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La non-défaite de Trafalgar

Bibliothèque nationale de France

Nous vous proposons cet article en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.


« Vous êtes du nombre de ceux qui se sont bien battus, vous prendrez votre revanche. »

C’est ainsi que Napoléon encouragea les capitaines de vaisseaux Magendie et Villemadrin, qui avaient commandé respectivement le Bucentaure et le Swiftsure à la bataille de Trafalgar, comme le relate le 20 mai 1806 le Journal de l’Empire.

La défaite infligée, le 21 octobre 1805, à l’escadre franco-espagnole au large du cap de Trafalgar par l’escadre britannique commandée par l’amiral Nelson, n’avait pas été passée sous silence par la presse officielle de l’Empire français, mais la présentation de l’événement était abordée d’une manière très différente de celle de l’éclatante victoire terrestre française d’Austerlitz.

En guerre contre l’Autriche et la Russie, dans les plaines de Moravie, Napoléon ne semble avoir été informé par son ministre de la marine, Denis Decrès, que le 18 novembre 1805 de la bataille de Trafalgar :

« Je reçois votre lettre relative au combat de Cadix. J’attends les détails ultérieurs que vous m’annoncez, avant de me former une opinion décisive sur la nature de cette affaire. En attendant, je m’empresse de vous faire connaître que cela ne change rien à mes projets de croisières ; je suis même fâché que tout ne soit pas prêt. » (Correspondance de Napoléon)

Des références au « combat de Trafalgar » ne semblent apparaître dans la presse française qu’après Austerlitz, mais contrairement à cette dernière bataille, dont le déroulement fut relaté, le 17 décembre par le Journal de l’Empire avec le détail sur les forces en présence et les pertes, le lecteur devait bien deviner que Trafalgar, au contraire, était une défaite.

Pour le lecteur du Journal de l’Empire, Trafalgar était surtout associé à la mort de lord Nelson. Ses funérailles, le contenu de son testament, les collectes faites au profit des familles des matelots anglais tués lors de la bataille, semblaient préoccuper la presse française davantage que l’ampleur du désastre franco-espagnol.

Le 26 janvier 1806, la paix de Presbourg avec l’Autriche signée et la Prusse rangée aux côtés de la France, le Journal de l’Empire publia entre autres une lettre de Londres dans laquelle le premier ministre anglais William Pitt fut rendu responsable de toutes les défaites de la 3e coalition :

« Aujourd’hui M. Pitt s’aperçoit qu’en se faisant une affaire personnelle de cette guerre, il est devenu personnellement responsable de tous les événements ; toutes les défaites sont tombées sur lui ; l’humiliation le poursuit ; et son nom qui a eu quelque temps un si grand crédit en Europe, va devenir dans notre pays même le plus sûr moyen de désigner l’ambitieux sans capacité. »

Relativisant l’importance accordée par la presse britannique à la prise, le 19 janvier 1806, du Cap de Bonne-Espérance aux Hollandais, alliés des Français, le journal anglais Bell’s Messenger, cité par le Journal de l’Empire, fait un commentaire prémonitoire au sujet de l’affrontement avec la France :

« Ce n’est ni à Trafalgar, ni au Cap de Bonne-Espérance qu’a pu se décider le grand procès qui existe entre la France et l’Angleterre ; et si nous ne voulons désormais signer de paix que celle qui abaisseroit la prépondérance de notre ennemi, il faut nous résoudre à ébranler tous les états du Continent, qui sont à présent ou gagnés à sa cause, ou enchaînés par sa puissance. »

Lorsque l’espoir de la conclusion d’une paix avec la France apparut, les rédacteurs de ces journaux prévoyaient assez clairement la guerre qui allait embraser l’Europe pendant encore une dizaine d’années et que seule la victoire terrestre de l’Europe coalisée termina. Mais d’une autre manière qu’on ne le présente souvent.

En encourageant et décorant les officiers de marine, comme Lucas ou Infernet, qui s’étaient vaillamment battus à Trafalgar et dont l’action fut minutieusement décrite par le Journal de l’Empire (avec cependant des erreurs sur les noms des navires, corrigés quelques jours plus tard), Napoléon faisait clairement comprendre qu’il n’avait pas abandonné la partie de la guerre sur mer, alors qu’à ce moment-là, le blocus continental n’était pas encore décrété. Il aurait déclaré à Lucas et Infernet : « Si tous mes vaisseaux s’étaient conduit comme ceux que vous commandiez, la victoire n’aurait pas été incertaine ».

Dans d’autres récits, les rédacteurs du Journal de l’Empire mettaient en doute la victoire anglaise. Mettre en valeur ses propres victoires et minimiser ses défaites fait sans doute partie de la propagande d’un gouvernement en guerre. En attendant, ni la poursuite des opérations navales de ravitaillement des colonies, ni les efforts de construction navale entrepris après 1805, ne semblent indiquer que Napoléon ait considéré Trafalgar comme mettant un terme définitif à la guerre navale contre l’Angleterre.

Il fallait attendre la chute de Napoléon pour voir paraître dans la presse française officielle des interprétations érigeant Trafalgar en événement. Ainsi, le 20 avril 1814, après la première abdication de l’Empereur, le Journal des débats politiques et littéraires publia une lettre factice de l’amiral Villeneuve, « adressée à Bonaparte » et qui aurait paru dans un journal anglais.

Villeneuve y aurait rendu Napoléon, traité de tyran, responsable de la ruine de la marine française et lui aurait promis sa punition certaine. Faisant l’éloge des marins britannique, la presse de la Restauration allait même jusqu’à affirmer aucune bataille navale n’avait été livrée depuis Trafalgar « parce que cette mémorable action avait balayé les mers de tout ennemi qui aurait pu les disputer ».

Mais ce n’est que le 20 février 1816 que le Moniteur universel faisait écho des débats parlementaires britanniques au sujet de l’érection d’un « monument national commémoratif de la décisive et signalée bataille de Trafalgar ». Certains députés, associant Trafalgar à Waterloo, demandèrent même de n’ériger qu’un seul monument pour les deux batailles. Napoléon étant alors à Sainte-Hélène, on prenait conscience alors qu’une époque était révolue.

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