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Planète bleue

Non, l’océan n’est pas le grand oublié des discussions internationales

Carte de l’océan Atlantique, 1613. Bibliothèque nationale de France

Les experts travaillant sur les questions marines regrettent souvent la faible prise en compte de l’océan et de ses enjeux environnementaux dans les discussions internationales. L’océan serait le grand oublié et sa conservation ne serait pas suffisamment au cœur des débats, en comparaison notamment des questions climatiques. Certains déplorent l’absence d’un GIEC ou d’un « Al Gore de l’océan », qui pourraient lui donner la place qu’il mérite dans le concert écologique des nations. Pourtant, l’histoire, ancienne comme récente, montre qu’il s’agit d’une perception largement erronée.

L’océan fait l’objet d’une concertation internationale depuis des siècles. La question de l’appartenance de la mer a, par exemple, très tôt agité les nations maritimes. L’océan est-il une chose nulle (res nullius) pouvant appartenir au premier occupant ou une chose commune à tous (res communis) ? Telle est la question sur laquelle se sont forgées les prémisses du droit international de la mer et dont le principe de liberté, théorisé par Grotius dès 1609, constitue toujours l’un des fondements essentiels.

Alerte à la surexploitation

Les inquiétudes sur le sort réservé aux espèces marines sont également pluriséculaires. Contestant le dogme de la mer inépuisable, William Welwood note en 1613 que la pêche risque de se tarir si tout le monde s’y livre sans contrôle. Dans son _Traité du droit de la nature et des gens _ publié en 1732, Samuel von Pufendorf considère plus largement qu’« en abusant du pouvoir qu’il a sur les bêtes, l’homme cause en quelque façon un dommage à toute la société ».

D’abord réduites à quelques naturalistes et théoriciens éclairés, ces préoccupations vont trouver un écho planétaire en 1927 lorsqu’un rapport de la Société des Nations sur l’état des pêcheries souligne : « Les espèces marines utiles sont en voie de disparition et on ne réglemente pas internationalement leur situation, telle est la réalité qu’il convient de regarder en face ». Les mots peuvent aujourd’hui sembler maladroits – qu’est-ce qu’une espèce « utile » ? – mais le constat d’une surexploitation est sans appel.

Au cours du XXe siècle, l’océan fait encore figure de précurseur puisque les premiers développements du droit international de l’environnement lui sont largement consacrés. Les accords internationaux se multiplient alors pour réglementer la sécurité maritime, interdire les immersions de déchets en mer, encadrer les activités de pêche ou lutter contre la pollution d’origine terrestre. L’océan se trouve alors toujours au cœur des rendez-vous internationaux sur le développement durable. De nombreux développements lui sont consacrés en 1972 lors de la première Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement ; il en est de même à Rio en 1992, à Johannesburg en 2002 puis à Rio+20 en 2012, sans oublier le sommet de septembre 2015 au cours duquel sont adoptés les Objectifs de développement durable dont l’un vise précisément à « conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ».

Une gouvernance fragmentée

Si les dernières décennies ont apporté à l’océan des centaines d’instruments juridiques et une place majeure au sein des sommets internationaux, pourquoi toujours considérer le sujet comme orphelin ? Cette perception s’explique selon nous par deux principaux effets d’optique qui, si l’on n’y regarde pas de plus près, peuvent laisser penser que l’océan est laissé pour compte.

En premier lieu, le cadre de gouvernance du milieu marin est particulièrement fragmenté, ce qui le rend illisible pour beaucoup. Fragmenté d’abord entre de très nombreux accords, internationaux et régionaux. Fragmenté ensuite entre plusieurs organisations ayant un mandat sur le milieu marin : Organisation maritime internationale, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Programme des Nations unies pour l’environnement, Autorité internationale des fonds marins, etc.

À l’inverse, et en schématisant quelque peu puisqu’il tend progressivement à devenir polycentrique, le système de gouvernance du climat est unitaire et centralisé : une convention-cadre (la CNUCCC), un organisme scientifique (le GIEC) et un secrétariat, basé à Bonn. Dès lors, si l’on n’y prend pas garde, on a tendance à oublier que si l’année 2015 est certes médiatiquement marquée par la COP21, des dizaines de réunions intergouvernementales sont organisées aux quatre coins du monde avec pour objectif premier la conservation du milieu marin.

Tout reste à faire

Le second effet d’optique réside dans le fait que les États négocient de moins en moins de traités internationaux consacrés à l’océan. Non qu’ils s’en désintéressent, mais parce que l’édifice juridique est, à de rares exceptions sur lesquelles nous reviendrons dans une prochaine chronique, largement étoffé. D’un âge d’or durant lequel la communauté internationale s’est attachée à élaborer des accords pour la conservation du milieu marin, nous sommes passés à l’âge ingrat de mise en œuvre de ces normes, tâche évidemment bien plus complexe et autrement moins médiatique.

Le fait qu’on ne négocie quasiment plus de nouveaux textes peut ainsi laisser croire qu’il ne se passe rien, alors que c’est tout le contraire : c’est bien une fois que l’accord est adopté, lorsque les feux des projecteurs sont éteints, que débute l’essentiel. L’Ambassadrice française pour les négociations climatiques, Laurence Tubiana, ne s’y trompe pas lorsqu’elle déclare à propos de l’Accord de Paris : « Tout a été fait, mais tout reste à faire ».

Il en est de même aujourd’hui pour l’océan : les règles essentielles sont là et il faut maintenant trouver les moyens – techniques, économiques, humains – de les appliquer. C’est ce à quoi s’attèlent, loin des regards citoyens et des lumières médiatiques, des centaines d’hommes et de femmes à travers le monde.

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