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Lever de soleil sur le Pont de Normandie. Sebastien Letellier / Flickr, CC BY

La Normandie réunifiée peut-elle devenir un futur « Tigre viking » économique ?

Le jeudi 27 novembre 2008 se déroulait le 91e congrès des maires de France au cours duquel Nicolas Sarkozy plaidait pour un rapprochement volontaire entre régions. Le président de la République de l’époque souhaitait une réflexion sur une nouvelle organisation des territoires. Il avait cité le cas normand comme exemple : « il y a deux Normandie, on les aime, mais en faut-il deux ? ». A l’époque, les deux présidents de région (Alain le Vern et Laurent Beauvais) étaient « volontaires pour une expérimentation poussée », pas pour une fusion.

Une région enfin réunifiée…

La Normandie administrative. Wikipedia

Six ans plus tard (le 8 avril 2014), Manuel Valls – actuel premier ministre – annonçait vouloir diviser par deux le nombre de régions dans le cadre de l’Acte III de la décentralisation. La date du 1er janvier 2016 a officiellement acté la réunification de la Haute et la Basse-Normandie en une seule et même région, refermant ainsi la page de près de 60 années de séparation. Outre l’aberration historico-culturelle, ces années de division ont malheureusement freiné les coopérations à l’échelle de la Normandie et bloqué les leviers de croissance économique des différents gisements de potentiels (territorial, historique, culturel, géographique, etc.).

Depuis la réunification, la nouvelle présidence régionale a la volonté de corriger le tir en lançant la Mission Normandie Attractivité qui verra la création d’une future agence de l’attractivité normande. Alors, avec le renforcement de la décentralisation via la loi NOTRe (2015) et la progression des recettes budgétaires régionales par une ponction de la TVA, la Normandie peut-elle devenir ce « tigre viking » (en référence à ses origines), à l’image du « tigre celtique » irlandais des années 2000 ?

…aux atouts géographiques et aux potentiels économiques évidents

D’abord, la Normandie possède de nombreux atouts géographiques mais ne semble pas encore en tirer pleinement parti. Elle est située à proximité directe de lieux de premier plan dans l’économie mondiale. Par exemple, ses côtes donnent sur la Manche, l’axe maritime le plus fréquenté du Monde. De plus, elle se situe à mi-chemin des deux plus grandes métropoles démographique et économique de l’Europe occidentale, à savoir Paris et Londres, ainsi qu’à proximité de la mégalopole européenne (axe fortement urbanisé s’étendant de Londres à Milan en passant par le Benelux, l’Allemagne et la Suisse).

En termes de visibilité internationale, la Normandie fait très bonne figure. Elle serait d’ailleurs la région la plus connue au monde derrière la Californie. En outre, le poids de l’histoire n’y est pas étranger. En effet, le débarquement de 1944 sur les plages normandes a largement contribué à sa notoriété et les commémorations annuelles très médiatisées permettent de la pérenniser.

Dans une moindre mesure, la conquête de l’Angleterre en 1066 par Guillaume le Conquérant et ses troupes ont contribué à diffuser durablement le terme « Norman » dans la culture anglo-saxonne : « Norman architecture » (architecture normande), « Norman conquest » (invasion normande), « norsemen » (les vikings), etc. De manière plus anecdotique, on peut aussi citer les pionniers normands qui ont marqué historiquement leur empreinte au sein de l’espace nord-américain.

Un drapeau normand de l’autre côté de l’Atlantique… John/flick

Citons parmi les plus significatifs : René-Robert Cavelier de La Salle (explorateur de la Louisiane), Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville (fondateur de la ville de la Nouvelle-Orléans) ou encore, de manière insolite, les nombreux migrants vers la Nouvelle-France au XVIIe siècle qui ont laissé un héritage génétique et patronymique important (Pierre Tremblay, Jean Gagnon, Zacharie Cloutier, etc.).

Par conséquent, cette notoriété de la Normandie doit se traduire par une marque, à l’instar d’initiatives réussies qui ont vu le jour en termes de marketing territorial, fédérant acteurs publics et privés (« Alsace » ou « Only Lyon » par exemple). La notoriété est un élément important de la compétitivité des territoires.

Gérard-François Dumont rappelle par exemple que ce qui a sauvé le plus vaste quartier européen d’affaires – La Défense – durant ses graves difficultés a été la décision de permettre aux entreprises qui s’y implantaient de mettre Paris comme adresse, appellation mondialement connue, au lieu de Courbevoie ou Puteaux.

Avant de devenir un « Tigre », la Normandie doit faire rugir ses léopards

Derrière ses atouts, la Normandie doit résoudre de nombreux problèmes auxquels elle est confrontée. D’abord, elle souffre d’une proximité presque étouffante avec la région parisienne qui lui « aspire » une partie de ses forces vives (en particulier les jeunes diplômés). L’enjeu majeur pour la Normandie est d’accueillir Paris sans la subir.

Jusqu’alors, la division entre Haute et Basse Normandie a engendré de l’inertie politique et une absence de vision globale accélérant ainsi la mise sous tutelle parisienne de ces deux ex-régions. En effet, la Haute-Normandie a notamment accueilli dans les années soixante la déconcentration industrielle parisienne. Aujourd’hui, avec du recul, on se rend bien compte qu’il s’agissait d’un cadeau empoisonné puisque la Normandie a accueilli les ouvriers et la pollution mais pas les ingénieurs et les cadres qui eux sont restés à Paris.

Le « Grand Paris » de Montereau au Havre. Atelier International du Grand Paris

Parmi les problèmes liés à la proximité parisienne, on évoque souvent également la fuite des jeunes cerveaux. Chaque année, plus de 4000 jeunes post-bac quittent les académies de Rouen et Caen sans y revenir par la suite. Par conséquent, la Normandie de nouveau unifiée doit réfléchir à des nouveaux modes d’organisation capables de retenir sur son territoire les étudiants et les nouveaux diplômés.

Ensuite, une autre problématique plusieurs fois évoquée par le collectif des quinze géographes normands est celle de la gouvernance régionale et de la répartition équitable des tâches entre Caen et Rouen. Les Normands sont longtemps restés indifférents vis-à-vis de cette réunification prétextant l’inutilité de cette question. Cette dernière a pourtant été l’occasion de faire ressurgir une identité et des racines communes. La question maintenant est de savoir si faire de la culture et de l’histoire de la Normandie un projet régional d’attractivité et de compétitivité sera efficace.

L’absence d’un réel projet pour la Normandie vient essentiellement du fait que depuis 1956, l’État aménageur a coupé en deux la Normandie. Depuis, l’ex-Haute regardant vers Paris et l’ex-Basse regardant vers le Grand-Ouest n’ont jamais réussi à mettre en place de grands projets en commun. Pourtant, singulièrement, la Normandie est riche de potentialités socio-économiques et territoriales donc tout l’intérêt de la fusion est de lui donner un poids suffisant pour la rendre attractive.

Enfin, dans un contexte de compétition accrue entre les territoires, la Normandie doit espérer une meilleure coopération entre tous ses acteurs publics et privés avec une vision stratégique à long terme (à l’image des objectifs du CESER de Bretagne sur 20 ou 30 ans). La réflexion en cours sur le projet Axe Seine lui constitue un moyen de consolider ses activités économiques, notamment dans les filières industrielle et logistique où elle joue actuellement les premiers rôles au niveau national. Ce projet territorial associant la métropole parisienne (projet du Grand Paris) permettra de renforcer son attractivité et d’attirer de nouveaux investisseurs en faisant l’hypothèse d’une meilleure accessibilité ferroviaire.

Les récents évènements organisés par la région Normandie rassemblant les grands acteurs économiques et les citoyens du territoire et la volonté de créer une marque territoriale sont autant de signaux positifs. À la Normandie d’affirmer ses ambitions et de faire rugir ses léopards.

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