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Une femme faisant sa lessive près d'une rivière.
La plupart des habitants de la planète lavent leurs vêtements à la main. elJad/Pixabay, CC BY-NC-SA

Laver son linge à la main rejette autant de microfibres que le lavage en machine

13 000 tonnes de microfibres issues des machines à laver, soit l’équivalent de deux camions poubelles par jour, sont rejetées chaque année dans les milieux marins européens. Des chiffres aux conséquences dévastatrices pour les animaux et les environnements aquatiques.

De quoi attiser la colère des groupes de défense de l’environnement au Royaume-Uni, dans l’UE et en Amérique du Nord. Ces derniers font campagne pour rendre obligatoire l’installation de filtres capturant les microfibres dans toutes les nouvelles machines à laver.

Mais la pollution par les microfibres ne se limite pas au lavage en machine. Notre nouvelle étude montre que les vêtements lavés à la main peuvent disperser autant de microfibres que le linge lavé en machine.

C’est un problème de taille à l’heure où plus de la moitié de la population mondiale n’a pas d’accès régulier à une machine à laver et lave donc son linge « hors réseau », à la main par exemple. Or le lavage du linge à la main implique souvent beaucoup de frottement et d’abrasion, qui éliminent les fibres. Et les eaux usées du lavage à la main peuvent souvent s’écouler directement dans les rivières ou ruisseler sur le béton et la pierre, au risque de contourner les installations de traitement des eaux usées même lorsque de telles installations existent.

Pour résoudre le problème de la pollution par les microfibres, il ne suffit donc pas d’installer des filtres sur les machines à laver, il faut modifier la façon dont les textiles sont conçus, fabriqués et commercialisés à l’échelle mondiale.

Un homme lave ses vêtements dans une rivière
Un homme lave ses vêtements dans le fleuve Cagayan, aux Philippines. robertharding/Alamy Stock Photo

Les fibres rejetées lors du lavage à la main

La recherche scientifique sur les pertes de fibres textiles néglige souvent les personnes qui lavent leurs vêtements à la main, l’accent étant mis principalement sur les fibres éliminées au cours du lavage en machine conventionnel. Bien que les scientifiques des pays où de nombreuses personnes lavent leurs vêtements à la main aient observé que ces méthodes entraînent aussi une perte de fibres, ils ont rarement reçu le soutien nécessaire pour mesurer ou comparer la quantité de fibres perdues.

Nos recherches ont été menées avec des collègues de l’Université d’État d’Isabela aux Philippines, de l’Université de Wollongong en Australie et de sept autres universités du Royaume-Uni. Nous avons organisé un atelier et observé les pratiques de lavage à la main dans la vallée du fleuve Cagayan, dans le nord des Philippines. Nous avons ensuite reproduit en laboratoire ces gestes pratiqués par les communautés locales.

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Nos expériences ont permis de mesurer la part de fibres rejetées en lavant des pantalons 100 % polyester achetés dans un grand magasin britannique, à la fois pour des modèles prélavés et pour des modèles neufs. Ces pantalons ressemblaient beaucoup aux vêtements en polyester que nous avons retrouvés sur les étals des marchés philippins ainsi qu’aux vêtements dont nous avons observé le lavage à la main dans le pays.

Nous avons constaté que le lavage à la main de ces pantalons à l’aide d’une brosse à récurer en plastique entraînait des niveaux de perte de fibres compris entre 6 499 et 64 500 fibres individuelles par vêtement. Ces niveaux sont comparables à ceux rapportés pour le lavage en machine. Il apparaît dès lors que le lavage à la main n’est pas nécessairement plus doux pour les textiles que le lavage en machine.

Mesurer la perte de fibres textiles

Les personnes qui lavent leurs vêtements à la main utilisent différentes techniques, en fonction des textiles et de l’usage des vêtements. Les vêtements couverts de poussière ou de boue, comme ceux portés pour les travaux agricoles, peuvent par exemple nécessiter un lavage particulièrement vigoureux.

Nos recherches n’ont pas permis de recréer toutes les méthodes de lavage à la main. Nous n’avons pas non plus pu étudier l’impact de toutes les variations possibles en matière de confection textile sur la perte de fibres, comme la méthode de coloration, le type de teinture, la structure spécifique du tricot ou du tissage ou encore les finitions mécaniques ou chimiques.

Parmi les variables que nous avons étudiées, nos résultats montrent que c’est la structure des textiles qui avait l’effet le plus prononcé sur la perte de fibres, davantage que le type de fibre en lui-même. Le type de fibre n’a pas d’influence significative sur la perte de fibres. Les textiles tissés perdent moins de fibres que les textiles tricotés.

Les textiles synthétiques ne sont donc pas les seuls à perdre des fibres problématiques. Les textiles à base de plantes comme le coton et les textiles à base d’animaux comme la laine perdent des fibres en quantités similaires aux fibres plastiques. Certaines recherches suggèrent même que les fibres à base de cellulose telles que le coton peuvent avoir des conséquences comparables, voire plus graves, sur les organismes qui les ingèrent que les microfibres synthétiques.

Bien qu’elles soient souvent présentées comme « biodégradables », les fibres de coton subissent des modifications qui altèrent la structure de la cellulose dont elles sont composées pour être utilisées dans l’industrie textile. La plupart des cotons subissent également des teintures chimiques et d’autres traitements de finition.

Par conséquent, les fibres textiles de coton ne se dégradent pas facilement dans un environnement naturel. Et toute dégradation effective libérera probablement les produits chimiques utilisés au cours de la production des textiles, quelle que soit la méthode de lavage utilisée.


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Les microfibres, un problème à résoudre

Le problème de la perte de fibres textiles est bien plus vaste qu’il n’y paraît. Prenons par exemple le commerce mondial de vêtements de seconde main, d’une valeur d’environ cinq milliards de dollars américains (environ 4,6 milliards d’euros) par an. Même lorsque les étiquettes d’entretien et les designers recommandent le lavage en machine, le recours à des filtres ainsi que le traitement des eaux usées, l’exportation des vêtements de seconde main dans d’autres zones du globe va éloigner ces textiles de ces infrastructures établies.

Or, les personnes que nous avons observées en train de laver des vêtements à la main ont besoin de vêtements de travail peu coûteux et solides, que ce commerce de vêtements usagés leur fournit. Cela signifie que pour résoudre le problème de la perte de fibres textiles, il faut repenser complètement non seulement la façon dont nous lavons nos vêtements, mais aussi la façon dont les vêtements sont fabriqués.

Car le problème fondamental ne réside pas dans le commerce des vêtements de seconde main, mais dans la conception des textiles eux-mêmes. Pour progresser dans la résolution du problème des microfibres, il nous faut concevoir des tissus qui perdent moins de fibres au lavage. Une autre approche consiste à développer de nouvelles fibres véritablement biodégradables qui se décomposeront naturellement dans l’environnement.

A secondhand clothing store
Un magasin de vêtements de seconde main aux Philippines. Davdeka/Shutterstock

En attendant, ceux qui se targuent d’éviter les tissus synthétiques devraient reconnaître que le problème des microfibres s’étend bien au-delà des produits que nous portons. Le marketing textile ne devrait pas faire de greenwashing en confondant « naturel » et « biodégradable ». Et les filtres des machines à laver ne suffiront pas à résoudre le problème de la perte de microfibres.


Créé en 2007 pour aider à accélérer et à partager les recherches scientifiques sur des enjeux sociaux majeurs, le Fonds d’Axa pour la recherche soutient près de 700 projets dans le monde mené par des chercheurs issus de 38 pays. Pour en savoir plus, visiter le site ou bien suivre sur Twitter @AXAResearchFund.

This article was originally published in English

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