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Adolescente souriante en Haïti
Une jeune haïtienne tout sourire, dans on école communale de Cité Soleil, un des quartiers les plus pauvres des Amériques. Haïti est au dernier rang au monde pour la représentation des femmes en politique et ses dernières tentatives pour remédier à la situation risque d'empirer les choses. Shutterstock

L’avenir d’Haïti passe par la parité entre les sexes, mais le chemin pour y arriver est ardu

Haïti organise un référendum constitutionnel le 27 juin. Si la nouvelle Constitution est approuvée, cela compliquera une situation déjà difficile pour la mise en œuvre de politiques visant à corriger le manque flagrant de femmes au parlement.

En effet, la nouvelle Constitution éliminerait toute mention d’un quota et déplacerait la responsabilité de mise en œuvre sur les partis politiques. Ces derniers n’ont montré que peu de volonté politique à ce jour. De plus, cela impliquerait un changement d’approche, passant de sièges réservés à des quotas de candidats, ce qui affaiblirait la capacité d’atteindre l’objectif de parité.

Déjà, malgré le vote d’un quota de genre de 30 % dans la Constitution de 2011, Haïti ne l’a jamais mis en œuvre au niveau national. Aujourd’hui, le pays est au dernier rang au monde pour la représentation des femmes. Lors de la dernière législature, il y en avait seulement trois sur 118 députés et une seule sur 30 sénateurs.

Haïti compte peu de femmes en politique en raison du statut inférieur des femmes dans la société. Celles-ci sont moins éduquées, ont des niveaux élevés de pauvreté et de mortalité maternelle, et moins d’accès à l’emploi. En outre, les femmes qui se lancent en politique sont confrontées à des niveaux élevés de violence, notamment parce qu’elles rompent avec leurs rôles traditionnels à la maison. En conséquence, l’inégalité entre les sexes contribue à l’échec du développement économique et à un faible niveau de développement humain.

La participation politique des femmes est un droit fondamental et une clé du développement. Les quotas aident souvent à atteindre cet objectif. Ma recherche examine comment concevoir des quotas adaptés à différents systèmes électoraux. L’histoire d’Haïti à ce sujet – et son avenir potentiel dans le cadre du projet de Constitution – est problématique, mais des solutions sont possibles.

Des femmes transportant des bananes sur leur tête, sur un chemin de terre montagneux, en Haïti
Quatre femmes, portant de grosses charges de bananes sur la tête, montent la colline en rentrant chez elles après le marché, à Fond Baptiste. Plus pauvres et moins éduquées, les Haïtiennes ont le fardeau des tâches domestiques. Shutterstock

Un décalage entre le système électoral et l’approche de quotas

La question du quota en Haïti est confrontée à deux défis majeurs.

Le premier, qui persiste depuis une décennie, concerne la mise en œuvre d’un quota dans un système électoral majoritaire à circonscription uninominale. Dans ce type de système, un seul représentant est élu par circonscription après avoir recueilli le plus de voix.

Le deuxième apparaît dans l’avant-projet de Constitution qui augmente la cible, mais affaiblit les moyens de l’atteindre.

Depuis sa création, la mise en œuvre du quota a été entravée par des malentendus de la relation entre les quotas et les systèmes électoraux. Les leaders haïtiens se réfèrent souvent à l’exemple du Rwanda, où une règle de quota a réussi à propulser le pays au premier rang mondial des femmes au Parlement presque du jour au lendemain. Les décideurs ont même été jusqu’à proposer des projets de loi pour la mise en œuvre du quota haïtien suivant des modèles utilisés dans des systèmes de représentation proportionnelle (appelés « quotas de candidats avec règles d’alternance »).

Il y a un gros problème à cela : les systèmes proportionnels ne fonctionnent pas comme les systèmes majoritaires en ce qui concerne les quotas. Utiliser un modèle de quota conçu pour un système proportionnel dans un système majoritaire serait comme mettre du diesel dans un moteur à essence.

En outre, le libellé de la Constitution de 2011 et l’avant-projet de 2021 implique que le niveau cible de la représentation des femmes doit être atteint. Par conséquent, des règles de mise en œuvre qui ne font qu’améliorer les chances des femmes (comme la plupart des quotas de candidates), sont, en principe, non constitutionnelles. C’est uniquement des formules de sièges réservés qui répondraient à cette exigence.

Au lieu de se tourner vers des pays qui utilisent des systèmes proportionnels, Haïti devrait se tourner vers ceux qui utilisent des sièges réservés dans les systèmes électoraux majoritaires pour garantir l’élection d’une proportion minimale de représentantes.

S’inspirer des meilleurs exemples

Par exemple, l’Ouganda utilise une approche de « super-district » pour intégrer les sièges réservés dans son système électoral majoritaire. Dans ce cas, un nombre de sièges équivalent aux cibles du quota est ajouté aux sièges existants. Ceux réservés aux femmes sont distribués au prorata à travers les zones géographiques du pays. Chaque électeur reçoit deux bulletins : un pour un siège ouvert (candidat masculin ou féminin) et un autre pour un siège réservé aux femmes (le Rwanda utilise un variant de cette approche dans leur système proportionnel).

D’autres exemples existent en Inde, qui utilise une formule de rotation de sièges pour ses élections locales. Ou encore un système appelé les « seuils alternatifs » ou systèmes « meilleur perdant » qui est utilisé en Jordanie, en Maurice, en Afghanistan et aux Samoa.

Au-delà de ces exemples, de nombreux pays surmontent ce défi en utilisant des systèmes qui combinent des systèmes majoritaires et proportionnels pour atteindre les objectifs de quotas.

L’avant-projet affaiblit les moyens d’atteindre la cible

Chacun de ces modèles serait viable dans le cadre de l’avant-projet de Constitution haïtienne ainsi que celui de la Constitution actuelle. Cependant, un nouveau langage dans l’avant-projet pourrait rendre les choses plus difficiles que jamais.

L’article 16 rehausse la barre en ciblant la parité. À première vue, cela semble être une amélioration par rapport à la Constitution de 2011 qui appelait à un quota d’au moins 30 %. Cependant, il existe deux différences majeures.

Premièrement, l’avant-projet de Constitution ne mentionne plus du tout de quota.

Au lieu de cela, il renvoie la responsabilité de la mise en œuvre du principe de parité vers la loi électorale et les partis politiques.

En second lieu, le nouvel article renvoie la responsabilité aux partis politiques de désigner des femmes aux postes électifs. Mais le texte élimine un ancien article qui réservait le tiers des sièges aux femmes et n’inclut pas de sanction pour le non-respect du mesure. Ce transfert de la responsabilité aux partis politiques est voué à l’échec, étant donné la mauvaise foi dont ils ont fait preuve à ce jour. Remplacer « devoir de réserver 30 % » par ce langage mou est preuve que cette mauvaise foi persiste aujourd’hui. La responsabilité de rejeter les listes de candidats non paritaires devrait être le devoir de la Commission électorale.

Le président haïtien Moise et son épouse marchent en compagnie d’un homme, tous vêtus de blanc
Le Président Jovenel Moise, au centre, marche avec la première dame Martine Moise et le Premier ministre par intérim Claude Joseph, lors d’une cérémonie marquant le 218ᵉ anniversaire de la création du drapeau haïtien, à Port-au-Prince, Haïti, le 18 mai 2021. Le président a déjà exprimé son soutien pour les sièges réservés aux femmes. (AP Photo/Joseph Odelyn)

Un échec annoncé

Ainsi, Haïti abandonnera son ancrage implicite à des sièges réservés. Il y a désormais une contradiction flagrante : l’avant-projet de Constitution énonce le même engagement à atteindre les objectifs de genre qu’avant, mais prévoit utiliser un modèle qui ne pourra jamais les garantir.

C’est comme avoir l’intention de visiter Port-au-Prince depuis Miami en voiture.

En effet, la manière dont les deux derniers projets de loi électorale ont été rédigés pour imiter à tort des approches conçues pour des systèmes proportionnels rend tout à fait possible qu’aucune femme ne soit élue !

Que la nouvelle Constitution soit adoptée ou non, Haïti a toujours la possibilité de concevoir des mesures pour ses objectifs de genre qui s’harmonisent avec son système électoral. Pour ce faire, les législateurs doivent adopter des mesures contraignantes, comme l’une des options de sièges réservés. Des mesures supplémentaires pour inciter davantage les partis peuvent renforcer la volonté politique, mais ne devraient pas être le mécanisme principal.

Des solutions sont possibles

La mise en œuvre d’un quota de genre de 30 % ou de 50 % est un objectif réalisable pour Haïti. Le principe du quota a déjà été acquis il y a dix ans, et n’est pas une nouveauté dans l’avant-projet de Constitution. Des quotas au niveau local ont été introduits par décret présidentiel en 2015. Bien qu’imparfaits, ils ont néanmoins été un succès et ont prouvé aux sceptiques que les femmes haïtiennes possèdent un talent, une ambition et des compétences politiques exceptionnelles.

Il y a un terrain partagé entre la société civile féministe et le gouvernement, malgré leurs différends profonds : les sièges réservés. Le président Moïse a déjà exprimé son soutien pour les sièges réservés en 2020, tout comme les organisations de la société civile l’ont fait en 2018. Pour y arriver, la représentation des organisations féminines dans tout comité constitutionnel est essentielle.

Des solutions à la réalisation des objectifs d’Haïti pour les femmes au Parlement sont à portée de main. Les décideurs ne doivent pas utiliser les défis techniques liés à la mise en œuvre des quotas comme excuse pour continuer à ne rien faire.

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