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L’après-coronavirus : vers une société inclusive ou excluante ?

A Reims, le 16 mai 2020. François Nascimbeni/AFP

Partout, des voix s’élèvent pour parler du « monde d’après ». Un nouveau monde impulsé par l’élan de solidarité actuel se dessinerait-il ? Une nouvelle société empreinte de plus d’entraide et de tolérance ? Nous avons traversé d’autres crises par le passé. L’une des plus marquantes, en France, dans la dernière décennie, est liée aux attentats de Charlie Hebdo. Si les actes et menaces anti-musulmans ont malheureusement augmenté en France en cette période, de nombreux français se mobilisaient en parallèle lors de marches citoyennes pour manifester leur soutien aux victimes et cela, dans un climat dénué d’animosité envers les musulmans.

Alors que le contexte anxiogène actuel semble de tout autre nature, la crise que nous traversons risque, elle aussi, d’impacter nos préjugés et nos comportements envers les autres, mais de manière bien plus insidieuse. Comment un simple virus pourrait-il favoriser des tensions entre les groupes sociaux ? Comment pourrait-il nous empêcher de dessiner cette nouvelle société plus inclusive ?

Perception de la menace

Si les évènements traumatisants récents ont coûté la vie à de nombreux Français, la probabilité de mourir de l’un de ces évènements reste malgré tout statistiquement relativement faible. Au-delà de la réalité de la menace, les chercheurs·euses en psychologie sociale ont montré que la perception subjective de la menace influence notre manière de penser, nos émotions et nos comportements.

Parmi les menaces perçues les plus soutenues empiriquement, la menace pour l’intégrité physique, telle qu’elle a été vécue après les attentats terroristes, déclenche un sentiment fort de peur chez les individus. La seconde menace perçue est quant à elle directement liée à l’actualité qui nous concerne aujourd’hui. La contamination potentielle par des parasites pathogènes (tels que les virus ou les bactéries) est une menace à laquelle l’être humain est particulièrement sensible et réactif.

Les recherches sur le « système d’immunité comportementale » suggèrent que l’être humain serait doté d’un système de protection contre les maladies lui permettant de détecter les parasites représentant un danger pour la survie de l’espèce humaine. En réponse à son activation, l’être humain ressentirait avant tout une émotion de dégoût envers l’objet source, facilitant dès lors l’évitement comportemental des parasites infectieux. Si ce système, et l’émotion de dégoût qui lui est associé, peuvent se révéler utiles pour nous protéger de certaines maladies, ce mécanisme comporte aussi des failles dans son activation, entraînant des conséquences plus pernicieuses.

Stigmatisation de certains groupes sociaux

À ce titre, les recherches ont montré des effets négatifs sur des variables psychologiques et comportementales, à première vue sans lien direct avec la menace de contamination. Des effets sur la stigmatisation des groupes sociaux, allant bien au-delà de la stigmatisation actuelle des Chinois, ont été mis en évidence.

Il ressort que nous stigmatisons plus fortement les autres lorsque ceux-ci sont porteurs d’indices pouvant potentiellement signaler un risque infectieux. Peu importe que le risque de contamination soit réel ou pas, il suffirait que cet indice soit visible pour qu’il déclenche chez les gens un sentiment (souvent subtil) de dégoût et par suite, une tendance à la distanciation physique. C’est, par exemple, ce qu’il se passe actuellement lorsque l’on croise une personne en train de tousser. Qui n’a pas eu l’envie irrépressible de se détourner de cette personne ? On pourrait croire que ce comportement est spécifique au contexte actuel au sein duquel la menace de contamination est bel et bien réelle.

Malheureusement, ces tendances à la distanciation sociale et physique s’observent aussi envers des populations dont on sait qu’elles ne présentent aucun risque de contamination. C’est précisément le cas pour les personnes ayant une anomalie perceptive dans la morphologie de leur visage ou de leur corps. Par exemple, une étude a montré qu’une personne décrite comme saine mais avec une tache de naissance visible au visage est implicitement plus fortement associé au mot « maladie » qu’une personne décrite comme atteinte de la tuberculose mais d’apparence « normale ».

De la même manière, il semblerait que plus on se sent vulnérable à la maladie, plus on aurait de préjugés forts envers les personnes obèses. Autrement dit, dès lors que nous percevrions une différence physique évoquant faussement une potentielle maladie, notre réaction primaire se manifesterait à travers des pensées et une émotion négatives. Ce type d’effets délétères a également été montré envers les personnes en situation de handicap physique, mais de manière plus inattendue encore, envers les personnes agées, les immigrants provenant de pays non familiers et les personnes homosexuelles.

D’autres effets insoupçonnés de la menace perçue de contamination ont été mis en évidence, en lien cette fois-ci avec la conformité à la norme sociale et au jugement moral. Par exemple, des chercheurs ont montré que lorsque la menace de contamination était rendue saillante, 67 % des participants à l’étude se conformaient à l’avis de la majorité alors qu’ils n’étaient que 53 % à se conformer lorsqu’une menace d’une autre nature était saillante et 42 % lorsqu’aucune menace était présente.

Autrement dit, lorsque les gens ont un sentiment de menace de contamination accru, ils sont plus enclins à exprimer des opinions conformistes et à agir de manière conformiste. Une autre étude a montré un lien, non pas directement entre la menace de contamination et le jugement moral, mais entre le dégoût et le jugement moral. Des participants jugeaient plus sévèrement des transgressions morales (par exemple, deux cousins qui ont eu une relation sexuelle ou un membre politique qui avait accepter un pot-de-vin) lorsque l’émotion de dégoût était saillante plutôt qu’absente. En somme, il semblerait que la menace perçue de contamination et l’émotion de dégoût ont un impact subtil sur nos jugements moraux et notre manière de nous conformer à la norme. Se conformer n’est en soi pas une mauvaise chose, mais cela augmente aussi le risque de rejet de ceux qui ne se conforment pas.

Comme nous venons de le voir, l’être humain est particulièrement sensible à la menace de contamination. Si le coronavirus pouvait s’éteindre dans les prochains mois, il reste probable que le sentiment subjectif de menace survivra au virus. Bien que les études présentées ci-dessus ne permettent pas de prédire les conséquences à long terme des évènements actuels sur nos croyances, nos émotions et nos comportements envers les autres, elles fournissent malgré tout quelques éléments de réflexion.

Le risque de rejet et d’exclusion de certaines populations numériquement minoritaires et le risque d’un trop grand conformisme, peu enclins à l’ouverture à la diversité, ne sont pas à négliger.

Si, suite aux attentats terroristes, nous avons été vigilants quant au risque de stigmatisation des musulmans et des personnes d’origine nord-africaine, le risque de stigmatisation consécutif au coronavirus est nettement moins intuitif.

La question de l’inclusion à l’école est plus que jamais mise en exergue par les pouvoirs publics. De leur côté, les organisations affichent un intérêt fragile mais croissant pour le sujet de l’inclusion de la diversité (tel que le handicap, l’origine ethnique, etc.). Après le confinement, après le coronavirus, il serait regrettable qu’en plus des conséquences sanitaires, économiques et sociales, se révèle un climat de stigmatisation, de rejet et de repli sur soi. Alors, ne soyons pas trop naïfs. Si nous voulons une société véritablement plus tolérante, nous devons en premier lieu en faire le choix. Mais nous devons également être conscients des limites du fonctionnement humain, non pas pour abandonner l’ouvrage mais pour être en capacité de mieux affronter ses faiblesses.

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