus locaux

Afin de donner des gages aux élus locaux à la veille des élections municipales, un nouveau texte a été présenté alors même que se dessine en creux la réforme dite 3D : « décentralisation, déconcentration et différenciation » qui fait actuellement l’objet de concertations à travers le territoire. L’examen de la loi a été récemment ajourné à « après l’été » d’après la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault.

Ce n’est donc pas une révision constitutionnelle que nous aurons mais un projet de loi suscitant des attentes qu’il ne faudra pas décevoir…

Revaloriser la commune ?

Il n’est pas sûr pour autant que le discours actuel de revalorisation de la commune, (par exemple avec des scissions d’EPCI à fiscalité propre, de mesures en faveur des petites communes, soit porteur de sens alors que la perspective globale semble quand même aller vers un renforcement de l’intercommunalité. On est ainsi soumis à des mouvements de composition, recompositions dont on peine à voir la cohérence globale.

Si depuis 2010 le législateur s’est attaché à mettre en place des moyens coercitifs de regroupement, revaloriser la commune comme idéal semble tout aussi discutable.

Par ailleurs, alors même que les communes nouvelles commencent à trouver leur place dans le paysage institutionnel, la revalorisation du statut des élus des petites communes pose question.

Pour autant, la création d’une commune nouvelle constitue très certainement une hypothèse d’étude intéressante pour pallier l’émiettement communal et faire face à des dépenses que ne peuvent plus assumer les plus petites communes.

La différenciation en question

La différenciation, qui vise à permettre une adaptation de la règle en fonction des réalités locales, au cœur du projet de loi 3D, même si ce dernier est évolutif, permet par exemple à certaines communes de délivrer des cartes d’identité. Dans d’autres cas, cela permet à un département d’élaborer un Schéma de cohérence territoriale (SCoT) ou entre départements, une mesure aujourd’hui plébiscitée et valorisée par l’ensemble des acteurs que ce soit la classe politique, les élus locaux ou encore le gouvernement.

Certes, la prise en compte des spécificités territoriales existe déjà dans le texte constitutionnel (article 73, collectivité à statut particulier) ou dans les dispositifs prévus (Loi littoral, loi montagne, expérimentations…).

Mais le fait d’en permettre un exercice élargi semble susciter un engouement sans commune mesure avec les risques d’inégalités engendrés. Pourtant, au lieu de faire un véritable diagnostic de l’état des lieux de l’exercice des compétences, le gouvernement préfère donner des gages qui risquent d’être limités.

La loi littoral permet à certaines communes d’agir en fonction de leurs spécificités (ici en 2018 discussion autour de modifications de cette loi).

Des écueils à prévoir

La possibilité de différenciation restera ainsi encadrée au regard du principe d’égalité et elle évoluera dans un cadre constitutionnel inchangé comme l’a souligné le discours de Mme Gourault du 6 janvier 2020 à l’occasion de la première des concertations régionales avec les élus locaux à Arras.

La différenciation engendrera aussi une complexité juridique à tous les niveaux, qui pourrait se traduire par une perte de confiance dans les institutions et le développement de territoires à deux vitesses entre ceux qui auront les moyens de faire, ceux qui auront des spécificités suffisantes à faire valoir et les autres restant soumis au corpus général.

L’enjeu est bien réel dans la mesure où il s’agit à la fois de permettre à des collectivités de même rang de gérer des compétences différentes ou encore de maintenir notamment au-delà d’une expérimentation un dispositif dérogatoire.

Pour autant, comme l’a souligné le Conseil d’État dans un avis rendu le 7 décembre 2017, la différenciation de compétence doit demeurer limitée. Elle ne doit pas remettre en question les distinctions opérées par la Constitution entre les collectivités qui relèvent de l’article 72 et d’un principe d’identité législative et celles qui relèvent de l’article 73 et d’un principe d’adaptation législative (reconnu pour les départements et les régions d’outre-mer).

Cette nouvelle collectivité va se substituer aux deux départements alsaciens à partir de 2021.

Une différenciation ne peut être ainsi légitimée que par une différence de situation ou encore des considérations d’intérêt général en lien avec l’objet de la réglementation. Pour les collectivités de même rang, il faudra ainsi faire valoir la spécificité et les considérations d’intérêt général comme cela a été le cas, de façon limitée, pour la collectivité européenne d’Alsace.

Le véritable changement en droit des collectivités territoriales serait alors très certainement de revenir à des fondamentaux structurant la matière tels le principe de libre administration et l’autonomie financière. Cela permettrait de redonner du sens à des territoires porteurs de projets pour répondre aux besoins locaux sans ouvrir une boîte à outils administratifs qui risque de creuser les écarts entre les territoires.

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