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L’astronomie multi-messagers, croiser les informations pour mieux appréhender l’univers

Une étoile à neutrons, un pulsar, sur un fond sombre. Shutterstock

Historiquement, c’est la lumière visible qui a permis d’observer le ciel, d’abord à l’œil nu puis avec un télescope. Plus récemment, les radiotélescopes et les détecteurs de rayons X et gamma installés sur des satellites ont enrichi notre compréhension de l’univers.

Les instruments ont beaucoup évolué et se sont largement diversifiés afin de collecter les informations les plus variées possible. Mais in fine, c’est le même objet physique qui est observé : le photon. C’est la particule qui transporte la lumière que l’on voit, mais aussi les rayons X des radios, lorsqu’ils sont de plus haute énergie, ou encore les micro-ondes avec lesquels on réchauffe les plats de la veille. C’est le grand changement que connaît l’astronomie depuis quelques années.

En effet, il est désormais possible d’observer des sources astrophysiques par le biais d’autres signaux, apportant des informations nouvelles, inaccessibles par les seules ondes électromagnétiques.

4 « messagers » pour étudier l’univers

À ce jour, quatre « messagers » sont disponibles pour étudier l’univers :

  • les photons

  • Les neutrinos : des particules neutres produites lors de réactions nucléaires, particulièrement difficiles à observer à cause de leur très faible interaction avec la matière. Les expériences ANTARES et IceCube recherchent les émissions astrophysiques de neutrinos très énergétiques.

  • Les rayons cosmiques : des particules chargées accélérées par des « accélérateurs cosmiques » jusqu’à des énergies bien supérieures au meilleur accélérateur de particules : le LHC du CERN. Ils sont détectés au sol, entre autres, par les expériences HESS, Pierre Auger et bientôt CTA.

  • Les ondes gravitationnelles : des vibrations de l’espace-temps produites lorsqu’un objet massif est accéléré. Trois instruments détectent ces signaux depuis quelques années : les deux détecteurs Ligo construits aux États-Unis et Virgo en Italie.

Observer une même source astrophysique via au moins deux messagers permet d’avoir une vision plus complète des mécanismes physiques en jeu. Cette perspective constitue la motivation première de ce que l’on appelle l’astronomie multi-messagers.

Les débuts de l’astronomie multi-messagers

La toute première observation multi-messagers a eu lieu en 1987, lorsqu’une étoile située dans une petite galaxie satellite de la Voie lactée a explosé en une supernova très brillante, observée à la fois par les télescopes optiques classiques et par des détecteurs de neutrinos.

Ces particules ont été émises en très grand nombre, quelques heures avant l’explosion, lorsque l’étoile en fin de vie, devenue incapable de résister à la gravité induite par sa propre masse, s’est effondrée sur elle-même.

Mais si l’événement a marqué l’histoire de l’astrophysique, c’est grâce à la proximité de l’explosion (à l’échelle de l’univers). Si les supernovae sont assez courantes dans l’univers – plusieurs sont découvertes chaque semaine – il faut que l’étoile qui explose soit dans notre galaxie ou son proche voisinage pour que les neutrinos soient détectables.

On estime qu’une supernova ne se produit qu’une à deux fois par siècle dans la Voie lactée, ce qui limite drastiquement le nombre d’observations. C’est la difficulté majeure de l’astronomie multi-messagers : il faut que chacun des messagers soit détectable sur Terre, ce qui exige des détecteurs particulièrement sensibles. C’est pourquoi les études en la matière n’ont émergé que récemment.

Onde gravitationnelle, sursaut gamma et kilonova

C’est à l’été 2017 que tout change pour l’astronomie multi-messager.

Il y a un peu plus de cent millions d’années, après une très longue danse, les restes de deux étoiles massives, appelées étoiles à neutrons, ont fusionné en émettant une onde gravitationnelle. Celle-ci s’est alors propagée jusqu’à nous, pour être finalement détectée le 17 août 2017 par Ligo et Virgo.

Lors de la collision, deux autres phénomènes se sont produits. D’une part l’émission d’un jet étroit et symétrique de rayons gamma, des photons de très haute énergie, appelé « sursaut gamma ». Il est arrivé sur Terre deux secondes après les ondes gravitationnelles et a été détecté par les satellites Fermi et Integral.

D’autre part, une fraction de la matière constituant les étoiles à neutrons a été éjectée sous forme de noyaux atomiques lourds. Ceux-ci, après avoir été rendus instables par la capture des neutrons projetés par la fusion, se désintègrent par radioactivité, ce qui chauffe le milieu environnant. Provoquant l’émission d’une lumière bleue lors des deux à trois premiers jours suivant la collision, puis rouge lorsque le milieu refroidit.

Ce deuxième phénomène, appelé kilonova, a été détecté une dizaine d’heures après l’onde gravitationnelle par le télescope terrestre Swope, déclenchant la plus grande campagne de suivi astronomique de l’histoire, impliquant près de 70 observatoires. Pendant plusieurs semaines, la communauté des astronomes a été en ébullition et la moisson de résultats a été colossale.

Grandma, réseau international de télescopes

À la fin de l’été 2017, les collaborations Ligo et Virgo arrêtent leurs observations afin d’améliorer leurs instruments et de les rendre encore plus sensibles.

Représentation temps-fréquence du signal de l’onde gravitationnelle détectée le 17 août 2017 par Ligo et Virgo. Le signal, appelé « chirp », est visible dans les détecteurs Ligo-Handford (en haut), Livingstone (au milieu), mais pas dans Virgo (en bas). Sa forme est caractéristique d’une fusion d’astres très dense. Collaboration Ligo et Virgo

Ce faisant, les ondes gravitationnelles deviennent d’excellentes candidates pour des observations multi-messagers régulières, puisque pour la prise de données suivante nommée « O3 », prévue pour la période d’avril 2019 à mars 2020, entre une et dix nouvelles fusions d’étoiles à neutrons sont attendues.

Cependant, pour maximiser les chances d’une nouvelle observation, il a fallu que les astronomes se préparent largement en amont de O3.

Détecter une nouvelle kilonova pose en effet deux problèmes majeurs : d’une part, pour des raisons liées à la fois aux détecteurs et à la manière dont sont analysées les données qu’ils produisent, il est difficile d’obtenir précisément l’endroit du ciel d’où la source émet l’onde, ce qui complique beaucoup la découverte d’une kilonova.

D’autre part, il faut la trouver dans les heures suivant la détection de l’onde gravitationnelle afin de comprendre les processus physiques à l’œuvre et affiner le plus possible les modèles décrivant les collisions d’étoiles à neutrons.

C’est pourquoi, en 2018, des télescopes du monde entier ont mis en commun une partie de leurs ressources afin de créer le réseau Grandma, capable d’observer à tout moment de grandes portions du ciel, répondant ainsi aux deux problèmes.

La kilonova associée à l’événement GW170817 observée par le télescope Hubble. L’image en bas à gauche est la kilonova observée le 22 août 2017, cinq jours après sa découverte, les images suivantes ont été prises quelques jours après, et il est clairement visible que le phénomène faiblit. NASA and ESA : A. Levan (U. Warwick), N. Tanvir (U. Leicester), and A. Fruchter and O. Fox (STScI), CC BY-NC-ND

Fusion d’une étoile à neutrons et d’un trou noir

La campagne O3 a été très riche du point de vue des ondes gravitationnelles : au moins une nouvelle fusion d’étoiles à neutrons, malheureusement trop loin de la Terre et trop mal localisée dans le ciel pour y associer une kilonova ou un sursaut gamma avec certitude. Il y eut aussi la première observation de la fusion d’une étoile à neutrons et d’un trou noir, pour lesquels on peut aussi espérer observer une kilonova.

Pendant cette année d’observations, un signal d’onde gravitationnelle était détecté en moyenne chaque semaine, et Grandma a suivi la plupart d’entre eux avec ses télescopes.

Malgré cela, aucune contrepartie électromagnétique n’a été trouvée, ni par Grandma, ni par d’autres équipes.

Grandma, un réseau de télescopes mondial. Chacun des points sur la carte indique un télescope utilisé pendant O3. Collaboration Grandma, CC BY-NC-ND

Perspectives pour les prochaines années

À l’heure actuelle, les collaborations Ligo et Virgo améliorent leurs détecteurs et préparent la campagne O4 d’observation des ondes gravitationnelles, laquelle promet d’être particulièrement intense puisque les estimations actuelles sont autour d’une détection d’onde gravitationnelle par jour, contre seulement une par semaine pendant O3. L’un des gros enjeux sera donc de ne sélectionner et de ne suivre que les plus événements les plus susceptibles de produire une kilonova ou un sursaut gamma.

Par ailleurs, beaucoup de télescopes, notamment ceux de Grandma, ont été améliorés à la lumière des résultats de O3 afin d’augmenter les chances de détection de kilonova. Le début de la campagne O4 est prévu pour le second semestre 2022.

Un peu plus tard cette même année, l’Observatoire Vera Rubin, un télescope de plus de 8 mètres de diamètre, fera ses premières observations du ciel à la recherche d’objets et de phénomènes astrophysiques transitoires. Et parmi ses découvertes, les astronomes espèrent trouver quelques kilonovae.

L’ère de l’astronomie multi-messagers ne fait que débuter… et elle s’annonce rayonnante !

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