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Plusieurs personnes discutent avec Karim Khan
Le 3 décembre, sur les lieux du festival de musique Nova, Karim Khan (deuxième à partir de la droite) échange avec des survivants de l’attaque commise par le Hamas le 7 octobre Le lendemain, il se rendra à Ramallah, où il rencontrera Mahmoud Abbas et des victimes palestiniennes de la colonisation de la Cisjordanie. Mais il ne pourra pas aller à Gaza. International Criminal Court

La guerre à Gaza, la Cour pénale internationale et la lutte contre l’impunité

La 22e Assemblée des États parties à la Cour pénale internationale (CPI) – organe de la Cour composé des représentants des États membres – ouverte le 4 décembre dernier à New York, vient de s’achever le 14 décembre. Les discussions entre les États, le Procureur et les autres personnels de la Cour ont notamment été marquées par la guerre menée par l’armée israélienne dans la bande de Gaza, qui a déjà coûté la vie à plus de 18 000 Palestiniens et contraint près de 2 millions d’habitants de Gaza à fuir leur logement, en réponse aux attaques du Hamas en Israël qui a tué 1 200 Israéliens et en a pris 240 en otage le 7 octobre dernier.

Depuis l’ouverture en 2021 d’une enquête sur la situation en Palestine, et plus encore depuis le 7 octobre, le Bureau du Procureur, dirigé par l’avocat britannique Karim Khan, est accusé par de nombreux États et des ONG de ne pas avoir abouti à des résultats concrets. En effet, aucun mandat d’arrêt n’a été émis, alors que les témoignages des victimes palestiniennes et les rapports des Nations unies et d’ONG affluent.

Face aux critiques, Khan a affiché sa volonté de reprendre personnellement le dossier en main. Le 4 décembre dernier, il a achevé une visite en Israël et en Palestine.

L’enquête du Procureur de la CPI en Palestine avant le 7 octobre

En 2009, à la suite de l’opération militaire israélienne « Plomb durci » à Gaza, qui a coûté la vie à plus de 1 300 Palestiniens, l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas déclare son souhait d’adhérer à la CPI, organisation internationale qui lutte contre l’impunité en enquêtant, poursuivant, jugeant et condamnant les personnes qui se seraient rendues coupables de crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale (génocide, crime de guerre, crime contre l’humanité et crime d’agression) prévus par le Statut de Rome. 124 États sont aujourd’hui membres de la CPI, mais ce n’est pas le cas de la Chine, des États-Unis, de la Russie et d’Israël.

Trois ans plus tard, face à l’absence de statut étatique clair reconnu à la Palestine, le Procureur d’alors, Moreno Ocampo (2003-2012), décide de ne pas ouvrir d’enquête. En réponse, en novembre 2012, la Palestine obtient à l’Assemblée générale de l’ONU le statut d’État non-membre observateur, ce qui lui permet de devenir en 2015 le 123e État partie à la Cour (l’Arménie deviendra le 124e en 2023).

En 2019, la Procureure de la CPI Fatou Bensouda (2012-2021) affirme que tous les critères sont réunis pour l’ouverture d’une enquête sur la situation dans l’État de Palestine, car elle a une base raisonnable de croire que des dirigeants israéliens et des membres de groupes armés palestiniens ont commis ou sont en train de commettre des crimes de guerre. Dans une décision du 5 février 2021, la Chambre préliminaire I affirme que la compétence territoriale de la Cour pour mener son enquête comprend la bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est.

En mars 2021, Bensouda annonce l’ouverture de son enquête, déclenchant la colère du gouvernement israélien, qui accuse la Cour d’antisémitisme, et de ses alliés américains qui adoptent des sanctions contre la Procureure.

Cependant, depuis l’ouverture de l’enquête, celle-ci n’avance pas. Le Bureau du Procureur fait l’objet de vives critiques, car le dossier palestinien est arrivé devant la Cour en 2009, il y a déjà 14 ans. Trois Procureurs se sont succédé (Luis Moreno Ocampo, Fatou Bensouda et maintenant Karim Khan) sans que des avancées significatives n’aient lieu. Karim Khan se contente en 2022 d’annoncer son intention de se rendre en Palestine. Cette absence de volonté se traduit par des moyens financiers et humains limités alloués à cette enquête (moins d’un million d’euros, avec une personne à temps plein sur le dossier au sein du Bureau).

Il a fallu les attaques du Hamas le 7 octobre et la riposte armée israélienne à Gaza pour que le Procureur fasse enfin de la Palestine une priorité.

Le réinvestissement de l’enquête par Karim Khan depuis le 7 octobre

La nouvelle séquence ouverte le 7 octobre contraint Karim Khan à sortir de son silence pour répondre aux critiques lui reprochant de ne pas tenir compte des attentes des populations du « Sud global » quant au besoin de lutter partout contre l’impunité. Le 29 octobre, il se rend au point de passage entre l’Égypte et Gaza et demande aux autorités israéliennes d’entrer à Gaza et en Israël pour rencontrer les victimes, mais Israël refuse.

En Égypte, le Procureur rappelle aux parties leur obligation de se « conformer au droit des conflits armés », dit à Israël que l’entrave de l’entrée de l’aide humanitaire « peut constituer un crime » et réaffirme que la prise d’otages est une violation grave des Conventions de Genève ; pour autant, ces déclarations relèvent davantage du discours politique, teinté de références religieuses, que d’annonces fortes autour de l’enquête.

Le gouvernement Nétanyahou ayant été fortement critiqué pour son refus de coopérer avec la Cour et pour avoir interdit au Procureur de se rendre sur le terrain, les autorités israéliennes acceptent finalement que Karim Khan vienne en Israël et en Cisjordanie. Israël refuse cependant que Khan se rende dans la bande de Gaza, alors que de hauts responsables de l’ONU ont pu le faire.

Début décembre, Karim Khan se rend sur les sites israéliens des attaques du 7 octobre, dont celui du festival de musique Nova, puis échange avec les survivants et les familles des victimes israéliennes. Le 4 décembre, il se rend à Ramallah, en Cisjordanie, et rencontre Mahmoud Abbas, ainsi que le premier ministre palestinien Mohammed Shtayyeh et des victimes palestiniennes de l’occupation israélienne. En Cisjordanie et à Jérusalem-Est, plus de 800 000 colons israéliens sont établis. Depuis le 7 octobre, d’après les Nations unies, plus de 265 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie.

Si cette visite du Procureur est inédite et marque sa volonté, sans doute contrainte par la pression de l’opinion publique, de reprendre en main cette enquête, elle ne peut suffire pour permettre à la Cour d’appliquer son mandat de lutte contre l’impunité au Proche-Orient.

Plusieurs critiques ont été exprimées à l’encontre du Procureur à l’issue de ce déplacement. Tout d’abord, il ne mentionne jamais que la poursuite de la colonisation et de l’occupation israéliennes est l’un des trois axes de son enquête (les deux autres étant les opérations militaires israéliennes à Gaza et celles menées dans le cadre de « la marche du retour » entre 2018 et 2019), et il ne dit pas que les victimes palestiniennes rencontrées sont victimes de cette situation. Ensuite, contrairement à ses visites sur les sites israéliens des attaques du Hamas, en Palestine Karim Khan s’est contenté de rencontrer les autorités et les victimes palestiniennes dans des bureaux institutionnels à Ramallah. Il n’est par exemple pas allé à Hébron ou Jénine, où la population palestinienne subit des attaques de colons et des incursions de l’armée israélienne. De plus, il ne fait aucune mention de Jérusalem-Est, dont l’annexion par Israël est illégale au regard du droit international, comme l’a rappelé le Conseil de sécurité dans sa résolution 2334 adoptée en décembre 2016.

Une enquête importante pour les parties concernées… et pour la Cour elle-même

Malgré les critiques, cette visite de Karim Khan marque indéniablement une nouvelle étape dans le dossier palestinien devant la CPI.

Mais près de trois ans après l’ouverture de l’enquête, les victimes attendent encore que justice soit rendue. L’importance d’aller au bout de l’enquête dépasse le seul conflit israélo-palestinien. Il s’agit pour la Cour de réaffirmer l’universalité de son mandat et la capacité de la justice à être rendue partout. Il en va de sa crédibilité.

La fracture entre l’Occident et le « Sud global » perceptible dans la guerre en Ukraine s’est accentuée depuis le 7 octobre. Dès lors, pour faire taire les critiques quant à un deux poids deux mesures, la CPI se doit d’être à la hauteur des enjeux du conflit israélo-palestinien.

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