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Des fidèles prient dans la “plus grande pagode d'Europe” lors d'un séminaire de la congrégation vietnamienne rassemblant des bouddhistes du monde entier, à Evry, près de Paris, le 25 juillet 2017. François Guillot/AFP

La diversité religieuse de la France, vue de près

Saviez-vous que la France se trouve parmi les pays les moins religieux d’Europe ?

La part des personnes ne déclarant aucune appartenance religieuse augmente sensiblement ces dernières années, en France, près de 15 % se déclarent athées. Néanmoins, les religions n’y ont pas pour autant disparu comme en témoigne l’actualité récente, qu’il s’agisse de controverses autour du port de vêtement religieux ou l’expression d’opinions critiquant la religion comme l’a récemment mis en avant l’« affaire Mila », une adolescente attaquée pour ses déclarations contre l’islam, jugées insultantes.

Le recteur de la mosquée de Bagnolet Mohamed Rakkaby (à droite) prononce un discours, au côté du prêtre de Bagnolet Patrick Morvan (à gauche) lors d’une messe en hommage au prêtre Jacques Hamel à Saint-Leu, Église Saint-Gilles Bagnolet, près de Paris, 31 juillet 2016. Thomas Samson/AFP

La réalité de la France d’aujourd’hui est celle d’une pluralité religieuse grandissante, dans une société où les rapports entre groupes religieux sont en train de se modifier de façon rapide. Cela implique un changement de la place des religions, qui sont elles-mêmes en évolution, souvent en tension entre des aspirations opposées.

La France n’est plus catholique

Jusque dans les années 1970, plus de 85 % des Français étaient catholiques tandis qu’aujourd’hui, selon la plupart des enquêtes, cela ne représenterait plus que 50 % de la population ou moins. Cette tendance est notamment analysée par Danièle Hervieu-Léger dans Catholicisme, la fin d’un monde. Cinquante ans plus tard, le paysage religieux s’avère bien plus divers.

Personnes (de différents pays) se déclarant n’appartenir à aucune religion en particulier.

Certes, d’autres religions ont coexisté en France auparavant. Le judaïsme était déjà présent dans la Gaule romaine, et avec la Réforme qui a installé le protestantisme en France, plusieurs minorités religieuses ont ainsi existé dans le pays à travers les siècles.

Mais la diversité d’aujourd’hui, observée depuis un demi-siècle, offre un caractère totalement inédit. S’il existe de nombreux groupes religieux, dont certains sont plus visibles, ils sont souvent mal connus, et on mesure mal cette diversité.

Une diversité mal connue

Seuls certains groupes sont médiatiquement connus : en effet, on parle surtout dans les médias de l’islam ou du protestantisme évangélique, souvent présentés comme une menace, mais peu du bouddhisme (qui compterait 2 % de membres selon l’État des lieux de la laïcité en France, ou de l’orthodoxie (1 %) par exemple.

L’information à propos de la plupart des petits groupes religieux est par ailleurs souvent difficile à trouver, ces derniers sont avant tout connus à travers des clichés qui tendent à fournir une image sans nuances des groupes et ne rendent pas compte du pluralisme religieux interne à ces groupes, faussant l’image de la diversité contemporaine.

Cette diversité est d’ailleurs sous-estimée du fait d’un autre stéréotype qu’il convient également de réfuter : celui de « la France catholique ». Si, comme évoqué précédemment, le catholicisme a longtemps été en France en situation d’hégémonie, les catholiques sont aujourd’hui, d’un point de vue numérique, minoritaires. Pour autant, du fait d’une part que le catholicisme romain constitue encore la très grande part des croyants en France, d’autre part parce que son influence sociale reste importante, c’est une « minorité paradoxale », comme l’explique le chercheur Frédéric Gugelot dans les chapitres « catholicismes » de l’ouvrage Les minorités religieuses en France : minoritaire en chiffre, mais majoritaire en termes de poids dans l’imaginaire collectif.

Des équilibres religieux qui changent

Un changement d’importance se joue là, celui de l’évolution des équilibres religieux : nous ne nous trouvons plus dans un pays où quasiment tous appartiennent à la même confession, mais dans une société où un peu plus de la moitié des personnes disent appartenir à une religion, et où cette appartenance est diverse.

Cette diversité religieuse implique une plus grande confrontation religieuse : la majorité des Français fréquentent des personnes dont ils ne partagent pas les convictions religieuses. Celle-ci peut jouer positivement, amenant plus de mobilité et de mixité religieuse (par exemple, de mariages mixtes).

Croyants qui assistent à un hommage à feu l’ancien grand rabbin français Joseph Sitruk, à la Grande Synagogue de la Victoire de Paris, le 25 septembre 2016, la veille de ses funérailles à Jérusalem. Thomas Samson/AFP

Or si découvrir d’autres religions peut conduire certains à une plus grande ouverture d’esprit, chez d’autres, cela peut constituer un élément déclencheur d’une mobilisation de leur identité et du passage à un comportement de type fondamentaliste.

À travers la réalisation qu’avoir des convictions différentes ne signifie pas forcément être une moins bonne personne, certains peuvent évoluer vers une plus grande tolérance. Inversement, cependant, cela peut conduire à des crispations identitaires et à des positions plus rigides.

Cathédrale orthodoxe russe à Paris, 2019. Pixabay, CC BY

L’équilibre entre religions sur le plan des relations internationales change également : quasiment tous les groupes religieux sont en situation minoritaire dans certains pays, et majoritaire ailleurs. De ce fait, pratiquement tous les groupes religieux, et cela souvent d’autant plus qu’ils sont minoritaires, fonctionnent aujourd’hui en réseau transnational. L’implication de la Russie dans la construction de la cathédrale orthodoxe russe de Paris, la dimension médiatique du Dalaï-Lama tibétain en exil, ou encore le statut des Rohingya musulmans en Birmanie, sont autant d’exemples de la dimension extranationale de minorités religieuses.

Qu’en est-il de la non-affiliation religieuse ?

En France, l’importance donnée aux religions est remise en cause par le nombre croissant de personnes affirmant ne pas avoir d’affiliation religieuse. Ce groupe est varié, et est constitué de personnes indifférentes à la question des croyances religieuses aussi bien que de personnes convaincues qu’il faut lutter contre les croyances et les institutions religieuses.

Certes, de nombreux pays d’Europe (et même hors d’Europe) sont concernés par la baisse du nombre de ceux qui affichent des convictions religieuses. Notamment, les jeunes affichent moins de convictions que leurs aînés. Les différences sont importantes d’un pays à l’autre ; mais la France reste, selon « European Value Study », le pays qui compte le plus d’athées convaincus.

Là encore, des tensions se créent dans la société, entre ceux qui estiment que les convictions religieuses ne sont pas suffisamment prises en compte, et ceux qui trouvent qu’elles prennent trop de place.

Des polarisations communes

La plupart des groupes religieux connaissent des préoccupations communes. En effet, ils rencontrent tous une difficulté à concilier les générations, comme l’évoque Jérôme Gidoin à propos du bouddhisme. Entre « anciens » et « jeunes », des différences de rapport à la langue, à la pratique, à l’intensité religieuse, à la culture, ou encore à la demande de reconnaissance sociale, créent fréquemment des tensions (lire le travail à ce sujet de Servet Ertul pour l’immigration turque).

Par ailleurs, la plupart des communautés religieuses ont connu récemment un apport migratoire important, comme l’illustre le cas des syriaques catholiques en France. Parfois, les nouveaux arrivants s’insèrent dans des groupes relativement bien établis, et leurs habitudes et leurs convictions y sont source de frictions.

Les relations avec la religion du pays d’origine ne sont pas toujours aisées ; il arrive que les personnes récemment arrivées créent de nouvelles institutions religieuses dans leur pays d’accueil ; cela crée des tensions avec l’institution dirigeante de leur pays d’origine, qui se considère comme responsable de la bonne doctrine religieuse, les migrants affirmant de leur côté conserver la croyance authentique à partir de ce qu’ils ont pu reconstituer sur la base de leurs souvenirs (comme on le voit parfois pour des Eglises orthodoxes).

On rencontre alors toutes sortes d’évolutions religieuses, du développement d’une « spiritualité » nouvelle et différente aux marges des dénominations principales jusqu’au renforcement de pratiques religieuses exigeantes, qui peuvent devenir extrêmes.

Dans l’ensemble des groupes religieux, nous remarquons à quel point les questions d’éthique autour de « l’intime » (mariage, procréation, homosexualité… ) constituent désormais des lignes de fracture à l’intérieur même des confessions religieuses, auparavant plutôt divisées sur des questions de doctrine.

Désaccords entre « jeunes » et vieux, tensions entre « installés » et « nouveaux venus » ou entre libéraux et rigoristes, discorde à propos des questions d’éthique sexuelle, tous les groupes religieux semblent tendus entre des pôles semblables. Joints aux changements de l’équilibre entre groupes religieux, ces tensions annoncent de nouveaux changements à venir.


L’autrice a dirigé l’ouvrage « Les minorités religieuses en France. Panorama de la diversité contemporaine » avec Joëlle Allouche-Benayoun, Rita Hermon-Belot, et Lionel Obadia (Bayard, 2019).

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