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La résidence d’auteurs : une composante essentielle de la vie littéraire ?

Quelles sont les spécificités du dispositif résidentiel consacré aux écrivains ?

C’est tout l’objet de mon dernier essai, La résidence d’auteurs. Littérature, territorialité et médiations culturelles.

Je cherche à y définir une résidence d’auteurs : quels sont ses principes fondateurs ? Quelles fonctions peut-on lui assigner ? Faut-il la considérer comme un lieu d’invention et de circulation de la littérature contemporaine, un moyen d’accompagner des auteurs et de structurer leur parcours littéraire ? S’agit-il d’un dispositif de médiation, d’un outil de communication et de coopération ?

Ainsi, il s’avère nécessaire de chercher à comprendre ce que sont les résidences d’auteurs, mais aussi de saisir les pratiques littéraires élaborées, les lieux qu’elles occupent dans l’espace social et les médiations culturelles instaurées.

Ce dispositif constitue un objet scientifique fort stimulant à partir duquel j’ai pu dégager des lignes de force portant sur la conceptualisation de la notion, mais aussi sur les enjeux littéraires et culturels de la résidence selon les strates envisagées et les acteurs concernés, c’est-à-dire pour les auteurs, les institutions culturelles sur les territoires et enfin les publics.

La résidence, un lieu de création littéraire, une poétisation du territoire ?

Soucieuse de l’évolution au fil du temps, mais aussi du contexte d’émergence des résidences d’auteurs, cette étude a privilégié une double approche, à la fois diachronique et synchronique, qui puisse notamment éclairer la notion sous l’angle de la création et plus particulièrement de ses enjeux symboliques et littéraires.

À l’issue de cet état des lieux réalisé à partir d’une historicisation préalable des pratiques résidentielles, l’enjeu a été de montrer comment ce dispositif est, en fonction des époques et des terrains, un processus en perpétuelle évolution qui emprunte à d’autres systèmes existants – littéraires ou artistiques – tout en absorbant différentes traditions au sein d’un réseau de relations.

Ce rapide parcours historique offre la possibilité de saisir de quelle manière la résidence d’auteurs s’est construite, au fil des siècles et des lieux, dans un jeu constant d’interactions avec d’autres formes. Du mécénat à l’atelier d’artiste, en passant par le Grand Tour, l’itinérance et les modèles académiques (Villa Médicis, Casa de Velázquez, Villa Kujoyama, Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon), le dispositif résidentiel s’impose, grâce à une hybridation des formes de sociabilité pratiquées, comme une composante essentielle de la vie littéraire favorisant fortement la circulation des œuvres et des écrivains.

Il m’a semblé essentiel de montrer également comment la résidence d’auteurs est bien un lieu appartenant à la vie littéraire qui, entre spatialité symbolique et instance de médiation, participe à des stratégies de reconnaissance à l’épreuve de l’espace littéraire. Au croisement de diverses disciplines et approches critiques de la littérature comme fait social et acte de communication, l’objectif a donc été de cerner la résidence en tant que composante de la vie littéraire.

En fait, le dispositif résidentiel s’avère être un lieu de sociabilité, de construction pour les autrices et auteurs, mais surtout un espace d’invention littéraire.

Afin d’analyser de manière précise la facture textuelle de certaines créations résidentielles sélectionnées, j’ai cherché à nommer les formes rencontrées, puis à mettre en place grâce à une approche comparée, un panorama représentatif de ces « fictions singulières » (F. Forte, M. Batalla, O. Domerg, E. Pagano, J. Portante, F. Jacob…) se jouant des frontières spatiales et littéraires, sous de multiples déclinaisons génériques (récits de spatialité, poèmes paysagers, romans topographiques, narrations de soi immersives…). En cela, la résidence d’auteurs demeure un lieu de création résolument nécessaire à la fois pour les créateurs et la société, dans sa capacité de réinvention, de recréation proposant sans cesse un regard nouveau sur notre relation avec le monde et le territoire.

La résidence, un dispositif politique et territorial dans l’espace public

Après avoir montré comment la résidence d’auteurs est une potentielle poétisation du territoire, cette étude m’a conduit à interroger les enjeux institutionnels et communicationnels de ce dispositif culturel selon plusieurs pistes. Partant du cadre plus général des politiques culturelles et de son historicité, la résidence apparaît comme un objet culturel et un instrument politique, à la jonction de divers espaces, modélisé par une tension entre la strate nationale et locale, entre d’une part, un État-providence, instance légitime de consécration et de financement, prônant une culture démocratique centrée sur l’accès aux œuvres et d’autre part, les collectivités territoriales issues des diverses réformes de décentralisation opérant les transferts de compétences en fonction des périmètres territoriaux établis (métropolisation, régionalisation, intercommunalité).

Sur le plan créatif, social et économique, le dispositif résidentiel est un moyen efficace de remettre le curseur sur la création littéraire en intégrant la prise de risque propre au processus et surtout en offrant aux écrivains dans leur parcours un accompagnement financier, logistique et artistique. Ainsi, le positionnement même de la résidence dans le champ des activités connexes, c’est-à-dire non essentielles, nécessiterait un réajustement de la part des politiques culturelles valorisant l’expérimentation et les médiations vers les publics, à condition de réinterroger la question de la commande et des prescriptions résidentielles sous l’angle des logiques afférentes, des modalités communicationnelles et des stratégies déployées par les différents acteurs culturels (écrivains, porteurs de résidences, institutions).

En outre, ce dispositif culturel implique en filigrane la question du statut de l’auteur, de son positionnement social et professionnel, de sa définition même qui reste une véritable pierre d’achoppement cristallisant des conceptions contradictoires, des clivages en fonction des acteurs sociaux et des spécialistes.

En centrant ainsi l’analyse sur le statut de l’auteur en contexte résidentiel, l’enjeu a été d’examiner cette tension identifiable sur plusieurs strates mettant en jeu de fortes dualités, en fonction des divergences observées. L’identité complexe de l’auteur restant encore hybride ou incomplète selon les approches théoriques, il m’a semblé utile ensuite d’interroger le statut auctorial sous l’angle juridique, politique et axiologique. La résidence d’auteurs ne s’apparente donc pas juste à une bouée de sauvetage palliative, une aide « accessoire » à la marge compensant un manque de financement destiné aux écrivains, mais assume un rôle non négligeable d’intermédiaire, de médiateur culturel entre créateurs et publics au sein de l’écosystème littéraire.

En prenant appui sur les diverses enquêtes menées sur les territoires français, européen et canadien, cette étude a veillé à établir une typologie des formes et contraintes résidentielles permettant une compréhension nouvelle ou en tout cas plus approfondie de l’objet étudié. Cet essai d’identification des tendances observées sur le terrain a été essentiel afin de définir plus finement la résidence en tant qu’espace de communication et de combler des discours institutionnels souvent flous et incomplets ou alors une démultiplication des extensions possibles.

Cette interrogation de la notion a donc été pensée en fonction de trois éléments connexes : le discours des auteurs, son usage selon le concept de dispositif et ses principes constitutifs. En somme, la résidence est d’un point de vue institutionnel et communicationnel, un bastion inventif original émanant de ce « personnel de renfort » qui s’efforce de participer, en sa qualité d’adjuvant culturel sur le territoire, au processus de production et de diffusion littéraire.

La résidence comme dispositif de médiation

Enfin, sous l’angle inédit de la confrontation du concept de médiation culturelle avec la résidence d’auteurs, cette analyse a permis d’interroger les enjeux d’appropriation ou de réappropriation qui en découlent, malgré la plasticité de cette notion souvent controversée. Plus spécifiquement, l’objectif a été de mesurer la multiplicité des définitions qui affleurent à travers diverses approches conceptuelles, ainsi que les tentatives plus empiriques qui émanent des pratiques sur le terrain circulant entre des espaces sociaux différents. Il ne s’agit pas de remettre en cause la validité de la médiation en tant que conception de la culture, catégorie professionnelle et outil conceptuel, mais plutôt de mettre en exergue l’intérêt de ce processus communicationnel éclairant le dispositif résidentiel par le biais d’un examen des interactions sociales.

La résidence est un possible laboratoire social, outil de communication et de coopération.

L’objectif a été de replacer les résidences d’auteurs dans les espaces et les situations d’intervention rencontrés, à travers un essai de spatialisation résidentielle, afin de cerner les types de médiations imaginés et les stratégies communicationnelles des différents milieux de pratique.

L’examen de l’imbrication des lieux et des rapports sociaux en fonction des formes résidentielles recensées, a pris notamment appui sur l’outillage théorique de la géographique sociale cherchant à déterminer dans une perspective interactionniste toutes les dimensions (symboliques, politiques, économiques) d’une communication culturelle dans l’espace public.

Cette spatialisation résidentielle m’a amené à appréhender ce dispositif comme un possible laboratoire social, outil de communication et de coopération selon les lieux (bibliothèque, musée, école, prison, hôpital, parc naturel, espace rural…).

Ainsi, en évaluant notamment les possibilités d’échange et de production de sens au sein des diverses pratiques mises en œuvre, de la participation à la co-création, il est possible d’affirmer que la résidence d’auteurs vise à valoriser la communication interpersonnelle, c’est-à-dire la relation des individus à l’écrivain in situ et des participants aux activités de médiation entre eux selon l’expérience participative choisie (table ronde, atelier d’écriture…) et à travers une certaine horizontalité des pratiques. En cela, elle tente de mettre en place des modalités de rencontre entre les habitants, les auteurs et les acteurs du territoire, en ayant comme objectif l’élaboration d’un sens construit dans la confrontation, l’échange collectif autour de la création et des relations intersubjectives établies qui inclut bien évidemment aussi le surgissement de l’imprévisible lié à la situation contextuelle et aux interactions sociales.

Cependant, croisant relations partagées et logiques d’acteurs, l’étude a aussi confronté les actions collaboratives menées dans le champ des pratiques et des compétences professionnelles nécessaires à la conduite d’une résidence d’auteurs, en revenant sur les configurations spatialisées identifiées et en initiant une réflexion sur une possible structuration professionnelle.

La Résidence d’auteurs, de Carole Bisénius-Penin, est sorti aux éditions Classiques Garnier.

À travers un dernier jeu d’échelles autour de la frontière, un ultime déplacement diplomatique, cet ouvrage appréhende pour finir le dispositif résidentiel comme outil de coopération interculturelle pouvant rendre visible une esthétique de la rencontre transfrontalière.

Finalement, l’objectif de cet ouvrage portant sur l’articulation entre littérature contemporaine, territorialité et médiations culturelles, est de contribuer à une meilleure compréhension des spécificités du dispositif résidentiel consacré aux écrivains ; et ce, selon trois perspectives : un lieu de création avec des enjeux symboliques et littéraires, un dispositif politique et territorial avec des enjeux institutionnels et communicationnels et, enfin, un équipement de médiation avec des enjeux d’appropriation. À bien des égards, une interrogation originale sur les frontières du littéraire, à travers cette enquête sur les formes sensibles et mobiles de la littérature in situ articulant une approche empirique et pragmatiste.

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