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La lutte contre l’impunité pour les crimes graves s'oriente vers des procès nationaux : voici les conclusions de mes recherches dans trois pays africains

Un homme tient des documents et parle dans un microphone
Karim Khan, procureur général de la Cour pénale internationale, lors d'une réunion des Nations unies en juillet 2023. Lev Radin/Pacific Press/LightRocket via Getty Images

Les procès nationaux pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre sont considérés comme plus rapides, moins coûteux et plus adaptés aux besoins des victimes que les procès de la Cour pénale internationale à La Haye.

Mais donner la priorité aux juridictions nationales pour juger les crimes les plus graves présente à la fois des avantages et des inconvénients.

Dans un livre récemment publié, Les tribunaux pénaux internationaux et la justice nationale : Dans l’ombre de la Cour (en anglais : International Criminal Tribunals and Domestic Accountability. In the Court’s Shadow), j'analyse la relation complexe entre les initiatives internationales et nationales en matière de crimes les plus graves. Je me penche également sur la manière dont la transition des procès internationaux aux procès nationaux a eu un impact sur la lutte mondiale contre l'impunité.

Je m’appuie sur les expériences de trois pays africains : la République démocratique du Congo (RDC), le Rwanda et la Sierra Leone. Je montre que les systèmes judiciaires nationaux sont susceptibles d'être le principal forum pour les procès de crimes graves dans un avenir proche. Cependant, il y a une tendance croissante à romantiser ce qui peut être accompli au niveau national. Parallèlement, la capacité des tribunaux pénaux internationaux à servir la cause plus large des droits de l'homme est minimisée.

À l'avenir, j'espère susciter un débat plus nuancé sur la façon dont la justice internationale et la justice nationale devraient travailler ensemble.

La justice nationale

La justice pénale internationale est encore associée à des affaires internationales très médiatisées. L'une d'entre elles est le récent mandat d'arrêt contre le président russe Vladimir Poutine de la Cour pénale internationale.

Cependant, les tribunaux nationaux poursuivent aujourd'hui beaucoup plus de personnes pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide. C'est le cas dans la plupart des pays. Que ce soit en RDC, en Ukraine ou en Colombie, la Cour pénale internationale joue un rôle de soutien à la justice nationale. Et elle n'a obtenu qu'une poignée de condamnations en 20 ans.


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C'est l'une des raisons pour lesquelles la justice nationale est aujourd'hui considérée comme plus rapide, moins coûteuse et plus respectueuse des victimes. Deux décennies seulement après la création de la Cour pénale internationale, de nombreuses parties prenantes affirment aujourd'hui que “l'avenir de la justice pénale internationale se trouve sur le plan national”.

Pour mieux comprendre la relation entre les procès internationaux et nationaux, j'ai étudié trois cas africains. J'ai analysé le travail de la Cour pénale internationale en RDC, du Tribunal spécial pour la Sierra Leone et du Tribunal pénal international pour le Rwanda.

En m'appuyant sur plus de 200 entretiens avec des fonctionnaires gouvernementaux, des magistrats, des diplomates et des représentants de la société civile, j'ai évalué “les effets d'ombre” que les trois tribunaux internationaux ont eu sur les poursuites de crimes graves au niveau national.

Mes conclusions confirment que la recherche de la justice pour les crimes graves est complexe. Il ne faut pas s'attendre à des solutions simples et rapides lorsque des milliers de personnes sont victimes de graves violations des droits de l'homme. Mais sur la base de 30 ans d'interventions de la justice pénale internationale sur le continent africain, j'ai identifié quatre tendances. Celles-ci révèlent des opportunités et des défis dans la lutte mondiale contre l'impunité.

Tendances influençant les interventions internationales

Premièrement, les chiffres illustrent l'importance décroissante des procès internationaux. Les tribunaux du Rwanda et de la Yougoslavie avaient inculpé des centaines de personnes à partir du milieu des années 1990. Le tribunal spécial de la Sierra Leone a poursuivi 13 suspects dans les années 2000. Aujourd'hui, la Cour pénale internationale traite entre une et quatre affaires internationales par pays.

Deuxièmement, en raison des critiques contre les tribunaux pénaux internationaux dans les années 1990 et 2000, la communauté internationale s'est tournée vers les processus de justice au niveau national. Alors que le nombre de procès internationaux a diminué, les poursuites nationales ont augmenté dans certains pays. Mais le bilan est mitigé. Les centaines de procès nationaux au Rwanda et en RDC contrastent avec la (quasi) absence d'affaires en Sierra Leone.


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Troisièmement, il n'est toujours pas évident que la justice nationale soit plus efficace que les tribunaux pénaux internationaux. Les donateurs et les ONG accordent de plus en plus la priorité aux initiatives de renforcement des capacités des magistrats et des avocats nationaux. Mais ils évitent les dimensions politiques des initiatives en matière de justice menées par les États. Les questions difficiles qu’ils doivent aborder sont les suivantes : pourquoi certains auteurs sont-ils poursuivis au niveau national et pas d’autres ? Quels procès nationaux sont inéquitables ? Quels effets les poursuites nationales sélectives ont-elles sur la construction de la nation ?

Par exemple, l’on applaudit à juste titre les centaines de procès devant les audiences foraines congolaises. En même temps, l'armée congolaise a utilisé le soutien international pour consolider son pouvoir au détriment du secteur de la justice civile. Les universitaires ont exprimé des préoccupations similaires quant aux conséquences involontaires du processus de justice interne au Rwanda.

Quatrièmement, la Cour pénale internationale était censée encourager une prise en compte nationale des crimes graves en jetant une “ombre positive” - autrement dit, en exerçant une influence positive - sur les juges, les procureurs et les avocats nationaux. En réalité, les procureurs et les juges internationaux de La Haye ont souvent adopté une interprétation frileuse de leurs pouvoirs, et ils ont souvent ignoré le travail - bon ou mauvais - de leurs homologues nationaux. Le risque est que cette pratique favorise des poursuites nationales sélectives qui renforcent le pouvoir (autoritaire) des élites dirigeantes dans des pays comme la RDC, la République centrafricaine, la Libye ou le Mali.

La voie à suivre

Il y a deux conclusions principales à tirer. Premièrement, les tribunaux pénaux internationaux jettent parfois involontairement une “ombre autoritaire” sur les efforts de la justice nationale. Deuxièmement, le fait d’accorder une trop grande importance aux procès nationaux peut favoriser les tendances illibérales dans certains pays. J'encourage un regard plus critique sur la manière dont la justice internationale et la justice nationale interagissent. Des formules simples comme “l'avenir de la justice pénale internationale se trouve sur le plan national” ne sont pas toujours utiles.

Mais ce livre est un appel à l'action plutôt qu'au désespoir. Il propose des stratégies pour surmonter les obstacles à la justice nationale. Il s'agit notamment de renforcer l'engagement de la société civile, la coopération avec les magistrats et policiers nationaux, ainsi que le suivi des procès nationaux.

En fin de compte, la lutte mondiale contre l'impunité reste un travail en cours. Il sera nécessaire de mener davantage d’analyses sur l’équilibre optimal entre les efforts de justice au niveau international et national.

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