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« La démocratie de l’abstention » ou les défis d’Emmanuel Macron

Le couple Macron aux urnes dimanche. Ludovic Marin/pool/AFP

Les niveaux exceptionnels de l’abstention lors des deux tours des élections régionales et départementales s’inscrivent dans une triple logique : d’une part un « effet Covid » qui a pesé de tout son poids comme ce fut le cas lors des élections municipales de 2020 ; d’autre part, une tendance structurelle à davantage d’abstention à toutes élections, ou presque, en France ; enfin une impossible mobilisation électorale pour des élections dont les Français n’ont pas vu les enjeux, d’autant moins perçus que personne ne les a montrés.

Si les taux d’abstention enregistrés les 20 et 27 juin (66.7 % des inscrits au premier tour et 65.7 % au second tour selon les premières estimations de dimanche soir) ont fait l’objet de tous les commentaires entre les deux tours, peu d’observateurs avaient tiré la sonnette d’alarme lors des élections législatives de 2017 : cinq semaines après l’élection d’Emmanuel Macron, l’abstention était majoritaire aux deux tours pour élire le législateur !

Cette inquiétante tendance de notre démocratie à devenir « une démocratie de l’abstention », pour reprendre l’expression utilisée par les politologues Céline Braconnier et Jean‑Yves Dormagen, souligne l’échec d’Emmanuel Macron sur l’un des volets les plus essentiels de son projet politique : réconcilier les Français avec la politique et leur redonner confiance dans l’action politique. Si les explications de cette tendance structurelle à l’abstention sont multiples et ne peuvent être réduites à la seule responsabilité des politiques, elle traduit néanmoins un rapport très dégradé des Français à la politique et l’ampleur des fractures démocratiques.

Fractures démocratiques et « crise sans fin »

Si un niveau exceptionnel d’abstention s’exprime dans toutes les couches sociales et dans tous les électorats, il prend une ampleur littéralement impressionnante dans les catégories les plus éloignées de la sphère publique : catégories populaires et jeunes précaires en particulier.

La fracture démocratique générationnelle a connu un pic rarement atteint lors de ces élections régionales et départementales, en particulier dans les catégories les plus fragiles de la jeunesse : jeunes pauvres, jeunes précaires, jeunes qui galèrent.

Les jeunes se sont peu déplacés pour ce scrutin. Lionel Bonaventure/AFP

Cette situation est préoccupante, même assez inquiétante. Notre pays a connu une situation de « crise sans fin » depuis l’automne 2018 et la crise des gilets jaunes et rares sont les pays européens qui ont fait une telle expérience des tensions démocratiques.

L’écart entre la narration présidentielle d’une France qui va de l’avant et tourne le dos aux « passions tristes » et la réalité politique et sociale d’un pays qui doute, s’inquiète et se crispe à intervalles réguliers, semble parfois important. Comme l’ont montré les dernières vagues du Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF), la crise sanitaire n’a pas effacé la crise démocratique française.

Au mois de février, nous avions conclu, avec mes collègues du CEVIPOF Luc Rouban et Gilles Ivaldi, que :

« Si les institutions publiques attestent de leur résilience face à la crise, l’univers de la politique et tout ce qui l’incarne continuent d’être perçu négativement. Le fossé du déficit démocratique français n’a pas été comblé depuis l’élection d’Emmanuel Macron même si certains points s’améliorent. »

Quelles marges de manœuvre face à l’impatience et la colère

Cette conclusion, le chef de l’État l’avait lui-même tirée lors d’une interview donnée au début de la crise des Gilets Jaunes depuis le porte-avions Charles de Gaulle :

« Il y a de l’impatience, de la colère. Je partage cette colère, car il y a une chose que je n’ai pas réussi à faire. Je n’ai pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants. Ce divorce est au cœur de toutes les démocraties occidentales. »

Emmanuel Macron avait reconnu, à demi-mots, qu’il avait sans doute manqué depuis le début de son mandat d’humilité « : nos concitoyens attendent de la protection, de la considération et du respect. La considération, on ne l’a sans doute pas assez montrée ».

Au terme de ces élections régionales et départementales, dernières élections avant la fin de son mandat, quelles sont les marges de manœuvre d’Emmanuel Macron pour endiguer cette crise de confiance politique et répondre à ces colères, ces exaspérations et ces inquiétudes ?

Observons tout d’abord que la popularité du chef de l’État se situe aujourd’hui à un niveau nettement plus élevé que celle de ses prédécesseurs : la plupart des enquêtes d’opinion situent la popularité d’Emmanuel Macron entre 40 et 50 % d’opinions positives, en augmentation depuis plusieurs semaines et clairement portée par l’amélioration de la situation sanitaire et à la réouverture progressive du pays.

Selon le dernier baromètre Ifop pour Paris Match et Sud Radio, publié le 9 juin, Emmanuel Macron et Jean Castex se hissent à 50 % de bonnes opinions, en 5e place, ex aequo, des personnalités politiques françaises.

Le premier ministre Jean Castex bénéficie, comme Emmanuel Macron, d’une côte de popularité positive. Raymond Roig/AFP

Le niveau de popularité est plus bas dans le Baromètre politique de BVA qui, fin mai, indiquait un niveau de bonnes opinions de 42 % pour chacun des deux mais permettait au chef de l’État de franchir la barre des 40 % d’opinions positives pour la 6e fois depuis mai 2018.

Zones de faiblesse

Si l’on peut parler d’embellie de la popularité du chef de l’État, des zones de faiblesse continuent de s’exprimer. De quelle manière les faiblesses du macronisme viennent-elles d’être mises à jour par le désastre électoral du printemps 2021 ?

Pour aborder la séquence électorale de 2022, Emmanuel Macron ne dispose plus d’une « machine à gagner » comme le fut En marche en 2017. Le parti présidentiel qui avait semblé renouveler en profondeur le modèle de l’organisation partisane marque le pas et ne semble plus incarner « la gagne », telle qu’elle le proclamait.

C’est une succession d’échecs électoraux qui a été enregistrée par la République en marche depuis 2017, si l’on met de côté les législatives qui ont suivi la présidentielle : échec relatif aux élections européennes de mai 2019, échec important aux municipales du printemps 2020, échec retentissant aux régionales et départementales, marquées par la faiblesse des scores obtenus par les ministres candidats (à l’exception de Gérald Darmanin aux départementales, dans son canton de Tourcoing 2).

Une seconde faiblesse apparaît, qui n’est pas sans lien avec l’échec de la machine partisane : le macronisme ne parvient pas à imprimer dans l’opinion publique une idéologie ou une doctrine politique facilement identifiable. S’il ne fait pas de doute qu’Emmanuel Macron a nourri sa réflexion sur la société française d’auteurs ayant théorisé l’épuisement des grandes idéologies ou la panne du modèle français d’égalité des chances, son pragmatisme réformateur semble plus inspiré par les réflexions des rapports issus de la haute fonction publique (rapport de la « Commission Attali » dont Emmanuel Macron fut le rapporteur-général adjoint.

Un « parti personnel »

Le macronisme, dans l’opinion publique, c’est Emmanuel Macron. Nous avions d’ailleurs identifié cette dimension de « parti personnel » dans la grande enquête que nous avions réalisé, avec Terra Nova, sur les adhérents de la République en marche, publiée à l’automne 2018 : nous avions alors montré qu’en dehors de l’Europe et de l’éducation, la grande cause de la République en marche, c’était Emmanuel Macron lui-même…

Ces deux faiblesses structurelles du macronisme en expliquent une troisième, apparue au grand jour lors de la séquence des régionales et départementales : qui sont les alliés d’Emmanuel Macron et de la République en marche ?

Cette interrogation est tout sauf anodine aujourd’hui : si la campagne présidentielle de 2017 pouvait ne reposer que sur la spectaculaire émergence du « jeune Macron », celle de 2022 doit nous expliquer sur quelle majorité et sur quelle coalition électorale reposera le « Macron de la maturité ».

C’est bien entendu ce point épineux qui explique la stratégie qui a été tentée en région PACA : en claironnant dans les colonnes du JDD que l’exemple de PACA allait bien au-delà de cette seule région et illustrait « la recomposition politique », Jean Castex a révélé au grand jour l’une des questions les plus essentielles pour Emmanuel Macron : sur quelles bases pourrait se tenir un second mandat ?

Un problème d’autant plus difficile que trois candidats potentiels des LR à la présidentielle ont parfaitement réussi leurs élections régionales sans besoin d’accord avec le parti d’Emmanuel Macron.

Xavier Bertrand avant son vote. François Lo Presti/AFP

Trois questions

Au fond, trois questions vont se poser à Emmanuel Macron pour la présidentielle de 2022.

  • La question de son style présidentiel et de son leadership : à l’issue d’un mandat marqué par des crises majeures sur le plan social, démocratique et sanitaire, qui est Emmanuel Macron aujourd’hui ? Qu’a-t-il réellement appris des crises à répétition ?

  • Pourquoi lui faut-il un second mandat ? La réponse faussement simple (prolonger les réformes) ne peut se suffire à elle-même tant le pays a connu de crises et l’horizon économique semble difficile.

  • Un second mandat, mais avec qui ? Une alliance avec les LR ? Un nouveau casting macroniste ?

Emmanuel Macron pourra sans trop de frais faire l’impasse sur la réponse à l’une de ces trois énigmes ; il pourra difficilement faire l’impasse sur la réponse à deux de ces énigmes ; il ne pourra se qualifier au second tour s’il ne répond pas aux trois à la fois…

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