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Planète bleue

La loi Littoral, trente ans de protection et de polémique

Garantir un libre accès au rivage, un des principes phares de la loi Littoral. Tredok/Flickr, CC BY-SA

La loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral – la « loi Littoral » – a été adoptée le 3 janvier 1986 à l’unanimité, mais dans un hémicycle à moitié vide nous disent la légende et les archives parlementaires. Loi d’urbanisme s’appliquant à l’ensemble des communes riveraines de la mer et des plans d’eau intérieurs de plus de mille hectares, elle constitue le point d’orgue d’une réflexion menée dès le début des années 1970 afin de limiter le bétonnage des côtes. Visant à assurer un équilibre entre développement et protection du patrimoine naturel et culturel, ses dispositions s’imposent à tout document de planification des sols, au premier rang desquels les plans locaux d’urbanisme (PLU) élaborés par les communes.

La loi Littoral s’appuie sur plusieurs principes fondamentaux – aménagement en profondeur, urbanisation en continuité de l’existant, maintien de coupures d’urbanisation – et impose une protection renforcée des espaces littoraux selon un double fondement. Un fondement géographique, tout d’abord. Plus on se rapproche de la mer et plus la réglementation est rigoureuse : l’extension de l’urbanisation est limitée dans les « espaces proches du rivage » et interdite dans la bande des 100 mètres, en dehors des espaces déjà urbanisés et à l’exception des « constructions ou installations nécessaires à des services publics ou à des activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau ». Un fondement scientifique, ensuite. Sur l’ensemble de la commune littorale, « les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral » sont protégés par un principe de quasi-inconstructibilité.

Critiques régulières

La loi Littoral s’est incontestablement montrée efficace dans la limitation de l’artificialisation des sols. Elle n’a pas non plus occulté les aspects sociaux, en consacrant le principe d’un libre accès au rivage et en encadrant strictement la privatisation des plages. Elle s’est enfin révélée adaptable pour prendre en compte de nouveaux enjeux, parmi lesquels l’implantation d’éoliennes autorisée par la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Pourtant, depuis 30 ans, la loi Littoral est régulièrement critiquée pour trois raisons principales. En premier lieu, le caractère flou de ses dispositions rendrait son application difficile par les autorités locales, les maires en particulier. La loi Littoral comporte en effet certains termes généraux (extension limitée de l’urbanisation, espaces proches du rivage, espaces remarquables), qui ont au fil des ans dû être interprétés par les services administratifs et précisées par la jurisprudence. De plus, son application génère un contentieux important : la multiplication des projets de développement incite en effet particuliers et organisations de défense de l’environnement à contester des permis de construire et des plans d’urbanisme devant les tribunaux. Enfin, certains de ses articles sont considérés comme rigides et constituant un frein au développement économique.

Sans nier certaines difficultés rencontrées par les autorités nationales et locales dans la mise en œuvre de la loi Littoral, il nous semble que cet argumentaire ne saurait justifier une remise en cause de l’économie générale de la loi. En effet, le caractère général de certaines de ses dispositions a largement contribué à son application sur l’ensemble du littoral français, des rives de la Méditerranée à la mer du Nord en passant par les côtes atlantiques. Une rédaction trop rigide n’aurait pas permis de prendre en compte cette diversité ; aujourd’hui, la loi est de mieux en mieux comprise et les services de l’État s’organisent pour partager leurs expertises. Il appartient par ailleurs aux collectivités d’adopter au niveau intercommunal des schémas de cohérence territoriale (SCOT) qui permettront de clarifier les modalités d’application de la loi Littoral à l’échelle communale. En second lieu, s’il est certain que la loi Littoral a généré – et génère encore – beaucoup de contentieux, cela ne saurait justifier une remise en cause du droit des citoyens à vérifier de sa bonne application auprès des juridictions compétentes. Dans ses vœux destinés au monde rural en janvier 2012, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy notait hâtivement : « N’importe quelle association qui veut empêcher un maire, un élu, une initiative peut le faire […], il faut absolument lever le pied de ce point de vue ».

Un texte précieux pour les défis futurs

C’est pourtant le mérite de notre démocratie, et ce depuis plus d’un siècle, que de reconnaître au citoyen et aux associations le droit d’ester en justice et de contester les décisions administratives. C’est par ailleurs oublier que l’efficacité du droit de l’environnement repose largement sur le rôle du juge à en assurer l’application. Enfin, s’agissant des freins au développement économique, on notera que les régions littorales restent aujourd’hui parmi les plus dynamiques d’un point de vue économique, « malgré » la loi Littoral.

Si les États-Unis avaient dès 1972 adopté un « Coastal Zone Management Act », la France fait néanmoins figure de pionnière dans la construction d’une politique littorale. Elle a d’ailleurs inspiré de nombreux autres États qui ont à leur tour consacré une loi à ces territoires porteurs d’enjeux – environnementaux, économiques, sociaux – spécifiques. Chose rare, la loi Littoral est même plébiscitée par le public : selon un sondage réalisé par l’IFOP en 2014, 91 % des Français estiment qu’il faut la maintenir en l’état pour éviter le bétonnage des côtes et préserver les espaces naturels, contre 9 % seulement de tenants de son assouplissement pour soutenir l’activité économique. Un maintien qui apparaît d’autant plus essentiel que dans le futur, croissance démographique et littoralisation des activités ne vont pas exercer des pressions moins fortes sur les côtes que dans les décennies précédentes.

À Lucien Chabason, père de la loi Littoral, collègue et ami.

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